Eaux en bouteille : les méandres de l’affaire, au-delà du cas Nestlé
AFP le 03/05/2024 à 15:45
Des industriels de premier plan dans le viseur de la justice, un forage suspendu après une contamination « d'origine fécale », des enjeux environnementaux, économiques et sanitaires... Le secteur des eaux en bouteille est sous pression depuis des révélations sur le recours à des pratiques prohibées de désinfection.
Quels industriels sont concernés ? Le 29 janvier, une filiale française du géant suisse de l’agroalimentaire Nestlé – qui puise en France l’eau des marques Perrier, Vittel, Hépar et Contrex – reconnaît dans la presse avoir eu recours à des traitements de désinfection interdits (lampe UV, charbon actif) sur les eaux minérales pour maintenir leur « sécurité alimentaire ».
L’entreprise tente ainsi de désamorcer les révélations, le lendemain, des médias Le Monde et Radio France ayant eu accès à des documents officiels suggérant que Nestlé et d’autres entreprises ont enfreint ou louvoyé avec les règles, face à la dégradation de la qualité des eaux souterraines vendues comme des eaux « minérales naturelles » ou « de source », pour lesquelles la désinfection est interdite.
Dans un rapport de 2022 consulté par l’AFP, une mission de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) estime qu’en France, « près de 30 % » des marques d’eau conditionnées « subissent des traitements non conformes ». Elle ajoute que c’est une fourchette basse, vu que de telles pratiques sont « délibérément dissimulées ».
La mission n’a « pas de doute » sur le fait « que l’ensemble des minéraliers soient concernés » au bout du compte.
Interrogé par l’AFP, Danone, numéro trois des bouteilles d’eau en France (Evian, Volvic, Badoit), indique que ses « eaux minérales naturelles répondent aux exigences de qualité et de conformité en vigueur ».
A l’origine de l’affaire, le signalement en 2020 d’un ancien salarié du groupe Alma, leader en France des eaux minérales et de source (Cristaline, Saint-Yorre, Vichy Célestins…).
Quelles procédures judiciaires et politiques ?
Alma a confirmé à l’AFP faire l’objet d’une « procédure judiciaire » portant « sur des faits anciens et isolés propres à certains sites de production », et assuré que sa marque phare, Cristaline, n’était pas concernée.
Le parquet d’Épinal a ouvert une enquête préliminaire pour tromperie à l’encontre de Nestlé Waters à la suite des révélations de presse.
L’association de consommateurs Foodwatch a porté plainte au tribunal judiciaire de Paris, en visant Nestlé, Sources Alma mais aussi le gouvernement à qui l’organisation reproche sa « complaisance ».
Ce dernier a été avisé par Nestlé en 2021 de son recours à des traitements interdits. Il a assoupli la réglementation, et permis aux industriels d’utiliser des microfiltres avec un seuil de filtration inférieur à 0,8 micron.
Une mission sénatoriale entamera des auditions en juin pour « faire la lumière sur les défaillances de l’État ».
Quels risques pour la santé ?
« Globalement, le contrôle sanitaire des eaux conditionnées révèle un niveau de conformité élevé et les signalements documentés de toxi-infections alimentaires collectives (…) sont très rares », relève le rapport de l’Igas de 2022.
Le document relève tout de même que lorsque des traitements non conformes « ont été mis en place pour pallier un défaut de qualité de la ressource, leur retrait est de nature à engendrer un risque sanitaire, plus immédiat en cas de contamination biologique ».
C’est, semble-t-il, ce qui s’est passé sur la source Perrier à Vergèze (Gard), depuis que Nestlé s’est mis en conformité avec la réglementation.
Le préfet du Gard a sommé en avril le groupe de suspendre l’exploitation d’un forage et de détruire deux millions de bouteilles après la découverte de bactéries « d’origine fécale » quelques heures après de fortes pluies.
La microfiltration ne peut pas être une solution pour réduire les risques sanitaires, souligne aussi l’Igas.
Les inspecteurs préviennent que cela peut donner une « fausse sécurisation », car les microfiltres (0,2 micron) laissent passer les virus, voire certaines bactéries, précisent-ils, en citant une épidémie de gastroentérite en Espagne en 2016. Ils mettent clairement sur la table la notion de « pureté originelle », à une époque où les contaminants humains, agricoles et industriels pénètrent profondément dans le sol.
D’autant qu’ils ajoutent que la microfiltration est « susceptible de modifier les caractéristiques microbiologiques des eaux », sciant l’argument commercial de la pureté.
L’eau minérale est vendue en moyenne plus de 100 fois plus cher que l’eau du robinet.