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Les besoins d’évolution des agroéquipements pour en faciliter l’usage par les femmes


H. DEFRANCQ, G. WAKSMAN et A.-Ch. DOCKÈS, membres de l'Académie d'Agriculture de France le 27/03/2025 à 10:00
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Une meilleure adaptation des machines agricoles aux besoins des femmes se fera sans doute plus par nécessités commerciales que par voies réglementaires. Aussi, la sensibilisation des constructeurs et distributeurs de matériels agricoles sur le sujet est essentielle. La MSA devrait jouer un rôle moteur dans cette démarche, en travaillant avec les agricultrices et salariées agricoles pour coconstruire et communiquer sur la définition des besoins et attentes. L'Axema (syndicat français des acteurs industriels de l'agroéquipement et de l'agroenvironnement) et le Sedima (syndicat français des distributeurs de machines agricoles) seront en première ligne sur ce sujet.

Les enjeux de pénibilité des tâches, en particulier celles liées à l’usage des outils et machines, sont ressentis de manière différente par les hommes et par les femmes. Pour celles-ci, le constat en 2024 est que l’équipement agricole n’est pas suffisamment adapté aux femmes !

Ce constat a amené la CCMSA a émettre la proposition suivante, dans son Livre blanc sur les femmes en agriculture : « Proposition 9 : Obtenir une parité dans les commissions d’homologation du matériel, pour intégrer de nouveaux critères (morphologie, poids du matériel, etc.) ».

En élevage

En élevage, d’un point de vue non genré, les solutions permettant de réduire la pénibilité du travail sont connues, mais peuvent nécessiter des investissements significatifs. Par exemple :

  • surveillance des vêlages par caméra pilotée à distance ;
  • plancher de salle de traite de hauteur variable en fonction de la taille de l’opérateur ;
  • robots autonome de fabrication et de distribution des aliments ;
  • robots permettant de racler la litière, ou permettant de repousser le fourrage ;
  • robots de nettoyage des animaux ;
  • robots de traite ; efficaces, ceux-ci nécessitent cependant un suivi rapproché, parce qu’ils génèrent beaucoup d’alertes non fondées mais transmises vers le smartphone des éleveurs, générant donc beaucoup de stress ;
  • balles rondes, qui ont un côté miraculeux pour ceux et celles qui ont connu les foins d’avant l’introduction de la grosse presse à balles rondes par l’américain Gary Vermeer en 1971 ; combinée avec l’adoption de solutions de manutention, elle a changé, en mieux, la vie de millions d’agriculteurs et agricultrices.

En productions végétales

Cas des gros matériels En productions végétales, si la conduite des tracteurs et autres machines automotrices pose beaucoup moins de problèmes qu’à la fin du XXe s., la question de la pénibilité n’a toutefois pas été abordée sous l’angle des différences entre hommes et femmes.

De plus, dans beaucoup d’exploitations, on conserve encore, à des degrés divers, des matériels anciens (de taille moindre) demandant de réels efforts physiques lors de leur utilisation ; et il y a peu de solutions économiquement attractives pour améliorer ces matériels.

Bien entendu, les équipements de taille importante ne sont plus manipulables directement par les hommes ni par les femmes, aussi est-il nécessaire de recourir à une assistance mécanique, permettant alors de les rendre utilisables indifféremment par les hommes ou les femmes.

En ce qui concerne les spécifications des équipements, il convient de clarifier ce qui fait l’objet d’homologation : les tracteurs sont soumis à réception selon une directive européenne, et les machines sont soumises à l’auto-certification CE en matière de sécurité d’emploi.

Les points d’attention portent plus sur les aspects dimensionnels : préhension, hauteur de la première marche par rapport au sol, écartement entre marches pour accéder au poste de conduite, champs de vision impactés par la taille de l’opérateur ou opératrice, accès aux points de connexion pour les liaisons hydrauliques ou électriques, voire aux différents éléments du poste de conduite.

Voici quelques exemples de propositions de solutions.

Accès au poste de conduite d’un véhicule agricole :

En matière d’accès au poste de conduite, il faut faire un compromis entre « abaisser la première marche de l’accès » et « préserver un dégagement suffisant pour éviter l’endommagement par contact avec le sol« . Des solutions d’escaliers télescopiques ont été proposées, mais il semble que le milieu agricole n’ait pas été réceptif à cet équipement.

Accès aux commandes et vision depuis le poste de conduite :

Comme pour une voiture, des réglages permettent d’optimiser la position du siège en fonction des commandes, pour s’adapter à la taille de l’opérateur. Cependant le cas du tracteur est particulier, car il faut une bonne visibilité sur l’avant pour conduire et une bonne visibilité sur l’arrière pour surveiller le travail de l’outil associé. Cette criticité est variable en importance en fonction de la taille du véhicule.

On comprend que le champ de vision se trouve réduit pour les personnes de petite taille et que, si l’opérateur avance le siège pour accéder aux pédales, sa visibilité sur l’arrière est réduite. Une possibilité serait de rendre mobile l’ensemble volant-pédales pour que le siège n’ait pas à avancer afin de préserver la visibilité sur l’arrière, mais alors la visibilité sur l’avant au niveau du sol (importante pour la conduite entre rangs de culture)
serait réduite : il faudrait alors pouvoir surélever l’ensemble du poste de conduite, à l’intérieur de la cabine, pour préserver les angles de vue, indépendamment de la taille de l’opérateur.

