Couvrir sa fosse et produire de l’énergie : un nouveau champ de possibilités
TNC le 04/12/2024 à 05:03
Couvrir sa fosse : l’objectif premier était auparavant de limiter les odeurs au stockage et les émissions d’ammoniac. Désormais, s’ajoute la possibilité de produire de l’énergie à partir d’effluents d’élevage pour gagner en autonomie sur sa ferme. Si les innovations sont bien présentes, la question de la rentabilité demeure.
La méthanisation dite passive consiste à récupérer le biogaz émis par les effluents à température ambiante grâce à une couverture flottante à la surface des fosses de stockage. « Elle demande moins d’investissements qu’une métha classique et peut donc intéresser davantage d’éleveurs », expliquait Loïc Guines, président de la chambre d’agriculture d’Ille-et-Vilaine, lors d’une conférence organisée par la chambre d’agriculture de Bretagne au Space 2024.
« En Bretagne, les exemples les plus fréquents de méthanisation à petite échelle sont des couvertures de fosses alimentant des chaudières pour chauffer de l’eau, des bâtiments (39 unités) ou des microdigesteurs classiques à base de lisier (20 unités) qui permettent de valoriser leur biogaz en cogénération », explique Hervé Gorius, chargé de mission méthanisation et climat à la chambre d’agriculture de Bretagne.
La méthanisation passive suscite de plus en plus de demandes, confirme Jeoffrey Moncorger de la société Nenufar, spécialisée en couverture de fosse. Il note une hausse des demandes en bovins. « On va de plus en plus vers de la traite robotisée, donc des consommations énergétiques qui doublent souvent par rapport à une salle de traite. Avec le pic du prix de l’électricité, on a de plus en plus d’éleveurs bovins qui couvrent leur fosse, mettent un groupe électrogène, autoconsomment l’électricité et revendent le surplus en BG16 à 21 centimes. C’est un nouveau marché pour nous », explique-t-il.
Le biométhane sur le devant de la scène
« Aujourd’hui, la méthanisation à petite échelle est relancée par la question du biométhane. C’était inaccessible auparavant pour les élevages les plus petits mais quelques innovations permettent d’envisager une épuration de petits volumes de biogaz à la ferme et une collecte mutualisée sur plusieurs exploitations », se réjouit Hervé Gorius. Certaines technologies sont remises à l’ordre du jour comme l’épurateur à eau sous pression, d’autres apparaissent comme les solutions proposées par la société Bennamann.
La start-up d’origine anglaise, devenue filiale de CNH Industrial en 2023, propose plusieurs produits. « Le premier nécessite la création d’une nouvelle fosse, explique Nicolas Morel, responsable produit carburants alternatifs chez New Holland. Il s’agit d’une bâche avec doubles compartiments superposés, permettant un stockage à deux niveaux : une partie basse qui contient le lisier et permet la micro-méthanisation ; une partie haute qui permet de filtrer le biogaz et de le stocker jusqu’à 10 jours. Un petit épurateur mobile vide en une journée le biogaz stocké, l’épure pour en faire du biométhane et le stocke en bouteille ».
La deuxième solution, Smartcover, récompensée d’un Innov’Space 2024, s’adapte à des lagunes semi-enterrées déjà existantes. Il s’agit d’une bâche modulaire flottante. Le biogaz collecté est passé dans un filtre à charbon puis stocké dans une poche au sol où il peut tenir une semaine à 10 jours.
Adéquation entre production et consommation
Nicolas Morel prend l’exemple d’une exploitation pilote en Cornouailles de 120 vaches laitières, équipée d’une bâche avec doubles compartiments. Elle obtient 50 kilos par jour de BioGNC. Cela permet d’alimenter un tracteur T6.180 pendant 1 000 h (un tracteur utilisant environ 13 kilos par heure d’usage) et de fournir 25 MWh d’électricité, soit 60 % de la traite à raison de 30 kWh sur 4 h/jour) grâce à un groupe électrogène biométhane associé au système.
Le responsable produit New Holland met cependant en garde les éleveurs : « attention à l’adéquation entre la production et la consommation de biométhane ! Le plein d’un tracteur New Holland T6 (le seul tracteur au biométhane sur le marché, NDLR), c’est 70 kilos. Quand on sait qu’une grosse journée de labour, c’est 2 pleins soit 140 kilos par jour, il ne faut pas penser qu’avec une fosse, on peut faire une semaine complète de labour avec deux pleins par jour ! C’est une solution plutôt adaptée à des tracteurs d’élevage, pour le paillage ou l’alimentation par exemple. »
La société Bennamman va déployer en 2025 son système en France et recherche des exploitations pour faire circuler son épurateur mobile.
Collecte mutualisée
Sublime Energie travaille de son côté sur la liquéfaction du biogaz et sur une collecte dans différents lieux de production afin de l’amener sur un site d’injection mutualisé. Une expérimentation in situ va démarrer début 2025 dans les Côtes-d’Armor sur une unité de méthanisation existante.
Quant à la société Méthagora, elle cherche à rassembler plusieurs exploitations moyennes pour collecter le biométhane et le transformer sur un hub mutualisé en Auvergne-Rhone-Alpes.
Un équilibre économique à trouver
Si les solutions techniques existent pour produire du BioGNV avec couverture de fosse, l’équilibre économique des projets est difficile à trouver. « Actuellement, on est sur une rentabilité brute de 15 à 20 ans, hors subvention sur les projets qu’on a étudiés », explique Jeoffrey Moncorger. Il se base sur l’hypothèse d’un investissement total pour couverture et brassage de 150 000 €, d’un investissement pour l’épuration et la distribution de 350 000 € et de charges d’exploitation entre 20 000 et 30 000 euros par an (charges électriques essentiellement), avec un prix de vente du kilo de BioGNV de 1,5 € HT. Une exploitation produisant en moyenne 36 t/an de BioGNV selon les données Nenufar.
Deux types de subventions existent : l’aide FranceAgrimer qui porte sur la couverture (40 % de prise en charge pour la couverture) et le dispositif AgriInvest en Bretagne mais qui ne concerne que les projets d’autoconsommation intégrale. « Difficile de trouver des projets où l’éleveur est capable de consommer 36 t de BioGNV par an ! Au mieux, il aura un tracteur et un ou deux véhicules fonctionnant au biométhane », alerte le fondateur de Nenufar. « Il n’existe pas de soutien public pour le BioGNV hors réseau, contrairement aux sites qui injectent dans le réseau. Il faut aussi sécuriser le débouché du BioGNV hors réseau par un tarif de rachat et des contrats sur des durées longues. Et pourquoi pas valoriser les gaz à effet de serre évités via le label bas carbone ? » suggère-t-il.
« Il faut selon moi réussir à amortir les outils sur moins de 10 ans », explique le président de la chambre d’agriculture d’Ille-et-Vilaine. « En Bretagne, le conseil régional n’aide plus la méthanisation. Il reste AgriInvest mais il faut que ça aille plus loin. Produire de l’énergie, c’est utile pour l’agriculteur mais aussi pour la société, il faudra réussir à terme à vendre du gaz dans le village, à côté de la ferme par exemple », conclut Loïc Guines.