La matière organique : son rôle essentiel pour la fertilité
Philippe VIAUX, membre de l'Académie d'Agriculture de France le 14/06/2024 à 16:58
La matière organique (MO) joue un rôle central dans la fertilité des sols : - Elle fournit, par minéralisation, une grande partie des éléments minéraux indispensables à la croissance des plantes (azote, soufre, phosphore, etc.). - Elle améliore la structure du sol et sa stabilité vis-à-vis des agressions extérieures (pluie, température…), et facilite ainsi la circulation interne de l'air et de l'eau. - Elle limite l'érosion hydrique et éolienne, et sert aussi à augmenter la réserve en eau et à soutenir l'activité biologique. - Elle permet d'améliorer la capacité d'échange en cations (la capacité de stockage des cations Ca++, K+ , Mg++, etc.) - Enfin, grâce à la coloration plus sombre de la MO, elle favorise le réchauffement du sol. Dans les sols métropolitains, la teneur en MO est extrêmement variable d'un sol à l'autre : de 1 % à 10 % de carbone, soit de 1,72 % à 17.2 % de MO.
Les différents états de la matière organique des sols
On désigne ainsi tous les produits carbonés vivants ou issus du vivant trouvés à l’analyse d’un sol. Sur le plan chimique, ces produits sont extrêmement divers et encore mal connus. On peut classer l’ensemble de la MO du sol de plusieurs manières possibles, et nous proposons d’utiliser une classification simple basée sur la vitesse d’évolution (le turnover) des différentes fractions (Figure 1A).
On distingue :
– La matière organique vivante, aussi dite fraîche, qui englobe la totalité de la biomasse en activité (racines, résidus de culture, vers de terres, microflore du sol) et représente 1 % à 2 % du carbone contenu dans un sol agricole. Elle a un turnover rapide : de 6 mois à 3 ans.
– La matière organique facilement décomposable à turnover de 2 à 30 ans, surtout constituée de composés organiques intermédiaires issus de l’activité de la biomasse microbienne (évolution de la MO fraîche). Elle représente 20 % à 30 % du carbone du sol, et est la partie qui participe le plus à la fertilité chimique du sol (minéralisation de l’azote, du phosphore, etc.) ; mais elle est la plus sensible aux pratiques agricoles (rotation,
travail, apports organiques exogènes) qui conduisent au stockage ou au déstockage de la MO.
– La matière organique stable a un temps de résidence supérieur à 30 ans : composés organiques stabilisés, acides humiques, humines, composés phénoliques regroupés sous le terme d’humus stable, provenant de l’évolution des matières précédentes. Elle est protégée de la dégradation par association intime avec les limons et les argiles (on parle de complexe argilo-humique), et sa composition la rend résistante à la dégradation.
En général, elle est en proportion majoritaire dans les sols cultivés, et représente de 70 % à 90 % de la MO. Malgré son qualificatif de « stable », elle se décompose lentement, à l’échelle de la vie humaine, et sa minéralisation lente contribue sur le long terme aux émissions de gaz à effet de serre.
Le devenir de la matière organique dans le sol
La Figure 1B schématise le devenir de la MO fraîche dans le sol. Une partie se minéralise rapidement en CO2, NO3 , NH4 + , SO4 2- , PO4 3- , etc. Une autre partie va être stockée sous forme de MO relativement stable (demi-vie de 2 à 30 ans) – on parle d’humification –, puis une partie de cette dernière se transforme en MO très stable (> à 30 ans) ; ces deux dernières fractions minéralisent avec des dynamiques plus ou moins rapides.
La minéralisation de la matière organique
La minéralisation de la MO, fraîche ou humifiée, libère des éléments indispensables à la croissance des plantes (azote, phosphore, potasse, soufre, etc.) et compense en partie leurs exportations par les récoltes. Généralement les apports d’engrais organiques étant insuffisants pour compenser, on a recours à des apports d’engrais minéraux (sauf en agriculture biologique, voir l’encadré en page 3). Le rapport « carbone sur azote » (C/N) de la MO donne une bonne indication de son aptitude à minéraliser ; il atteint des valeurs > 20 dans les sols qui minéralisent mal.
Un rapport C/N de 10 est considéré comme correct pour un sol agricole. Au cours des cinquante dernières années, on a observé une baisse du rapport C/N dans les sols cultivés en France, en raison de la généralisation des apports d’engrais azotés : il est descendu de 15-12 à 10, ou même 8 dans de nombreuses situations ; or un C/N de 8 est considéré comme trop faible, car il conduit à des minéralisations excessives de l’azote à certaines périodes et risque d’entraîner des fuites de nitrates dans les eaux.
