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Les multiples conséquences du changement climatique pour l’agriculture mondiale


André NEVEU, membre de l’Académie d’Agriculture de France le 20/12/2024 à 10:00
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Avec le réchauffement climatique, les problèmes auxquels seront confrontés tous les agriculteurs du monde seront immenses, ce qui les contraindra à d’importants changements. Il en sera de même des entreprises d’amont et d’aval, mais aussi des consommateurs et souvent des gouvernements. Une mobilisation générale de tous les intervenants sera nécessaire pour réduire les difficultés mondiales alors que le contexte géopolitique est devenu de plus en plus incertain.

Un climat plus chaud et plus instable va profondément perturber les conditions de production
agricole, alors que cette activité requiert la stabilité et la modération. Il en résultera une cascade de
conséquences pour les agriculteurs du monde entier, pour les activités liées à l’agriculture et pour les
consommateurs.

Neuf grands domaines de conséquences du changement climatique, s’enchaînant les uns aux autres, ont été
répertoriés.

Une diminution des surfaces cultivées ou pâturées

Avec le réchauffement climatique, de nombreux territoires vont devenir impropres à toute activité agricole,
ou verront leur potentiel de production se dégrader. Ce sera le cas dans les pays méditerranéens ou du MoyenOrient, déjà soumis à des sécheresses de plus en plus sévères. De même, les zones irriguées du continent
indien ou du Sud-Est asiatique subiront des pluies souvent trop abondantes ou trop brutales qui anéantissent
les récoltes. La montée des eaux des océans conduira également les grands deltas asiatiques à renoncer à toute
activité agricole.
En revanche, des espaces jusqu’à ce jour considérés comme inaptes à toute activité agricole, comme la
Sibérie ou le Nord canadien pourront peut-être être exploités avec profit.
Mais au total, les pertes de territoire seront beaucoup plus importantes que les éventuels gains.

Une inévitable baisse de la production

Sur une superficie exploitée devenue réduite, une baisse de production est inévitable. Elle peut être
compensée par une intensification dans les régions les plus favorisées ; c’est envisageable mais difficile, au
moins dans les régions où les rendements sont déjà très élevés – comme en Europe occidentale ou en Chine –
car pas plus qu’ailleurs ces pays ne sont à l’abri des effets du réchauffement climatique. En revanche, dans
d’autres régions où les rendements sont encore réduits, ils peuvent tout à fait augmenter.
Néanmoins, pour éviter la multiplication de situations catastrophiques pour les populations défavorisées, il
serait nécessaire de réduire la part de la production de grains destinée aux animaux et à la production de
biocarburants, pour la réorienter directement vers l’alimentation humaine. Face à une population mondiale qui
continue de croître, un tel choix éviterait des catastrophes humaines et sociales.

Des prix de marché plus élevés et plus volatils

Toute diminution, même modérée, d’une production agricole conduit inévitablement à une hausse des prix
sur les marchés internationaux, et cette hausse s’accompagne toujours d’une volatilité accrue de ces prix. C’est
une aubaine pour les pays excédentaires et une opportunité pour les spéculateurs, mais une source de difficultés
pour les consommateurs. Sans doute s’agit-il d’un moindre mal pour le cacao, le café ou le jus d’orange, mais
des hausses sur les prix des céréales, des huiles, du sucre ou des produits laitiers pénaliseront lourdement les
populations urbaines à bas revenus.

Des échanges commerciaux plus actifs

Depuis plusieurs décennies, le commerce international des produits agricoles est en croissance régulière,
croissance qui ne devrait pas être perturbée par le réchauffement climatique, bien au contraire. En effet, la diminution de la production dans les pays lourdement pénalisés augmentera mécaniquement les achats auprès
des pays excédentaires. Les gouvernements concernés seront contraints de procéder à ces acquisitions afin
d’approvisionner les marchés domestiques, évidemment dans la mesure où leurs ressources financières le leur
permettront.

La constitution de stocks de produits agricoles

Pendant longtemps, seuls les pays du Sud-Est asiatique (principalement la Chine) ont constitué
d’importants stocks de céréales ou d’oléagineux à titre de précaution en cas de mauvaises récoltes. Ces
opérations coûteuses semblaient inutiles, et même étaient fortement découragées dans nos économies
modernes et mondialisées, car les pays excédentaires devaient assurer en permanence les besoins des pays
déficitaires.
Face à la multiplication des aléas de toutes natures et à la probable volatilité des prix, cette position ne sera
plus tenable : beaucoup de gouvernements s’évertueront de constituer leurs propres stocks de produits
agricoles, notamment de céréales, pouvant ainsi espérer sécuriser les approvisionnements de leur marché
domestique et prévenir les éventuelles pénuries.

Des industries agroalimentaires de plus en plus présentes

Un commerce intercontinental plus actif, d’énormes stocks dans les grands ports, des débouchés dans la
grande distribution sont très positifs pour l’activité des industries agroalimentaires. Celles-ci devront traiter
ces domaines au moindre coût.
On doit craindre qu’elles offrent à des consommateurs urbains – nombreux mais aux revenus souvent très
modestes – principalement des produits ultra-transformés. Par exemple, la viande trop chère sera en partie
remplacée par des substituts bon marché, les fruits et les légumes frais deviendront rares car trop coûteux, et
l’huile de palme sera de plus en plus utilisée1. La place réservée aux productions locales ou biologiques sera
réduite ou réservée à quelques privilégiés.

L’impossibilité de compenser les pertes des récoltes

Dans les pays développés, les agriculteurs bénéficient aujourd’hui de systèmes de protection relativement
efficaces contre les pertes financières résultant des aléas climatiques. Ces systèmes relèvent soit de l’État, soit
d’assurances privées, soit d’une combinaison des deux.
Mais si ces aléas se multiplient et s’aggravent, ces mécanismes deviendront vite insuffisants ou trop
coûteux. Ainsi en France, le système mis en place en 2023 pour couvrir les pertes dues aux mauvaises récoltes
de l’année suivante semble déjà dépassé. Plus généralement, ce sont en fait tous les systèmes de protection
qui sont menacés. Il est donc à craindre qu’à l’avenir, les agriculteurs sinistrés soient contraints de se contenter
de modestes aides d’urgence. Il est vrai aussi que dans les pays pauvres, même ces aides sont inexistantes.

Un grand bouleversement du prix des terres agricoles

Lorsque les conditions de production deviennent trop aléatoires, le prix des terres ne peut que s’effondrer,
ce qui risque d’advenir dans bien des régions du globe. À l’inverse, les terres susceptibles de bénéficier
régulièrement de bonnes récoltes verront leurs valeurs augmenter, peut-être dans des proportions
considérables.
La possibilité d’avoir recours à l’irrigation constituera évidemment un avantage supplémentaire, et de telles
terres seront même recherchées par certains États pour sécuriser leurs approvisionnements, et par des fonds
d’investissements avides d’en tirer de bons profits.
Évidemment, le prix des loyers évoluera dans le même sens que le prix des terres.

Des gouvernements obligés de devenir plus interventionnistes

L’approvisionnement régulier des marchés domestiques constituera une priorité pour de nombreux
gouvernements, qui seront souvent contraints de prendre des initiatives très variables en fonction du contexte
local et aussi de leurs moyens financiers. Ce pourra être :

  • des contrats de longue durée avec les pays excédentaires,
  • la constitution de stocks de sécurité,
  • le développement de diverses cultures sur le territoire national afin de réduire les importations,
  • des subventions sur les produits de première nécessité pour les populations les plus défavorisées,
  • et, bien sûr, toujours la lutte contre les pertes ou les gaspillages.