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L’intelligence artificielle (IA) est-elle devenue indispensable en agriculture ?


Guy WAKSMAN, Hubert DEFRANCQ et René AUTELLET, membres de l’Académie d’Agriculture le 20/02/2025 à 10:00
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Les utilisations en agriculture des outils de l’IA se multiplient et entrent progressivement dans la vie des exploitations agricoles, comme dans celles des sociétés qui fournissent semences, machines agricoles, moyens de protection des cultures, ou outils de gestion.

Fin 2024, s’intéresser à l’intelligence artificielle est « de saison ». En effet, tout le monde (ou presque !) a
été surpris de découvrir :

  • un prix Nobel de physique, attribué à John J. Hopfield et Geoffrey E. Hinton, pour leur contribution à
    l’apprentissage automatique, grâce aux réseaux de neurones artificiels ;
  • un prix Nobel de chimie, décerné à David Baker, Demis Hassabis et John Jumper, pour leur
    contribution à la découverte des structures de protéines grâce à des méthodes numériques. Plus
    précisément, Hassabis et Jumper ont été récompensés pour AlphaFold2, un modèle d’intelligence
    artificielle qui a réussi à prédire la structure tridimensionnelle de presque toutes les protéines connues.

Le comité Nobel a souligné ses applications potentielles, allant du développement rapide de vaccins à la
conception de médicaments et à l’évolution vers une industrie chimique plus verte.
Dans cette fiche, nous resterons loin des travaux de recherche évoqués ci-dessus, mais verrons comment
l’IA est rentrée dans la catégorie des outils utilisables par les agriculteurs.

L’IA, ce n’est plus seulement de la recherche

Les utilisations de l’IA ne sont plus du tout le seul fait de la recherche : de nombreux industriels en ont
compris l’intérêt, et l’intègrent dans leurs offres de produits ou de services, dans le contexte du CIR (crédit
d’impôt recherche) qui encourage les entreprises privées à développer leurs activités de recherche. On
rencontre donc des industriels qui utilisent l’IA pour :

  • accélérer le processus de développement de leurs produits,
  • incorporer de l’IA dans leurs produits,

montrant ainsi que l’IA n’est pas la seule affaire de géants de l’informatique ou du smartphone. Et il est
regrettable que ces industriels – qui adoptent, adaptent et valorisent les résultats de travaux de recherche –
restent peu ou mal connus, mais les utilisateurs s’intéressent plus aux performances des produits et aux
services rendus qu’à la technologie utilisée.

Néanmoins, l’IA, devenue presque banale, a fait la démonstration de son utilité.
Évidemment, en constatant le matraquage médiatique sur l’IA – en particulier depuis l’émergence de l’IA
générative (IAG) et les débats sans fin qu’elle suscite –, on peut se demander si nous ne sommes pas en face
d’une nouvelle bulle médiatique qui finira par exploser. Alors que l’IA rend déjà de vrais services aux
utilisateurs qui s’en sont approprié les bénéfices au travers des systèmes qui l’intègrent.

Quelques exemples relevés par l’Académie d’agriculture de France

L’Académie d’agriculture a récemment tenu trois séances sur le sujet de l’IA :

  • le 10 mai 2023, avec des instituts techniques et AgroParisTech sur Les data sciences en Agriculture ,

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  • le 13 mars 2024, avec des industriels de l’agroéquipement, sur Le machinisme à l’heure du numérique,

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  • le 9 octobre 2024 sur IA, Intelligence Artificielle, telle qu’utilisée par les industriels et sociétés de
    services, fournisseurs des agriculteurs.

