Revenu des éleveurs laitiers : en Europe, le compte n’y est pas
TNC le 28/07/2021 à 06:02
La dernière étude européenne sur les coûts du lait commandée par l’European milk board est sans appel : en cinq ans, l’écart entre coûts de production et prix payé au producteur s’est creusé, et empêche les éleveurs de se dégager une rémunération correcte.
En Europe, le prix du lait ne couvre pas les coûts de production des éleveurs et ne leur permet pas de se dégager un revenu suffisant. Ce sont les conclusions — hélas peu étonnantes — d’une étude menée sur les coûts de production au sein de l’Union européenne par le BAL, Büro für Agrarsoziologie und Landwirtschaft (Bureau de sociologie agricole et d’agriculture).
Comme il le fait depuis plusieurs années, cet institut de recherche allemand a recueilli des données dans d’importants pays producteurs de lait en Europe (France, Allemagne, Pays-Bas, Luxembourg, Danemark, Belgique, et pour la première fois Irlande et Lituanie) à la demande de l’ European milk board, et vient de livrer ses résultats pays par pays sur cinq ans, de 2015 à 2019.
Ils montrent d’abord que produire du lait coûte de plus en plus cher dans la majorité des huit pays étudiés, avec une augmentation des coûts plus significative depuis 2017. C’est « lié au coût de l’énergie et à la sécheresse ces dernières années, qui a provoqué une augmentation du coût des aliments », détaille l’auteure de l’étude, Karin Jürgens, lors d’une présentation à la presse.
Pour faire des comparaisons entre pays en prenant en compte tous les postes de coûts, elle s’est basée sur les données du Réseau d’information comptable agricole de la Commission européenne et les a mises à jour en utilisant les indices actuels des prix des moyens de production : fourrages, engrais, semences et énergies.
Par exemple, en 2019, les coûts de production hors investissements nets oscillent entre 34,21 ct/kg en Irlande et 58,63 ct/kg en Lituanie.
Face à ces chiffres, le prix du lait payé au producteur est toujours en deçà du coût de production, quel que soit le pays étudié : en 2019, il est estimé à une fourchette allant de 28,79 ct/kg (en Lituanie) à 34,11 ct/kg (au Danemark) et connaît une « diminution significative depuis 2017 ».
Évolution des coûts de production et du prix du lait de 2015 à 2019, en ct/kg. (©BAL)
Mathématiquement, l’écart entre les coûts et les prix continue de se creuser. Sur cinq ans, les prix du lait n’ont permis de couvrir les coûts de production dans aucun des huit pays étudiés. À l’exception de l’Irlande, pendant trois ans : fort de « conditions géographiques, climatiques et structurelles » favorables à la production laitière, le pays connait des frais de production plus bas que chez ses voisins mais souffre ces dernières années d’une augmentation « relativement soutenue des coûts durant la période étudiée alors que les prix n’ont pas suivi la même courbe », précise Karin Jürgens.
La Lituanie est à l’inverse confrontée à des prix très bas et des coûts de production élevés « du fait de son tissu d’exploitation différencié reposant sur une multitude de petits élevages ».
En 2019, tous les pays étudiés souffrent d’un manque à gagner. La part des coûts non couverte s’élevait à 24 % sur l’ensemble de l’UE, avec, aux extrêmes, un déficit de 9 % en Irlande et de 51 % en Lituanie.
Le prix moyen du lait ne couvre pas les coûts de production, les recettes sont minimes voire inexistantes et, sans surprise, le revenu à disposition est bien maigre même en tenant compte des aides. Au Danemark et aux Pays-Bas, les éleveurs n’ont pu tirer aucun revenu de la production laitière entre 2015 et 2019, « notamment à cause de la crise du lait ». À l’exception de l’Irlande, qui affiche un revenu moyen par éleveur laitier de 22,23 €/heure sur 5 ans, aucun pays ne dépasse les 7 €/heure et la moyenne européenne culmine à 3,25 €/heure.
C’est six fois moins que ce que les scientifiques du BAL estiment être un « revenu adéquat ». De fait, il ont calculé un niveau de revenu jugé suffisant et équitable pour chaque pays. Pour cela, ils ont pris en compte divers indicateurs : le degré de qualification et de formation, les barèmes agricoles et conventions collectives en vigueur, dans certains cas le double du salaire minimum légal.
Seuls les agriculteurs irlandais se rapprochent du revenu adéquat calculé par le BAL. « Même aux Pays-Bas et en Allemagne, où les exploitations sont modernes et en mécanisation constante, les producteurs de lait et la main-d’œuvre familiale ne peuvent, une fois tous les frais déduits, pas se générer un revenu », déplore l’auteure de l’étude.
Qui plaide : « Ce n’est que si la situation économique des exploitations s’améliore durablement qu’elle qu’elles pourront contribuer à la mise en œuvre des objectifs en matière d’environnement, de climat et de bien-être animal, qui sont associés à des coûts plus élevés. »