Comment puis-je rendre ma ferme plus transmissible ?
TNC le 08/06/2021 à 09:04
Une question cruciale car avec le boom des départs en retraite d'exploitants et les freins à l'installation pour les porteurs de projet, les offres de reprise sont supérieures aux demandes. Quelques années avant de céder, il faut donc se poser les bonnes questions pour rendre son exploitation attractive aux yeux des candidats. Accessibilité du foncier, état des bâtiments/équipements, montant de cession, intégration socio-économique, évolution en bio... sont autant de paramètres sur lesquels il est possible d'agir, ou au moins de réfléchir.
1- Le point de départ : savoir qui sont les porteurs de projet
Pour résumer, en Bretagne puisque la chambre d’agriculture de cette région a passé les candidats au crible en 2019 :
- pour les installations effectives : 40 % en bovins lait, 39 % en hors cadre familial, 32 % en bio, 27 % en vente directe ;
- au RDI (répertoire départ installation) : 77 % veulent s’installer en individuel, 52 % en bio, 35 % en productions animales (dont 20 % en lait) et 1/3 en cultures (dont maraîchage, arboriculture) et 89 % sur une surface < 75 ha ;
→ Ils recherchent également : des parcelles groupées et accessibles, de taille cohérente avec leur projet, un montant de reprise maîtrisé, la proximité d’un centre urbain. Des éléments dont plusieurs sont transposables à la France entière.
« Aujourd’hui, les porteurs de projet n’envisagent pas forcément d’être agriculteur toute leur vie. Ils sont donc attentifs aux capitaux à engager, rappelle Annette Hurault, conseillère transmission et ressources humaines à la chambre d’agriculture de Bretagne. Ils privilégient les exploitations près des villes car ils souhaitent commercialiser en circuits courts et/ou parce que leur conjoint travaille à l’extérieur. »
2- Regrouper son parcellaire
Un foncier d’un seul tenant ou presque, n’est-ce pas le rêve de tout exploitant agricole ? En tout cas, c’est un facteur qui améliore la transmissibilité d’une exploitation. Cela fait même partie des critères de choix préférentiels des repreneurs, cités précédemment.
« Avant de transmettre, réfléchir à son parcellaire, notamment à son organisation, c’est assurer l’attractivité et la pérennité de sa structure, en production laitière en particulier mais pas seulement », confirme Cyril Guerillot, chargé d’études et SIG (système d’information géographique) à la chambre d’agriculture de Bretagne.
Pourquoi engager cette démarche ?
- Avoir de meilleures conditions de travail
- Diminuer ses coûts de production
- Pouvoir choisir, plus facilement, son système
- Préserver l’environnement, un objectif qui prend de l’importance
- Augmenter la valeur de sa ferme en vue d’une transmission
D’où des gains économiques et en temps de travail indéniables !
Comment procéder ?
Si votre commune n’est pas intégrée dans un dispositif d’aménagement foncier, vous pouvez réaliser des échanges parcellaires entre :
- propriétaires (à l’amiable)
- locataires (dits de jouissance ou de culture)
Les conseils de l’expert :
- favoriser l’échange de parcelles entre propriétaires, « autant que possible dans le cadre d’une transmission d’exploitation, car ils sont plus pérennes (acte notarié définitif) que les échanges de jouissance, souvent attachés à la durée du bail et qui ne sont pas forcément reconduits » ;
Échanger des parcelles, c’est toujours gagner !
Par exemple : un ensilage de maïs à 10 km = 1 500 km de trajets cumulés. Soit la distance de Brest à Nice !
- anticiper en amont de la recherche de repreneur, car ces opérations prennent du temps ;
- se faire accompagner par un organisme agricole compétent, comme la chambre d’agriculture, certaines ayant même pour mission de développer les échanges parcellaires via des conventions avec le Département, la Région, les bassins versants…
« Même si on connaît bien ses voisins, pas facile de se lancer tout seul dans son coin ! », fait remarquer Cyril Guerillot.
Le conseiller intervient pour :
– recenser et analyser les besoins,
– étudier l’organisation foncière de l’exploitation et des fermes voisines (réalisation de cartographies),
– proposer des échanges potentiels,
– mettre en contact les différents protagonistes, en organisant notamment des réunions,
– solliciter d’autres appuis si besoin (juridique entre autres) et assurer le suivi administratif du dossier .
3- Évoluer vers l’agriculture bio ?
Quelques rappels liés aux objectifs des candidats au métier d’agriculteur, qui montrent que l’agriculture biologique représente au niveau de l’installation en Bretagne (ces tendances se vérifiant aussi ailleurs) :
– 30 % des projets (d’une vingtaine en 2005 à 150 en 2019)
À noter : 48 % des fermes étaient déjà bio au moment de la reprise, et 52 % ont été converties après, soit autant quasiment.
– 42 % en cultures-maraîchage, 28 % en bovins lait
Soulignons qu’il y a autant de reprise en bio que de conversion post-installation en bovins lait, un peu moins en système mixte et presque deux fois plus en cultures/maraîchage.
