Accéder au contenu principal

Grains et calandres


André FOUGEROUX, membre de l'Académie d'Agriculture de France le 28/01/2025 à 10:00
LOGO AAF

Redoutables parasites, les calandres (ou charançons) sont un souci pour la conservation des grains. Leur éradication par solutions chimiques disparait, tandis que le refroidissement des silos de grains, combiné à des méthodes complémentaires, est devenu la règle chez les organismes stockeurs.

Le terme « calandre » est dérivé du latin cylindrus, probablement en raison de la forme cylindrique de la larve. En 1758, Linné la baptisa Calandra granaria, Curculiogranarius et Sitophilus granarius, pensant sans doute avoir affaire à plusieurs espèces. Aujourd’hui, ces trois espèces initiales n’en font plus qu’une, et seul Sitophilus granarius, le charançon du blé, demeure. Ce ravageur des grains est connu depuis longtemps : Virgile nous apprend qu’il dévastait déjà les moissons en Italie. Au XVIIIe siècle, le blé constituait l’aliment de base de la majorité des Français, mais les conditions climatiques froides de cette période, ainsi que les mauvaises récoltes, avaient compromis son approvisionnement pour l’alimentation
humaine. Aussi, disettes et famines émaillèrent toute cette époque. La préservation des réserves de blé était donc un enjeu national. Las, les solutions disponibles pour se prémunir des ravages des charançons étaient bien modestes. Fin XVIIIe , la Gazette d’agriculture mentionnait la recette suivante : « Vous remplirez un grand chaudron de feuilles de persicaire âcre, vous mettrez sur les feuilles une livre et demie de sel marin, deux ou trois gousses d’ail, environ un bon seau d’eau. Vous ferez bouillir tout ensemble et vous arroserez avec cette décoction le plancher du grenier, les murs, et les tas de bled sans les remuer. »

Le fléau des greniers à grains

Après la Révolution, pour la toute jeune nation inquiète des pénuries potentielles de pain, le charançon était toujours un fléau des greniers à grains. En 1811, l’Almanach des campagnes s’en faisait l’écho, et préconisait quelques recettes – glanées à l’étranger au gré des guerres napoléoniennes – pour éviter les dégâts du redoutable ravageur : « À Berlin, on enduit à la fin de septembre, à un pied au-dessus du plancher, les pièces de bois et le contour des murs des greniers ou des magasins avec le vieux oing dont on se sert pour graisser les voitures, ou avec de la térébenthine. En Silésie, les propriétaires de grains placent sur les tas de blé des tiges de haricots ramés, garnies de 5 à 6 feuilles dont ils tournent l’envers sur le grain. Le lendemain ils trouvent ces feuilles garnies d’insectes, qu’ils font brûler. Cette opération doit être faite toutes les fois qu’on remue le blé, ce qui arrive tous les trois ou quatre jours dans la saison. On réussit aussi à détruire ces insectes en enfonçant dans des tas de blés élevés en dos d’âne, des planches garnies au sommet de chiffons ou de paille. Les charançons montent dans la garniture qu’on retire quelques heures après : en répétant ce procédé, on parvient à les détruire. Un gros paquet de sauge brulée dans un grenier bien clos et avant d’y mettre le blé, et que l’on tient clos
pendant quelques jours quand le blé est entassé, est encore au nombre de précautions indiquées par madame Gacon-Dufour , pour le garantir des charançons
. » Ces recettes – qui paraissent aujourd’hui dérisoires – ont perduré jusqu’à à la fin du XIXe siècle, le combat contre le charançon du blé étant toujours d’actualité. Il s’est compliqué avec l’arrivée d’un « cousin », Sitophilus oryzae, le charançon du riz. En 1888, dans le Dictionnaire d’agriculture de Barral, la rubrique « calandre » présente un état des connaissances concernant les calandres et les grains, et débute par une première constatation : « Différents moyens préventifs […] au moyen d’une odeur très forte qui leur fut désagréable […] ne donnent que de faibles résultats. » C’est le cas « des pyrèthres, de la camomille, du chanvre ou des écrevisses que l’on abandonne sur les tas de blé où elles se putréfient« . Le procédé qui consiste à maintenir le grenier à une température de 10 °C au moyen d’un courant d’air frais est mentionné, mais n’est possible qu’en hiver, « or nous savons qu’à cette époque les charançons sont à peu près inoffensifs. »

De nombreuses recettes peu concluantes

La chimie fait son apparition et « l’acide phénique, dont on imbibe des chiffons suspendus dans les greniers, est un moyen préservatif préférable à tous ceux qui précédent« , son odeur pénétrante faisant fuir tous les insectes. Tous les procédés de destruction ont été imaginés et mis à l’épreuve : lutte biologique au moyen « d’oiseaux exclusivement insectivores » ou lutte chimique avec « fumigations de tabac, d’acide sulfureux, sulfure de
carbone dont on imprègne la filasse
« , tous peu concluants ! Aussi va-t-on essayer « d’assommer les calandres » par des procédés mécaniques : tue-teignes, machines à battre, godets métalliques à rotation rapide, etc., mais sans plus de succès. Chauffer les grains entre 57 °C et 62 °C, pour tuer les calandres sans perdre la qualité germinative, fut aussi une option, surtout dans les grandes exploitations ; et d’ailleurs, l’exposition universelle de 1867 remit une médaille de bronze au docteur Vergier pour un appareil consistant à faire tomber le grain dans un cylindre vertical où se trouvaient deux serpentins renfermant de la vapeur d’eau et un thermomètre intérieur pour régler l’élévation de température. Par la diversité des pistes explorées, toutes ces recettes, méthodes, astuces et parfois élucubrations, illustrent combien les cultivateurs, les citoyens et les responsables nationaux étaient démunis face à ces petits « coléoptères à trompe » (en référence à leur rostre), comme les désignait l’entomologiste Jean-Henri Fabre ; dans une exagération toute méridionale, il attribuait d’ailleurs aux calandres une fécondité de 8 000 à 10 000 œufs par femelle (la réalité est entre 150 et 300), ce qui en dit long sur les pullulations qu’il avait pu observer.

Les solutions modernes

Comme en témoignent les dossiers que la revue Phytoma publie très régulièrement , les calandres sont longtemps restées un souci. Les solutions chimiques disparaissent, tandis que le refroidissement des silos de grains, combiné à des méthodes complémentaires, est devenu la règle chez les organismes stockeurs.

Pour approfondir le sujet consultez aussi