[Interview] Edouard Bergeon : « Il n’y a pas de pays sans paysans »
TNC le 25/09/2019 à 10:26
Le film Au nom de la terre, avec Guillaume Canet et Rufus, sort en salles ce mercredi 25 septembre. Il raconte le destin du père du réalisateur Edouard Bergeon, un agriculteur ayant sombré peu à peu dans la dépression, croulant sous le poids du travail et des dettes, avant de se suicider sur sa ferme poitevine. Avec ce film, Edouard Bergeon cherche à briser le tabou du suicide dans le monde agricole. Interview.
TNC : Votre film Au nom de la terre raconte l’histoire de votre famille, celle de votre père, agriculteur poitevin, qui sombre dans la dépression avant de se suicider. D’où vient ce souhait de raconter cela dans un long métrage ?
Edouard Bergeon : En fait, un producteur de cinéma – Christophe Rossignon – m’a contacté suite au documentaire Les fils de la terre que j’ai réalisé en 2012. Il est lui-aussi fils d’agriculteurs et a été touché par l’histoire. Ensemble, on a décidé d’écrire un film de fiction. Lui le produirait. Moi, j’ai pris le temps d’écrire l’histoire.
On a mis cinq ans pour sortir ce film. Il se trouve que ce film sort 20 ans après le décès de mon père, à un moment où le débat sociétal autour de l’agriculture est brûlant. Dans ce contexte, le film peut davantage toucher les gens et être davantage vu que le documentaire. Surtout avec l’acteur Guillaume Canet qui s’est engagé pleinement dans le rôle inspiré de mon père. Pour lui, ce n’est pas qu’un film. Il est touché par la cause, par tous ces paysans qui meurent.
TNC : Comment, justement, avez-vous rencontré Guillaume Canet ?
Edouard Bergeon : Également par le documentaire. Quand il est sorti en 2012, Guillaume Canet tournait un film avec Christophe Rossignon. Il a été tellement touché par le documentaire qu’il voulait lui aussi faire un film sur ce sujet en tant que cinéaste. Mon film était déjà en cours de préparation. Il nous manquait l’acteur principal. Cela s’est fait naturellement.
Voir la bande-annonce du film Au nom de la terre, d’Edouard Bergeon, avec Guillaume Canet et Rufus :
TNC : Il y a eu d’autres films – souvent plus légers – traitant du monde agricole. Mais, avec le vôtre, il n’y a jamais eu autant d’échos pour une cause, pour ce tabou qu’est le suicide des agriculteurs. Qu’est-ce que vous attendez de la sortie de votre film ?
Edouard Bergeon : J’espère évidemment que les gens viendront le voir. Et j’espère qu’il y ait une réelle prise de conscience qu’il faut soutenir nos agricultures et consommer différemment, car notre assiette que nous avons trois fois par jour devant nous, c’est notre alimentation et notre santé.
Voulons-nous de la bouffe qui vient du bout du monde et qui est dégueulasse, ou voulons-nous défendre une autosuffisance alimentaire avec des agriculteurs qui vivent de leur métier ?
Je souhaite que les gens comprennent l’importance de consommer des produits de saison, en circuits de proximité avec des agriculteurs qui travaillent bien. Or travailler bien, pour les agriculteurs, ça coûte de l’argent. Les agriculteurs aimeraient faire encore plus de qualité, mais, à un moment donné, si la qualité n’est pas payée, ce n’est pas possible.
J’espère que les citoyens et les politiques – avec un grand « P » – fassent changer certaines choses pour sanctuariser les frontières agricoles de l’Europe, pour que notre agriculture ne soit pas attaquée par d’autres agricultures de moins bonne qualité.
TNC : Vous défendez donc une « exception » agricole ?
Edouard Bergeon : Oui ! En France, nous avons été capables de le faire pour le cinéma. Je pense qu’on est capable de le faire pour notre agriculture. Il faut au moins instaurer un protectionnisme agricole européen.
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TNC : Vous avez participé à plus de 80 projections-débats en avant-première ces derniers mois, dont l’une à l’Elysée, avec Emmanuel Macron. Qu’a-t-il pensé de votre film ? Qu’attendez-vous de lui ?
Edouard Bergeon : Je pense qu’il a été très touché par le film. J’attends d’eux qu’il y ait d’abord une prise de conscience. C’est d’abord leur raconter ce qui se passe dans les campagnes et dans les fermes. Beaucoup de gens m’ont dit, après avoir vu le film « Ah, mais, on ne croyait pas que… »
Après la prise de conscience, il faut du débat, du soutien à des associations comme Solidarité paysans, revoir les retraites des agriculteurs, les pensions de réversion et l’accompagnement des agriculteurs en difficulté.
TNC : Aux consommateurs, qu’avez-vous envie de leur dire ?
Edouard Bergeon : Que c’est eux qui peuvent faire changer les choses, en achetant des produits de saison, en circuits plus courts, en mangeant moins – mais mieux – de viande.
Dans le panier d’un consommateur, il y a seulement 17 % consacré à l’alimentation. Il faut que les gens acceptent d’y consacrer plus de budget. Ils devraient réapprendre à acheter et cuisiner des produits bruts pour mieux manger. Il faut que l’alimentation redevienne un pilier fort de notre vie au quotidien.
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