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Académie d'Agriculture de France

Ondes électromagnétiques et désordres en élevage


Claude ALLO et Arlette LAVAL, membre de l'Académie d'Agriculture de France le 13/05/2024 à 10:52
AAF

(©Académie d'agriculture de France)

L’effet des courants électromagnétiques et des courants parasites de faible intensité sur les êtres vivants suscite des débats passionnés depuis de nombreuses années. Les animaux sont plus sensibles que l’homme, aussi les désordres électriques (quelle que soit leur origine) peuvent provoquer des troubles de comportement et des pertes de production, voire de la mortalité. En élevage, l’intérêt pour le sujet a émergé à la fin des années 1990. Les méfiances initialement centrées sur les lignes électriques à très haute tension se sont alors étendues aux lignes à basse tension, aux éoliennes, aux panneaux photovoltaïques, ainsi qu’aux antennes relais. Les cas inexpliqués – souvent fortement médiatisés – ont relancé les interrogations et les suspicions. Cette fiche a pour objet de rappeler les fondamentaux sur les problèmes électriques vis-à-vis de l'élevage, et de souligner les problèmes posés avec les besoins de recherche induits.

Les phénomènes électriques parasites en élevage : de quoi s’agit-il ?

Les champs électromagnétiques sont présents dans tout notre environnement. Tous les appareils, équipements et infrastructures de transport d’électricité sont source de champs électriques et magnétiques, pouvant, dans certains cas, provoquer des phénomènes parasites. Les courants parasites (encore appelés courants vagabonds) se définissent comme des courants non souhaités et non maitrisés qui circulent en dehors des circuits électriques.

En se propageant dans les éléments conducteurs de l’exploitation – particulièrement les structures métalliques de l’étable avec lesquels les animaux sont en contact – ils peuvent alors circuler dans le corps de l’animal et générer des tensions de contact ou pas. Les courants parasites sont des courants de très faible intensité (Figure 1) auxquels les animaux sont sensibles, alors que ces courants sont généralement imperceptibles par l’homme.

Les courants parasites ont principalement deux origines :

  • Les installations de l’élevage elles-mêmes. Elles constituent les causes les plus courantes, causes liées à des installations électriques mal isolées ou déficientes créant des courants de fuite (par exemple : clôture électrique mal isolée, avec défaut de mise à la terre ; ou machines à traire défectueuses…)
  • La proximité d’installations électriques (lignes électriques, éoliennes…). Il n’y a pas d’effet direct démontré des CEM (champs électromagnétiques) de basse fréquence (50 Hertz), mais des tensions et des courants parasites peuvent être générés par effets d’induction, et alors se propager dans les sols et les structures métalliques de l’étable lorsqu’il y a une mauvaise mise à la terre. On parle alors de phénomènes de couplage, de type capacitif (électrique) ou inductif (magnétique). L’étable est par nature un milieu amplificateur des courants parasites, en raison des structures métalliques de grandes dimensions, de la présence d’équipements électriques et de robots de plus en plus puissants. Les sols humides et les lisiers peuvent aussi déclencher un « effet pile ou couplage électrochimique » générant des courants continus.

Les effets des courants parasites, seuils de sensibilité et seuils de danger

Les courants parasites ne causent pas directement de maladies chez les animaux, mais sont source d’inconfort et de stress au-delà d’un certain seuil. Ils peuvent donc être des facteurs d’amplification d’autres risques.

Les seuils de perception varient selon les espèces, en fonction de leur résistance corporelle. Plusieurs études, conduites principalement en Amérique du Nord et en France, ont observé la réponse des animaux aux courants parasites et déterminé les seuils de sensibilité et de danger. Chez les bovins, qui présentent la résistance la plus faible, on estime que le seuil de perception est atteint avec un courant de 1 milliampère (mA) correspondant à une tension de 0,5 volt (en courants alternatifs 50 Hz). La perception des phénomènes électriques ne signifie pas forcément perturbation de la santé et altération de la production. Elle est toutefois révélatrice de l’existence d’un dysfonctionnement de nature électrique auquel il faut remédier. Le seuil de perturbation est supérieur à 2 mA, et des réponses sévères sont observées au-delà de 6 mA ou 4 v .

