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Agriculture stratégies

La crise du Covid-19, un révélateur des failles de la filière laitière française


TNC le 28/04/2020 à 17:09
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L’interprofession laitière a agi rapidement pour limiter les conséquences économiques de la crise sanitaire en mettant en place une mesure de réduction volontaire des volumes de lait pour le mois d’avril. Si on peut saluer la rapidité de cette décision, elle soulève, pour le think tank Agriculture Stratégies, un certain nombre de questions quant au rôle de la Pac, à la place des OP dans la régulation des volumes, ou encore à l’efficacité économique de cette mesure alors que la crise n’en est qu’à ses débuts.

Pour éviter un effondrement des prix, la filière laitière française, représentée par le Cniel, a mis en place très rapidement une mesure, financée par les fonds interprofessionnels, pour inciter les éleveurs laitiers à baisser la production du mois d’avril de 5 %, sur base du volontariat.

Lire : Conséquences économiques du Covid-19 : le Cniel veut réduire la production en avril et créé un fonds de compensation

Si l’initiative est louable, pour le think tank Agriculture Stratégies, elle met cependant en lumière plusieurs failles. Premièrement, le calendrier pose question : « face à l’incertitude des prochaines semaines, il parait préférable de stocker ces excédents plutôt que les détruire ou ne pas les produire. La sécurité alimentaire doit primer à court terme sur toutes considérations économiques, d’autant plus que si le confinement modifie les habitudes, les bouches à nourrir sont toujours là », estime le think tank dans une note publiée le 24 avril. Dans un contexte où les différents acteurs de marché agissent de façon irrationnelle, réguler les prix et les volumes avec une telle mesure risque d’être sans effets.

« L’hémiplégie de la Pac »

Par ailleurs, le fait que cette mesure ait été prise uniquement au niveau national est également problématique, souligne aussi le think tank, pour qui il aurait paru plus opportun d’activer des aides publiques au stockage privé, « le temps d’avoir une idée assez claire de la situation pour activer des mesures plus structurelles, coordonnées au niveau européen ». Car si la France est ensuite imitée par d’autres pays de l’UE sans coordination, la baisse des volumes pourrait être plus importante que nécessaire et entraîner une pénurie dans les prochains mois.

« Au regard de la politique laitière américaine, l’UE est plus que balbutiante dans la gestion des crises », constate donc Agriculture Stratégies, alors que les États-Unis vont indemniser les pertes des éleveurs, et ont parallèlement augmenté les budgets de l’aide alimentaire, ciblée sur l’achat de produits frais, de produits laitiers et de viande. « Le parallèle avec les États-Unis met en évidence l’hémiplégie de la Pac où la composante alimentaire a été réduite à peau de chagrin et pose la question suivante : ne serait-il pas plus opportun de donner des excédents français aux associations caritatives ? Et ce d’autant plus que ces dons en nature sont en grande partie défiscalisés », indique la note.

En outre, la mesure décidée par le Cniel s’appuie sur l’activation au niveau européen de l’article 222 du règlement de la Pac, qui autorise momentanément la création d’ententes sur les volumes. Cette activation a été accordée par la Commission mais, au final, « en recourir à l’article 222 et à un cartel pour gérer les volumes, n’est-il pas le symbole de la faillite du programme de dérégulation des outils de régulation de la Pac entamé au début des années 1990, programme promu par la croyance dans l’autorégulation des marchés et la supériorité de la libre concurrence ? », s’interroge Agriculture Stratégies.

Lire : Coronavirus : Bruxelles propose de nouvelles mesures pour le lait et la viande

Donner aux OP leur véritable rôle

Enfin, la décision du Cniel met également en lumière certaines faiblesses de l’organisation économique actuelle de la filière laitière française. Ainsi, France OP Lait, structure regroupant les Organisations de producteurs (OP) laitières au niveau national, a ouvertement regretté ne pas avoir été associée à cette initiative, « alors même que les OP devraient être l’intermédiaire entre les éleveurs et les industriels pour pouvoir négocier, avec ces derniers, les contrats de livraison, c’est-à-dire à la fois les prix et les volumes », rappelle le think tank. Néanmoins, dans les faits, ce n’est généralement pas le cas, comme l’illustre la situation actuelle.  

Agriculture Stratégies le souligne de façon imagée : « les relations économiques entre éleveurs et laiteries privées renvoient alors à l’image d’une économie où l’on va chercher du lait dans la campagne comme on va chercher du charbon à la mine : la stratégie consiste à aller prélever ce que bon vous semble, la notion de relations équilibrées avec des fournisseurs apparaissant bien étrangère aux industriels privés ». Or, du côté des producteurs, qui ont réalisé leurs investissements, la logique reste plutôt de produire davantage pour écraser les coûts fixes.  

La situation n’est pas vraiment plus rose du côté des principales coopératives laitières qui, « sous couvert de la règle de l’apport total qui veut qu’une coopérative collecte toute la production de ses adhérents, elles se contentent de différencier les prix en fonction des volumes livrés par leurs producteurs mais sans aucun plafonnement », précise aussi le think tank. Ainsi, au-delà d’un certain volume individuel, la valorisation de la production supplémentaire est dépendante des prix du beurre et de la poudre fixés sur les marchés internationaux.

Pour renforcer la filière, au-delà de la crise, il sera donc indispensable de donner aux OP les moyens d’assurer leurs prérogatives dans la négociation des volumes et des prix, conclut le think tank.