Accéder au contenu principal
Viande de brousse

À l’aéroport de Roissy, les douanes débordées par l’afflux illégal de viande


AFP le 16/02/2023 à 10:02

Pangolins, têtes de singe ou encore chauve-souris : à l'aéroport parisien de Roissy-Charles-de-Gaulle, les douaniers saisissent chaque semaine des centaines de kilogrammes de viande de brousse, débordés et agacés que personne n'ait « tiré les enseignements du Covid ».

Avant toute chose c’est l’odeur rance et forte du sang qui prend à la gorge. Puis on aperçoit derrière les douaniers des piles de morceaux de viande, allant du poulet cuisiné aux morceaux de python, en passant par de gros vers blancs séchés.

Le jour n’est pas encore levé sur le plus grand aéroport d’Union européenne que les douaniers ont déjà saisi plusieurs kilogrammes de viande d’animaux sauvages, en fouillant quelques bagages de voyageurs à la sortie de leur vol venu d’Afrique australe.

« Regardez l’état de ce poisson. Ne me dites pas que vous allez manger ça ! », s’exclame un jeune agent blond, brandissant un animal grouillant de vers blancs, lesquels ne manquent pas de dégouliner dans la valise de la passagère impeccablement habillée. « Cela nous arrive tous les matins de saisir ce genre de chose », confie le douanier -qui souhaite rester anonyme –  avant de jeter l’animal sur un tas et de prendre le passeport de la voyageuse. Celle-ci s’en sortira sans amende, faute de temps et de moyens. Seuls les multirécidivistes ou ceux transportant des espèces protégées sont sanctionnés.

Car face à l’afflux massif de viande de brousse, les douanes françaises se disent « dépassées ». En 2021, les douanes du terminal 2 ont saisi 36 tonnes de produits illégaux issus d’espèces sauvages, principalement venues d’Afrique ou d’Asie. Une partie de ces viandes sont destinées à de la consommation personnelle, « mais il y a également des grands courants de fraude » qui alimentent entre autres des restaurants clandestins, explique Adrien Clopier, chef adjoint de la brigade du T2.

« Roulette russe » face aux zoonoses

« Vu ce qu’on saisit chaque jour, vous vous dites qu’on est foutu. Personne n’a tiré les enseignements du Covid ! », s’insurge son chef Emmanuel Bizeray, devant ces flux illégaux qui ne diminuent pas malgré leurs efforts. Pour ce mangeur d’escargots, « pas de jugement » sur le régime alimentaire des passagers, mais une  « extrême inquiétude » à cause du risque de zoonoses, ces maladies qui se transmettent de l’animal à l’homme, mises en lumière par le Covid.

À cela s’ajoute l’impact sur la biodiversité, avec un « grand nombre d’espèces protégées » saisies : « des singes, des grands primates en voie de disparition », énumère-t-il.

Cas emblématique : celui du pangolin, à la fois en voie de disparition et potentiellement porteur de maladies. « Le pangolin, ça parle à tout le monde après le Covid, pourtant on en saisit plusieurs par semaine », dit-il dans une allusion aux soupçons portés sur cet animal quant à l’origine de la pandémie. « Tout comme des primates porteurs du virus Ebola », rouspète le chef douanier.

Sachant que les douanes n’estiment saisir « qu’environ 10 % du trafic de viande », « on est sur une roulette russe » face aux maladies, met en garde M. Bizeray, déplorant « un problème systémique ». Selon l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), le trafic d’espèces sauvages représente 23 milliards d’euros par an. Face à « ce crime organisé » qui participe à la « disparition de la biodiversité », il faut « rehausser la lutte contre le trafic d’animaux », estime sa présidente Maud Lelièvre, « à hauteur de ce qu’on fait pour le trafic de drogue ».

« Impuissants et en colère »

Principale revendication de l’association, partagée par certains douaniers : restreindre le nombre de bagages proposés par les compagnies aériennes. « 2×23 kilos par personne, c’est beaucoup trop », martèle Mme Lelièvre, « on sait depuis plusieurs années que si on réduit les bagages, on réduit cette importation ».

L’UICN et Aéroports de Paris (ADP) ont annoncé mercredi une campagne de sensibilisation des voyageurs « sur les risques encourus, sanitaires et pénaux ». L’association réclame aussi au gouvernement de « meilleures dispositions réglementaires » -notamment que soit inscrit dans le droit international « la responsabilité légale du transporteur » – et plus de fonds.

Présente mercredi à l’aéroport pour évaluer la situation, la Secrétaire d’État chargée de l’écologie Bérangère Couillard a annoncé la création d’un groupe de travail interministériel sur le sujet pour trouver des « mesures extrêmement concrètes, rapides ».    Mais cela semble peu face à l’ampleur de la tâche et au blues des douaniers, « impuissants et en colère », selon M. Bizeray.

Entre odeurs écoeurantes, blessures en se piquant sur des arrêtes et craintes face aux éventuels virus, les agents équipés de simples masques chirurgicaux et de gants déplorent leurs conditions de travail difficiles face à une tâche sisyphéenne. Las, l’un d’eux lâche : « qu’est-ce qu’ils attendent pour réagir? Qu’on se tape un nouveau Covid ? »