Remarque : « 13,5 % des exploitations bretonnes sont déjà en agriculture biologique, donc les repreneurs ne sont pas isolés », met en avant Soizig Perche, conseillère spécialisée AB à la chambre d’agriculture de Bretagne, intervenant au niveau du PPP (plan de professionnalisation personnalisé).
– 39 % de femmes (deux fois plus qu’en conventionnel)
– 49 % de reprises hors cadre familial (32,5 %)
– 54 % de personnes non issus du monde agricole (29 %)
– 31 % avec atelier de transformation (4 %)
– 62 % en vente directe (11 %)
– SAU : 48 ha (81 ha)
Comment aborder le passage à l’AB dans le cadre d’une transmission d’exploitation ?
« Quand on projette de transmettre à un porteur de projet en bio, on doit avoir en tête qu’il faut deux ans pour convertir les surfaces de cultures et prairies. Et ces deux années vont peser lourd sur le plan économique : on n’arrive pas à une situation d’équilibre car il y a un fort besoin de trésorerie. Il faut acheter tous les intrants en bio alors que les produits sont vendus en conventionnel. Pour un jeune, c’est compliqué ! » Alors si le cédant peut effectuer ou au moins initier la conversion…
Deux années qui pèsent lourd sur la trésorerie. Pour un jeune qui s’installe, c’est compliqué ! Alors quand le cédant peut initier la conversion…
Les facteurs de réussite :
- Anticiper la conversion des terres
« Cela peut faciliter les choses au repreneur, mais ce n’est pas une obligation, ce doit être discuté ensemble. »
- En lait, veiller à l’autonomie fourragère et l’accessibilité des parcelles pour le pâturage
« La réussite technique et économique des systèmes bio en dépend en grande partie ! »
- En grandes cultures : envisager la transformation ou diversification pour valoriser une SAU de taille moyenne.
« Attention : cela nécessite souvent des équipements qui coûtent cher, d’où l’intérêt de bien les chiffrer et étudier leur rentabilité. »
4- Et pour les exploitations spécialisées ?
Philippe Brian, conseiller spécialisé à la chambre d’agriculture de Bretagne, prend l’exemple des veaux de boucherie. Il souligne que dans ce type de production :
- l’intégration est garante d’un revenu régulier pour les éleveurs,
- la location est une opportunité pour les futurs installés.
« À condition d’avoir : des bâtiments/équipements/abords en très bon état, un prix de reprise pour la ferme cohérent avec les résultats technico-économiques attendus par le repreneur, des possibilités d’évolution sur le site où sont situés les bâtiments, des surfaces disponibles pour sécuriser le plan d’épandage.
« Les intégrateurs voudraient des candidats à l’installation capables d’investir dans du neuf mais vu les capitaux à engager, cette situation est rare », souligne Philippe Brian.
5- Les autres leviers
On ne transmet pas seulement une ferme, on accueille un nouveau projet.
- La cohérence surface/production
« Exemple : les producteurs de lait en fin de carrière sont tentés de reprendre des volumes de lait supplémentaires, pensant améliorer la transmissibilité de leur ferme. Or l’autonomie fourragère est plus essentielle car d’après nos observations, elle intéresse les porteurs de projet », explique Jean-Michel Douin, conseiller transmission à la chambre d’agriculture de Bretagne.
- Des bâtiments/équipements, maintenus en état et évolutifs (dimension, usage)
« Ils peuvent faire une nouvelle carrière dans autre production », lance-t-il.
- Un montant de reprise correspondant aux potentialités de la ferme
« La location d’au moins au partie du foncier par le cédant rend généralement l’offre plus attractive », fait notamment observer le spécialiste.
- La disponibilité de la maison d’habitation ?
« Selon les cas, ce peut être un point positif ou négatif, constate-t-il. Sa présence dans le projet de transmission est important quand elle est au milieu du corps de ferme. »
- L’intégration dans l’environnement social (Cuma, entraide…)
« Les porteurs de projet y sont sensibles en général, principalement pour limiter les investissements. »
- Le cadre de vie et les aspects environnementaux
« Le cédant aussi acteur de la transmissibilité de son exploitation : il ne transmet pas seulement sa ferme, il accueille un nouveau projet, conclut Jean-Michel Douin. Il s’agit également d’une rencontre avec le ou les repreneurs. L’humain est donc primordial pour que les choses se passent bien. Entre autres : le futur retraité doit adopter une posture d’accueil et être clair sur ce qu’il veut comme transmission. Au préalable, il importe donc qu’il réfléchisse aux potentialités de sa structure, afin de mettre en valeur ses atouts. Enfin, il vaut mieux être ouvert aux évolutions, en tenant compte des attentes et envies des successeurs. »
Le cédant, acteur de la transmissibilité de son exploitation, en réfléchissant à ses potentialités.
Source de l’article : webinaire, organisé par la chambre d’agriculture de Bretagne, dans le cadre de la semaine régionale de l’installation et de la transmission, du 20 au 27/11/20 et de la Quinzaine de la transmission/reprise d’exploitations agricoles 2020 déployée à l’échelle nationale dans tout le réseau.