Le jardinage pédagogique : de l’agriculture à la transition écologique
Christian SABER, membre de l'Académie d'Agriculture de France, et Dominique DAVIOT le 27/12/2024 à 11:00
Un jardin pédagogique est un support concret pour la découverte du vivant, l’éducation au développement durable, à l’alimentation et au goût. Pour les enfants, le jardinage est source d’apprentissages, il favorise la créativité et la socialisation avec des projets définis et menés collectivement. Les objectifs des jardins pédagogiques évoluent en fonction des principaux enjeux de la société. En France et en Europe, ils intègrent de plus en plus les thèmes liés à la biodiversité, aux transitions alimentaires et agroécologiques.
Le jardin a toujours été un lieu d’apprentissages. Les objectifs pédagogiques sont multiples et évoluent en permanence selon les besoins et les préoccupations de la société. Cette fiche est consacrée au jardinage pour les enfants et publics scolaires. L’apprentissage des techniques de culture (productions végétales, potagers, fruitiers) était essentiel il y a 150 ans pour une société rurale. Aujourd’hui, notre société urbaine est confrontée à de nombreux défis : environnement, changement climatique, biodiversité, utilisation des ressources, pratiques agricoles. Tous ces enjeux sont devenus les principaux objectifs éducatifs.
Les jardins médiévaux vers la botanique et la médecine
Les jardins médiévaux présentaient en carrés les plantes médicinales, condimentaires et potagères ; les élèves des abbayes et des monastères y découvraient les propriétés des plantes essentielles à la nutrition et à la santé. Ces jardins, connus également pour représenter symboliquement l’harmonie du monde, étaient des lieux de méditation et de spiritualité.
Les jardins scolaires pour produire fruits et légumes
Dès 1847, les instructions ministérielles ont préconisé la mise en place d’un jardin scolaire dans chaque école ; ainsi, 27 000 écoles auront un jardin. Entre 1863 et 1869, Victor Duray, ministre de l’Instruction publique, encourageait toutes les écoles normales à posséder un jardin de rapport (productif). L’objectif était clair : les instituteurs devaient promouvoir « les bonnes méthodes de culture avec les meilleures espèces de fruits et de légumes ». En effet, les fruits et légumes représentaient plus d’un tiers de l’alimentation des Français. En 1887, toutes les écoles primaires rurales devaient disposer d’un jardin, avec une formation pratique sur la préparation du sol, les plantations, l’entretien des cultures.
L’éducation nouvelle par l’expérience
Au début du XXe siècle, de nouvelles méthodes d’éducation placent l’enfant en situation d’apprentissages autonomes. Ainsi, le jardin devient un lieu de participation active et de responsabilité individuelle. Dans la pédagogie Montessori, chaque enfant y développe son sens de la découverte et du respect de la nature. Avec la méthode Freinet, les enfants, au-delà d’activités autonomes, collaborent ensemble pour créer un jardin, planter, entretenir, récolter. Pour un autre pédagogue, Ovide Decroly, l’éducateur a pour rôle – autour des activités concrètes de jardinage – d’en tirer profit avec les enfants pour développer les apprentissages. En 1996, sous l’impulsion de Georges Charpak (prix Nobel de physique), le programme La main à la pâte est lancé pour promouvoir une pratique active et raisonnée des sciences et de la technologie, où le jardinage à l’école est une porte ouverte sur les sciences.
L’amélioration du cadre de vie scolaire
En 1968, l’Office central de la coopération à l’école (OCCE) et la Fédération des délégués départementaux de l’éducation nationale (FDDEN) lancent le concours national des écoles fleuries. Les élèves peuvent ainsi être acteurs du cadre de vie de leur école (maternelle, primaire ou collège), avec des projets portant sur les aménagements intérieurs et extérieurs. Ce concours valorise le travail collectif des enseignants et des élèves de l’enseignement public, ainsi que celui dans les établissements relevant de l’adaptation scolaire et de la scolarisation des élèves handicapés. Il mobilise chaque année 70 000 élèves sur l’ensemble du territoire.