Les troubles de comportement constatés sont très variés. Chez la vache laitière ils se manifestent principalement par de la nervosité, particulièrement en salle de traite, par la réduction du nombre de passages au robot de traite, par la concentration du troupeau dans certaines zones, par la réduction de la consommation d’eau ou d’aliments. Il en résulte des manifestations cliniques ou zootechniques plus ou moins graves, et des pertes de production.

Méthodes d’investigation, mesures de correction et de prévention

Lorsqu’il y a suspicion de courants parasites, la difficulté du diagnostic provient du fait que les symptômes observés ne sont pas spécifiques, ni nécessairement liés à une perturbation d’origine électrique. La plupart des difficultés rencontrées en élevage sont multifactorielles. Le GPSE (Groupement permanent pour la sécurité électrique en milieu rural) a mis en place une méthode d’intervention qui donne des résultats probants, en se fondant sur une approche globale de l’exploitation d’élevage avec audit électrique, bilan sanitaire et expertise zootechnique.

Les courants parasites se mesurent et les anomalies électriques se corrigent

La maîtrise des courants parasites passe par le respect de la conformité réglementaire de l’installation définie par la norme NFC 15-100 (conception, installation et maintenance de l’installation électrique). La sécurité des installations électriques d’élevage repose sur :

  • des protections différentielles correctement dimensionnées,
  • la liaison équipotentielle de tous les éléments conducteurs à la terre,
  • une prise de terre de qualité avec une boucle à fonds de fouille tout autour du bâtiment, régulièrement vérifiée (Figure 2).
    Une attention toute particulière doit être apportée à la réalisation du plan équipotentiel lors de la construction de nouveaux bâtiments ou de l’extension de bâtiments existants

Cas non résolus et besoins de recherche

Lorsque les problèmes sont bien identifiés, il y a toujours des solutions pour rétablir la situation. En revanche, les difficultés peuvent être insurmontables lorsque leur cause reste inexpliquée : l’installation électrique est conforme, on ne mesure pas de courants parasites, la conduite de l’élevage n’est pas en cause, mais les troubles sont réels et peuvent contraindre à l’arrêt de l’activité.


Plusieurs cas ont été fortement médiatisés ces dernières années, comme celui des deux élevages de vaches laitières situés à proximité du parc éolien des Quatre seigneurs à Nozay (Loire atlantique). Dans les conclusions de l’expertise collective conduite par l’ANSES pour « évaluer l’imputabilité » des troubles constatés dans les deux élevages, l’agence considère « comme hautement improbable, voire exclue, que la mise en place des éoliennes ont conduit à générer les troubles objectivés » Pourtant la concomitance de la dégradation de la performance des deux élevages, avec l’implantation et la mise en service du parc éolien, a été clairement établie.

Les réflexions conduites à la suite de ces constats ont permis de dégager un consensus sur le besoin impératif de nouveaux travaux de recherche autour de deux grands axes :

1- Mieux connaître les courants parasites en élevage, leur mesure et les seuils de perception dans différentes situations, notamment en présence de courants continus ou harmoniques.
2- Étudier la circulation des courants électriques dans le sol et le sous-sol, l’influence de la géologie, et l’interférence éventuelle des failles et circulations d’eau avec les équipements électriques. Les cas inexpliqués amènent en effet à faire l’hypothèse d’une influence du sol et du sous-sol, bien qu’elle n’ait jamais été démontrée.

Dans cette perspective un consortium de recherche a été constitué sous l’égide de l’INRAE auquel participent l’ANSES, le BRGM (Bureau de recherches géologiques et minières), le laboratoire XLIM de l’université de Limoges, l’Institut de l’élevage, les Chambres d’agriculture, le GPSE, RTE et VIVEA (fonds d’assurance formation des exploitants agricoles).

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