L’humification
La MO fraîche est constituée par des apports organiques externes (fumiers, lisiers, compost, etc.) et par des résidus de cultures non récoltés ; ce peut être aussi des plantes entières, dites plantes de services (cultures pièges à nitrates, engrais verts, cultures associées non récoltée). Ces MO sont constituées de molécules carbonées (essentiellement cellulose pour les plantes annuelles, et lignine pour les plantes pérennes) et d’éléments minéraux (N, P, K, Ca, Mg, etc.). Les produits organiques incorporés sont caractérisés par le rapport C/N qui détermine leur devenir.
Dans un premier temps, l’eau de pluie dissout les composés les plus solubles : sels minéraux, sucres simples, acides aminés. La cellulose est décomposée par la microflore en sucres servant d’aliments énergétiques aux microorganismes, avec production de CO2 et H2O. Si les résidus sont riches en azote, la décomposition est rapide (C/N < 20, cas général des légumineuses, des feuilles de betteraves, des engrais verts). S’ils sont pauvres en azote (cas des pailles de céréales avec un C/N proche de 80), la décomposition est plus lente, et les micro-organismes utilisent l’azote minéral du sol, ce qui peut créer un manque d’azote pour la culture. La cellulose est généralement dégradée à 90 % dans l’année qui suit ; dans des sols bien aérés à pH 7, la dégradation de la lignine est plus lente.
Une partie des glucides est utilisée par les bactéries pour synthétiser de longues chaînes ramifiées. Ensuite, des réactions condensent ces produits pour produire de l’humus stable (acides humiques et humines), selon un processus dit « humification ». Dans les milieux acides (pH < 5) ou asphyxiants (excès d’eau), la décomposition de la cellulose est incomplète et conduit à l’accumulation de MO non décomposée (cas des tourbières).
La matière organique et la fertilité des sols
La MO augmente la stabilité structurale
La MO améliore la structure de tous les sols, et est particulièrement importante pour ceux qui sont très argileux ou très limoneux. Son apport dans un sol argileux permet de le stabiliser (formation du complexe argilo-humique) et d’avoir des petits agrégats, facilitant la circulation de l’air et de l’eau, et rendant le travail plus facile. Dans les sols limoneux ou limono-sableux (teneur en argile < 15 %), une faible teneur en MO favorise la battance : sous l’effet de la pluie, les agrégats fragiles explosent et libèrent des particules fines, qui ensuite, au cours d’une sècheresse, reprendront en masse, avec formation d’une croûte de battance imperméable, favorisant le ruissellement. Dans ces sols fragiles, la teneur en MO devrait atteindre 2,5 à 3 % pour limiter ces risques ; une forte fumure organique ou l’introduction d’une prairie de longue durée (3 à 5 ans) permet alors de limiter ce phénomène en renforçant la cohérence des structures argilo-humiques.
La MO augmente la CEC (capacité d’échange en cations)
La CEC d’un sol est la quantité de cations qu’il peut retenir sur son complexe adsorbant ; elle est exprimée en milliéquivalent par 100 grammes de sol. La MO du sol a une CEC comprise entre 150 à 300 meq/100 g ; les ions adsorbés peuvent être libérés pour la nutrition des plantes, aussi une CEC élevée permet une meilleure alimentation. L’apport de MO permet d’augmenter la CEC, limitant ainsi le lessivage des cations (K, Ca, Mg, etc.), en particulier dans les sols sableux. Les sols argileux (illites ou chlorites) ayant une faible CEC (inférieure à 40 meq/100 g), l’apport de MO est particulièrement utile.
Les effets positifs de la MO sur le stockage de l’eau
La MO du sol a un important pouvoir de rétention en eau : elle peut retenir jusqu’à 5 à 6 fois son poids. Les apports de MO permettent donc d’augmenter la capacité de rétention, cas particulièrement nécessaire dans les sols sableux ou limono-sableux. L’apport de matière organique augmente l’activité biologique des sols La décomposition des MO fraîches favorise le développement de presque tous les organismes vivants dans le sol. Cette activité biologique, en permettant une bonne incorporation des MO, est responsable de la minéralisation qui libère les éléments minéraux nécessaires à la croissance des plantes.
Académie d’Agriculture de France (academie-agriculture.fr)
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