Le jardinage et les objectifs pédagogiques
Les enseignants s’engagent dans des projets de jardinage pour de multiples apprentissages :
- découvrir la vie des plantes par l’observation de la croissance, de la reproduction, des cycles de vie ;
- développer des activités corporelles par la préparation des sols, la réalisation des semis et plantations, les tailles et récoltes, l’utilisation d’outils de jardinage et les gestes adaptés ;
- l’éducation sensorielle par les formes, le toucher, les couleurs, les goûts, les bruits ;
- l’utilisation des mathématiques par des activités de tri, de classement, de mesure, de calcul, de structuration dans l’espace et dans le temps;
- l’écriture, la lecture, l’expression orale par les catalogues, les fiches, les modes d’emploi, les conseils de semis et de plantations, la présentation du projet et de la réalisation du jardin ;
- les activités artistiques : dessin, peinture, chanson, poème, musique, danse, confection de bouquets.
Ces objectifs pédagogiques sont adaptés à l’âge et au niveau des enfants. Ils évoluent selon les saisons et les types d’activités, intérieures ou extérieures.
Le jardinage et le développement durable
Le développement durable intègre la biodiversité, les écosystèmes, les cycle de l’eau et du carbone, le changement climatique, l’empreinte écologique, l’environnement et le paysage, la santé environnementale et l’agroécologie. Le jardin pédagogique permet d’aborder les complémentarités entre les plantes associées et les équilibres et associations entre les plantes et la petite faune (parasites ou auxiliaires). Au jardin, les enfants observent le rôle des insectes pollinisateurs pour les plantes à fleurs. Ils découvrent les chaînes alimentaires des animaux du jardin (hérissons, insectes et larves, papillons et chenilles, oiseaux, abeilles, limaces et escargots). Pour l’eau, les enfants sont initiés aux techniques d’arrosage, à l’adaptation aux besoins des plantes, à la limitation de l’évaporation par le paillage, à la récupération et au cycle de l’eau. Ils apprennent les techniques qui favorisent la vie végétale et animale et qui entretiennent la richesse et la fertilité des sols.
La lutte contre le changement climatique
Depuis quelques années, l’importance et la fréquence des canicules, les îlots de chaleur en ville, l’artificialisation des sols et la gestion des eaux pluviales conduisent à une réflexion des collectivités sur l’aménagement des cours d’école et leur végétalisation. À la place de carrés potagers
vite desséchés, les enfants pourraient disposer d’espaces plus vastes, favorables au bien-être, à la santé, au développement personnel et aux apprentissages. Ces aménagements peuvent comprendre des pelouses, des arbres, des prairies fleuries, des espaces naturels dédiés à la biodiversité. Au niveau européen, le projet Coolschools analyse les différentes solutions fondées sur la nature, pour aider les écoles à s’adapter au changement climatique avec quatre villes pilotes : Paris, Rotterdam, Bruxelles et Barcelone. À Paris, les cours d’écoles et de collèges représentent plus de 70 hectares principalement asphaltés et imperméables, qui sont d’importants îlots de chaleur urbains. Le Conseil d’Architecture, d’urbanisme et de l’environnement (CAUE) de Paris a défini des projets de cours « Oasis » qui proposent des espaces plus naturels et adaptés aux besoins des enfants. De nouvelles surfaces végétalisées sont réalisées, avec des plantations d’arbres, des toitures et des murs végétalisés, des jardins pédagogiques, des vergers, des cabanes végétales. À Paris, en 2024 et depuis 10 ans, 131 cours « Oasis » ont ainsi été aménagées.
L’éducation à l’alimentation
Cuisiner les jardins est un guide pratique édité par la Direction de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt d’Auvergne. Les enfants découvrent les sources de leur alimentation et sont sensibilisés à l’alimentation durable. Des ateliers cuisine permettent de développer les sens (toucher, goût, parfums) et d’acquérir des notions de nutrition, de santé, de gaspillage alimentaire. Des jardins pédagogiques relaient l’opération De la graine à l’assiette qui a pour but d’informer sur l’alimentation et le réchauffement climatique, le gaspillage alimentaire, la découverte des céréales et des légumineuses, la consommation des fruits et des légumes de saison.
Un lien intergénérationnel
Le jardinage permet aux enfants, aux parents et aux personnes âgées de cultiver ensemble et de partager des expériences, ce qui renforce les liens entre générations. Les adultes apportent leur expérience, et les enfants leur énergie, leur spontanéité et leur curiosité. Ces transmissions entre générations existaient autrefois, surtout dans les zones rurales. Aujourd’hui, beaucoup de familles sont dispersées géographiquement, ce qui rend ces échanges plus difficiles. Progressivement, des collectivités locales, des associations, des structures médicales, des EHPAD développent des jardins qui associent les différentes générations. Sur la photo ci-contre, des résidents de l’EHPAD jardinent avec les enfants du périscolaire.
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