Ces remarques illustrent la difficulté de trouver une réponse économiquement satisfaisante, en particulier si les solutions proposées ne trouvent pas de marché, comme on l’a vu pour le marchepied télescopique. Sans doute l’ajout de caméras pour faciliter la vue sur les zones cachées, comme dans nos voitures, est la possibilité la plus simple.

La connexion des tracteurs avec leurs outils couplés :

Un exemple significatif est le cas de l’accrochage-décrochage des outils attelés en 3 points sur un tracteur. Aux États-Unis, John Deere et Case IH – qui dominent depuis mi-XXe le marché des tracteurs – proposent une gamme longue de machines agricoles. Le principe d’un cadre d’attelage automatique (Quick Coupler), permettant d’accoupler les outils sans quitter le poste de conduite, a pu s’imposer car les constructeurs spécialisés ont dû harmoniser leurs attelages d’équipements pour que les agriculteurs les adoptent en alternative à l’offre des full liners de ces deux constructeurs. La liaison est ainsi permise, quel que soit l’outil respectant sa catégorie d’attelage normalisée, tout en ayant des différences de réalisation de ces cadres d’attelage. En Europe, en l’absence de domination par un ou deux leaders, il n’y a pas eu le même niveau d’harmonisation des attelages d’équipements. Depuis les années 1970, des constructeurs ont essayé de développer des systèmes pour coupler et découpler des outils à distance, mais aucun de ces systèmes n’a trouvé son marché, alors que les dimensions des éléments de liaisons – côté tracteurs et côté outils – relèvent de normes.

Treuils pour soulever les parties lourdes :

L’existence de treuils – à installer à l’arrière du tracteur – permettant de soulever les parties lourdes montre que des entreprises proposent des
systèmes destinés à faciliter les manipulations (innovation primée au SIMA 2019).

Cas des petits matériels :

Afin de diminuer la pénibilité pour les femmes, il faudrait, en priorité, considérer le dimensionnement des équipements qui requièrent de la force ou une grande taille lors de leur mise en œuvre, tels :

  • les appareils portatifs, assistés ou non, par exemple, pour les sécateurs : leur facilité de préhension,
    leur poids tout compris, et leur autonomie ;
  • appareils utilisés directement : brouette, seau, container, racks, conditionnement matière-poids des
    sacs, etc.) pour les activités à forte composante manuelle.

Remarquons que la répartition des tâches au sein des couples d’agriculteurs fait que les femmes sont très concernées par ces tâches à forte composante manuelle. Voici quelques exemples de propositions de solutions.

Les seaux :

Le souhait d’un seau plus petit (pour réduire la charge) est compréhensible. Les choix sont nombreux, si le même seau est utilisé par des hommes et des femmes, cela impose aux hommes plus de voyages comparativement à l’utilisation d’un seau de plus grande taille. On pourrait objecter qu’il n’est pas obligatoire de remplir le seau lorsqu’il est utilisé par une femme, cependant la taille du seau détermine son diamètre : il faut donc plus écarter le bras si le seau est large, ce qui génère une plus grande fatigue. Un compromis permettant une utilisation indifféremment par les hommes et les femmes, sans ajouter de fatigue, consiste à choisir un seau de forme ovale. Le choix existe, sans forcément être à coût plus élevé : en décambre 2024, sur un même site et pour un seau de 18 litres, le prix est de 4,99 € HT pour un seau rond, et de 4,43 € HT pour un seau ovale. Mais la recherche se complique si l’on souhaite une autre orientation de la poignée !

Les brouettes :

On trouve sur le marché des brouettes genrées, mais ce qui en fait la différence n’apparaît pas clairement, hormis le prix ! Il y aurait pourtant matière à différenciation, comme la hauteur des poignées, afin de pouvoir soulever la brouette sans avoir à plier les bras pour les personnes de moindre taille, et aussi la basculer facilement pour la vider (distance entre l’appui de la roue et les poignées). Les photos ci-dessus montrent l’importance de vérifier les caractéristiques avant achat.

Quelques propositions pour réduire la pénibilité de l’utilisation d’équipements agricoles

À une époque où hommes et femmes travaillent sur l’exploitation, il est indispensable de faire s’exprimer les femmes, afin de comprendre leurs besoins en matériels et équipements mieux adaptés. Le cas des sursquelettes – qui permettent d’intensifier la force d’un mouvement humain – est emblématique : les équipements existent, mais la façon dont ils enrobent le corps n’est pas compatible avec la présence de seins !

Les actions suivantes sont à considérer.

  • Former à l’expression des besoins, par les femmes, afin de construire des références argumentées permettant de guider la sélection, à partir de critères de choix, avant les décisions d’achats.
  • Communiquer ces critères auprès de fournisseurs pour les intégrer lors des processus de développement et proposer des équipements correspondant à ces attentes, tout en essayant d’évaluer le potentiel économique de ces propositions pour motiver les fournisseurs à investir sur ces sujets. La prise en compte des besoins des femmes ne devrait pas aboutir à une coûteuse segmentation du marché. Mais l’introduction de règles supplémentaires, indépendamment des critères de choix qui déterminent aujourd’hui l’achat, ne règlera pas le problème parce que la décision d’achat porte évidemment sur de multiples critères.
  • Impliquer davantage les femmes dans le processus de sélection des équipements lors des achats.
  • Construire et diffuser un répertoire des offres disponibles par type de besoins