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Plusieurs applications du traitement des images par les outils de l’IA ont été présentées. Signalons :

  • Le pointage automatisé des animaux de races à viande, dites races allaitantes, et l’évaluation du poids des animaux, par une technique proposée par l’Institut de l’élevage (Idele) et vue au Sommet de l’élevage à Clermont-Ferrand, en octobre 2024. À partir d’un scanner tridimensionnel développé par 3D Ouest (entreprise française experte en imagerie) a été conçu Pheno3D, portique équipé de caméras, visant à automatiser l’analyse d’image 3D par l’IA pour inférer en temps réel le poids vif et les notes de pointages des jeunes bovins allaitants au sevrage. Ici, l’IA est capable de donner le poids vif d’un bovin à partir d’images 3D, avec une précision exacte à 4 % ou 5 % près et une répétabilité de 98 %, et ce de manière automatisée. En ce qui concerne les mesures de pointage – que ce soit sur le développement squelettique (DS) ou musculaire (DM) – les résultats sont prometteurs en race charolaise. Cette technique devrait être appréciée par les éleveurs de races à faibles effectifs, parce que former et faire se déplacer un pointeur représente un coût significatif !
  • Le comptage des moutons, vu au Sommet de l’élevage 2024 : cette application ne surprend pas, tant nous sommes habitués à voir un drone photographier un rassemblement. Pour les moutons, le comptage en plein air est effectué par les images d’un drone de moins de 250 grammes (seuil d’enregistrement auprès de la Direction générale de l’aviation civile).
  • Le chien informatique vu sur le stand de l’Inrae, toujours au Sommet de l’élevage 2024 : un robot à quatre pattes, futur chien de troupeau (ou chien soldat-démineur ?).
  • Trieur optique de pommes de terre CropVision, de Down (groupe Dubrulle) : un trieur optique de nouvelle génération pour les pommes de terre non lavées, permettant leur tri qualitatif à grand débit (jusqu’à 100 t/h) , tout en assurant une stabilité du processus puisque celui-ci n’est pas sensible à la fatigue, contrairement aux humains ; la combinaison de caméras et de l’IA permet de séparer les pommes de terre vertes, coupées, difformes et pourries, ainsi que les déchets. Ce trieur, proposé en trois largeurs, peut s’intégrer dans les machines Dubrulle-Downs ou dans des installations déjà existantes, indépendamment du fabricant, de l’implantation ou de l’année de fabrication. Lors de la séance académique du 13 mars 2024, Grégoire Vitry, directeur R&D de Dubrulle-Downs, concluait : « Les possibilités qu’offre le numérique, et plus particulièrement l’IA, n’ont de limites que celles que l’on se fixe. Mais au-delà des possibilités techniques du numérique, son intégration dans les entreprises traditionnelles n’est pas simple, car la mise en œuvre des technologies numériques nécessite des adaptations profondes des équipes du machinisme agricole, de l’organisation, des process et impose de nouvelles relations avec les partenaires. Mais, au final, a-t-on réellement le choix de se passer ou non du numérique et de l’IA ?« 
  • Pulvérisation minimale et dirigée de désherbants, de Exxact Robotics (groupe Exel Industries). Groupe familial international, Exel Industries emploie environ 4 000 personnes, réparties dans 33 pays et 24 sites de production, et est aujourd’hui un leader de la pulvérisation agricole et industrielle. Un de ses principaux projets est la technologie 3S (Spot Spray Sensor), système de pulvérisation de précision qui détecte les adventices et applique les herbicides de manière ciblée, optimisant l’utilisation de produits phytosanitaires et minimisant l’impact environnemental. L’IA joue un rôle fondamental dans l’analyse d’images en temps réel pour identifier les mauvaises herbes, avec des résultats spectaculaires : les vitesses de travail atteignent 14 km/h en Green on Green (vert sur vert) en désherbage de betteraves, maïs, tournesol, soja, colza, et montent à 17 km/h en Green on Brown (vert sur brun) avant semis. L’économie de bouillies atteint jusqu’à 80 %. Le rêve d’Écophyto ! La quantité d’images (et donc d’informations à analyser) est faramineuse : 720 m2 de surface analysée par seconde, soit 21 000 images par hectare, d’où la nécessité de faire appel aux cartes NVIDIA GPU, réputées pour leur puissance de calcul ; on peut en mettre 6 dans chaque hub de traitement, chacun pouvant traiter les données de 9 caméras en simultané, d’où la possibilité de traiter les captures jusqu’à 52 caméras placées sur une rampe de pulvérisation de 32 mètres. Il se passe 100 à 150 millisecondes entre la capture d’une image et la pulvérisation par les buses.
  • Stations météo virtuelles, en complément de stations réelles : proposée par Isagri, la station météo virtuelle permet la vision au travers des nuages. C’est le but des stations virtuelles Météus simulant les données de stations météo en n’importe quel point du globe (vidéo MéTéus ci-dessous).

