Faire évoluer son système avant même d’entamer sa conversion bio
TNC le 05/11/2021 à 06:02
« Ne pas tout faire en même temps », voilà ce qu'on pourrait retenir du témoignage de Charlène Fourdinier, éleveuse laitière de Normandie, en cours de conversion bio. Avant de franchir cette étape, elle a fait évoluer son exploitation vers un système herbager économe, désormais suffisamment résilient pour passer au bio.
Charlène Fourdinier et son mari Thomas se sont installés en 2015 sur une exploitation laitière du Pays de Bray (Seine-Maritime). Les parents de Thomas, exploitants dans le Pas-de-Calais, ont cédé leur ferme pour les accompagner sur ce projet d’élevage en système herbager. « Ici, on a 200 ha dont une centaine en cultures de vente et le reste en prairies », présente Charlène.
Une transition vers l’herbe avant le passage au bio
« À notre arrivée, on a entamé la transition vers un système herbager. On a réduit la surface en labour pour avoir plus de prairies : aujourd’hui, les vaches laitières ont 38 ha accessibles, contre 15 auparavant, ce qui nous permet de les faire pâturer plus longtemps. On a redécoupé toutes les parcelles en une vingtaine de paddocks de 2 ha, et aménager les chemins d’accès pour faire du pâturage tournant dynamique géré au fil. »
Un tank qui ne se remplit pas, ça fait peur !
« La production a rapidement diminué du départ, ça n’a pas été évident. Ça nous a mis une certaine pression économique. » Mais au bout de quatre ans, en 2019, lorsque le pâturage fut bien inscrit dans le système, les éleveurs ont enclenché une transition vers l’agriculture biologique. « C’était la suite logique : on produisait du lait à l’herbe, mais qui était valorisé au prix du conventionnel. »
Des changements à intégrer pour le troupeau
Les débuts, avec le passage à l’herbe, se sont avérés quelque peu chaotiques : « Les vaches gueulaient parce qu’elles avaient faim, elles ne voulaient pas manger d’herbe et puis nous-mêmes, on ne devait pas leur apporter une herbe d’assez bonne qualité car on ne savait pas faire », confie Charlène. Mais les éleveurs se sont formés et chacun a pris ses marques. Cela a facilité la transition bio ensuite.
En système herbager, on cherche l’autonomie décisionnelle : on gère en fonction des disponibilités au pâturage.
Ils ont aussi fait le choix d’arrêter le tourteau de colza, « c’était le dernier concentré acheté à l’extérieur », et Charlène constate un amaigrissement du troupeau. « On n’a pas eu de soucis sanitaires, les résultats de repro se sont maintenus, on a pu garder nos deux périodes de vêlages, mais ça ne me plait pas forcément à l’œil. »
Le couple a enclenché d’autres changements, comme l’intégration des races Frisonne et Jersiaise dans le schéma de sélection. « Les premières génisses ont vêlé au printemps. L’objectif est d’avoir des animaux plus adaptés au système, mais on aurait dû le faire plus tôt. On a été frileux au départ sur le changement car il nous impacte sur le long terme quand même. »
Intégré au programme Reine Mathilde, il réalise aussi des essais fourragers comme le semis de prairie à la volée par rapport au semis au semoir à céréales, ou encore l’implantation d’un mélange composé de chicorée, trèfle violet, luzerne et sainfoin.
Du lait bio à pas cher
L’EARL des Champs de Bray commercialisera son lait en bio au 1er mai 2022. En attendant, elle perçoit une prime de 50 €/1 000 l pour la conversion. Et face aux marchés actuels de la bio, Charlène reste sereine : « On a connu ces baisses dans le conventionnel, c’est cyclique. Et puis, notre système est basé sur l’économie d’intrants : on essaie de faire un lait bio qui ne nous coûte pas trop cher. On devrait pouvoir supporter la baisse du prix, mais il ne faut pas que ça dure trop longtemps. »
Ne pas rester seul face à son système.
En regardant dans le rétro, elle se dit plutôt satisfaite d’avoir fait cette conversion en deux temps : d’abord une transition vers l’herbe, puis la conversion bio une fois le tout calé. « Il faut aussi se former, se faire accompagner et surtout partager avec d’autres agriculteurs. Nous l’avons fait par l’intermédiaire des Civam normands et c’est rassurant d’échanger de façon collective avec d’autres collègues ; ça nous rassure. »