Chez Grégoire Besson, la charrue trace les sillons et l’histoire
TNC le 20/12/2024 à 17:44
Visite chez le constructeur français, installé depuis toujours dans le même petit village du Maine-et-Loire, d’où il rayonne aujourd’hui dans le monde entier, fidèle à sa philosophie de défricher de nouveaux territoires.
Un livre de comptes vieux de plus d’un siècle, retrouvé dans le grenier de la maison familiale, à deux pas (littéralement) de l’usine, témoigne du goût précoce de l’aventure de Grégoire Besson. Deux colonnes indiquent « France » et « Export ». « La France c’était notre village, Montigné-sur-Moine, et l’export, c’était Nantes, à 40 kilomètres », sourit Marc Besson, responsable du marketing et 8e génération de Besson au sein de l’entreprise.
L’histoire du spécialiste de la charrue s’imbrique avec la vie de cette petite bourgade, aujourd’hui absorbée par une commune plus grande, Sévremoine. L’usine, calée au chausse-pieds entre l’église, le cimetière et l’école, est d’ailleurs domiciliée au 2 rue… Victor Grégoire. Un hommage à l’implication locale et sociale de l’illustre famille : le constructeur a régulièrement donné maires et élus au village.
Tout démarre en 1793. Joseph Grégoire, fondateur de la dynastie, débarque aux frontières d’une Vendée meurtrie par les affrontements entre républicains et royalistes. Il monte sa forge à côté de l’église. Les Ateliers Grégoire voient le jour en 1802, se spécialisent dans l’agricole avant la Première Guerre mondiale puis dans le travail du sol après la Seconde, essentiellement des charrues à la solidité façonnée par le terroir. « Nous sommes au bout du massif armoricain. Il y a du caillou ! Cela a forgé nos sécurités de charrues », raconte Marc Besson.
La charrue aussi peut être synonyme de romance. En 1949, un jeune homme, Alphonse Besson, fait coup double : il décroche un travail dans l’entreprise et le cœur d’une des filles du patron, Jeanne. En 1959, le nom Besson s’ajoute à Grégoire. « Il a fait basculer l’entreprise du niveau régional à national, et insufflé le début de l’export, notamment vers l’Angleterre », raconte Marc Besson.
Patrick Besson, l’actuel président du constructeur, est le fruit de cette union. Il en prend les rênes en 1990. Une année charnière. Le Mur de Berlin vient de tomber. Patrick Besson prend sa valise, direction Moscou, sans parler un mot de russe, dans un pays où les fermes contrôlées par l’État font la taille de Montigné-sur-Moine. Le dialogue s’installe vite. « L’est de l’Europe est une région très humaine, comme l’esprit de notre entreprise. Il faut garder les pieds sur terre, on ne vend que des machines », aime à dire Marc Besson.
Pour se faire connaître, Grégoire Besson mise sur les records. Le dernier date de 2005 avec 321 hectares labourés en 24 heures avec une charrue 20 corps. « Les records, c’était beaucoup de R&D. Et les vues aériennes, c’était par hélicoptère, pas par drone », confie Marc Besson. Aujourd’hui, témoignage de cette époque, des panneaux sont écrits en russe et en ukrainien pour guider les transporteurs dans la cour de l’usine.
Défricher des territoires s’inscrit dans l’ADN de Grégoire Besson, qui vend dans 80 pays. Patrick Besson, qui n’envoyait jamais un collaborateur dans une contrée qu’il ne connaissait pas, les a toutes parcourus. Sa « vieille garde », des têtes brûlées capables de partir au pied levé au Soudan pour réparer une charrue ou de parcourir la Chine sans carte routière, ne reculait devant aucun défi. « On retrouve cette philosophie avec nos jeunes aujourd’hui », se réjouit Marc Besson.
En 1989, le rachat de Fenet marque le début du disque pour Grégoire Besson, à l’époque centré uniquement sur la charrue, donc vulnérable. En 2011, AgriWay, lancé en Italie, se concentre sur la fabrication de petit matériel en grande quantité. Les charrues 2 corps désorganisaient trop les lignes de production dans le Maine-et-Loire.
En 2022, des partenariats sont signés avec Duro pour les trémies et Bonnel pour la préparation du sol. En 2023, des liens sont noués avec Maschio Gaspardo. « C’est un échange. Par exemple, ils sont dans 120 pays, nous sommes dans certains où ils ne sont pas, on s’entraide », avance Marc Besson.
Groupe mondial de 350 employés, Grégoire Besson réalise 80 M€ de chiffre d’affaires. Pour continuer l’aventure, le groupe, fidèle à sa philosophie, lorgne sur les USA, le Maghreb, l’Océanie…
Les débats autour de la charrue ne perturbent pas le constructeur. « Cela fait 20 ans qu’on annonce la fin du labour mais c’est toujours 50 % de notre chiffre d’affaires. Il faut parfois savoir remettre en question son système plutôt que de perdre sa récolte. Tout le monde n’a pas le luxe de laisser des parcelles en jachère », estime Marc Besson qui plaide pour « une rotation raisonnée ».
Toute cette machine bien huilée au rayonnement mondial part de poutres d’acier de 6 ou 12 mètres de long, venues de France ou de Scandinavie. La spécialité de Grégoire Besson, c’est « l’usinage après soudure ». « On soude, on redresse pour contrer l’effet banane de la soudure, puis on perce », détaille Marc Besson. Les machines-outils utilisées dans l’usine valent rarement moins de 250 000 €, et souvent beaucoup plus : « On ne se lance pas dans la charrue comme ça ».
Autre particularité : quelques salariés sont aussi agriculteurs, comme Michaël Pouplard, qui exploite 80 hectares en céréales. « Mes horaires sont aménagées, il y a beaucoup de souplesse. Ils font parfois des essais sur mes terres. Il y a un véritable échange », se félicite-t-il. « Avec leur double casquette, ils apportent des idées et un regard différent », ajoute Marc Besson.
À cinq kilomètres du site historique, Grégoire Besson a inauguré, en 2017, GB Parts, qui regroupe sous un seul toit toutes les pièces d’usure du groupe, pour le SAV et l’approvisionnement. Elles sont rangées dans… 10 000 bacs. La nuit, un robot réorganise le stock selon les saisons, pour rapprocher les plus demandées de la mise en colis. Il faut bien ça : rien que pour les charrues, Grégoire Besson propose 100 000 configurations différentes !
L’avenir de Grégoire Besson s’écrit d’ailleurs juste derrière GB Parts, sur un terrain de 8 ha, où il teste aujourd’hui ses machines. « Nous prévoyons la construction d’une nouvelle usine », annonce Marc Besson.