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  • Spotifarm, pour une gestion optimale de l’azote et une meilleure rentabilité : avec Spotifarm, là-aussi, il est possible de voir à travers les nuages et ainsi permettre un suivi des cultures en temps réel par la simulation d’images satellites. Cet outil d’aide à la décision permet aux agriculteurs de surveiller leur parcellaire par imagerie satellitaire : levée après semis, hétérogénéité des parcelles.

De nombreuses autres applications de l’IA à l’agriculture

Il y a de nombreuses autres utilisations de l’IA différentes de celles décrites ci-dessus, et tout aussi
fascinantes, dans des domaines tels que :

  • la sélection variétale de la société semencière RAGT.
  • la recherche de molécules pour combattre les ennemis des cultures, chez Bayer France.
  • la génération automatique d’écritures comptables.

Dans les deux premiers cas, on constate que se sont produites rapidement de fortes évolutions et, à l’avenir, les essais de terrain ne seront réalisés qu’après un gros travail sur les génomes ou les molécules identifiées comme prometteuses. Il en résultera une accélération et une amélioration dans les processus de développement, grâce à une identification précoce des combinaisons prometteuses. À la RAGT, la sélection génomique et l’IA se sont révélées très efficaces pour augmenter le progrès génétique (à un rythme plus rapide qu’à aucun moment dans l’histoire de la sélection), en permettant une meilleure gestion de la diversité génétique, la prédiction des caractéristiques de plantes non encore évaluées au champ, et de meilleures combinaisons pour créer les variétés hybrides. L’IA a modifié profondément les programmes d’amélioration des espèces, et aussi l’organisation des systèmes informatiques puisque les modèles demandent des volumes importants de données pour être et demeurer prédictifs.

Dans le secteur de l’agrochimie, Bayer a récemment annoncé sa stratégie pour accélérer l’innovation des solutions de protection des cultures : CropKey ; cette stratégie s’appuie notamment sur la découverte de nouveaux modes d’action et sur la conception de molécules avec un profil différenciant, sûr et durable. L’IA et les approches in silico sont appliquées dans la création d’espaces chimiques virtuels, la création et
l’application de modèles prédictifs, et l’application de l’IA générative dans la conception de molécules avec un profil multi-paramétrique. Ces approches pourraient transformer la découverte, la conception et la réalisation de molécules, pour constituer les solutions pour l’agriculture de demain.

Enfin, aussi étonnant que cela puisse paraître, l’IA a aussi pénétré dans l’univers de la comptabilité : ainsi Isagri met en œuvre des outils de l’IA dans la comptabilité pour l’intégration des factures grâce à AMICompta. C’est la disparition de la saisie comptable : la corvée de collecte et de transformation des pièces comptables en écritures est désormais derrière nous, car l’IA reconnaît les documents, les traduit en données et les intègre dans la comptabilité avec un taux de reconnaissance proche de 100 %.

Vers l’IA générative

Au-delà de ses implications vers l’agriculture, cette fiche n’aborde pas les possibilités de l’IA envers les textes, les images, les vidéos ou les programmes informatiques, c’est-à-dire l’IA générative. Si celle-ci a un écho médiatique considérable, elle a peu de références dans le contexte agricole : il y a eu simplement beaucoup de tests, mais pas d’utilisation en vraie grandeur.