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Pourquoi gérer les forêts et pour quels objectifs ?


Yves BIROT et Bernard ROMAN-AMAT le 14/01/2025 à 10:00
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La non-intervention en forêt est-elle une option ? Établies à l’intérieur de forêts publiques (État, communes, départements), les Réserves Biologiques Intégrales (RBI) sont des « laboratoires de nature » dans lesquels toute intervention est proscrite. Elles visent l’acquisition de connaissances scientifiques sur le fonctionnement naturel d’écosystèmes laissés en évolution libre sur le long terme, et le développement de la biodiversité associée aux arbres âgés et au bois mort (insectes rares, champignons…). Elles ont aussi vocation à conserver de rares noyaux de forêts subnaturelles (sans exploitation depuis au moins 50 ans) en métropole, comme dans les Outre-mer. En 2023, On compte 72 RBI en métropole (au total : 29 253 ha). Hormis ce cas, citons quelques caractéristiques et conséquences de la non gestion : i) aucune récolte = accumulation de bois vivant et mort, non intervention sur la régénération et le choix des espèces pour l'avenir, maintien de foyers de parasites (ex : scolytes) ; ii) non régulation de la faune sauvage (refuge à cervidés et sangliers) ; iii) accès difficile, embroussaillement : risque d’incendie. Il s’agit donc de conséquences négatives pour la propriété mais aussi pour les propriétés riveraines. Remarquons pour terminer qu'une proportion significative des forêts privées est dans ce cas !

Les forêts que nous connaissons aujourd’hui en Europe résultent d’interactions millénaires avec les hommes, désireux d’utiliser à leur profit leurs ressources multiples. Objets d’abord d’une économie de cueillette, elles ont ensuite subi de grands défrichements à des fins agricoles et pastorales, dont l’emprise spatiale a fluctué dans le temps. Leur exploitation a progressivement été encadrée par une gestion raisonnée, planifiée et codifiée. Y a t-il une nécessité à gérer les forêts ? Quels sont les principaux objectifs de leur gestion ?

Y a-t-il une nécessité à gérer les forêts ?

Les écosystèmes forestiers sont soumis à des processus naturels liés à la croissance des arbres, ainsi qu’à leur reproduction et leur mortalité. En l’absence d’intervention humaine, ils peuvent ainsi se maintenir au fil du temps, même si leur composition et leur structure évoluent, en réponse à des changements de leur environnement, notamment du climat. On peut le constater dans des forêts où aucune gestion sylvicole n’a été pratiquée pendant des temps assez longs. Un bon exemple en est la forêt de Bialowieza en Pologne. Les forêts n’ont donc pas besoin de l’homme pour se perpétuer. Mais l’homme a besoin des forêts et de leurs ressources ! La pression excessive qu’il a exercée sur elles à partir du XIIe siècle, dans un contexte d’accroissement démographique, pour subvenir à ses besoins de nourriture, de matériau, de matière première et d’énergie, a conduit à la prise de conscience des menaces graves pesant sur leur intégrité, leur pérennité et la raréfaction d ’une ressource stratégique. À la fin du XIIIe siècle, le pouvoir royal en France réagit : Philippe le Bel crée le corps des Maîtres des Eaux et Forêts. Au fil des siècles,
un corpus de connaissances va se développer progressivement et permettre à la fois de préserver les forêts et d’améliorer leur gestion pour répondre aux besoins spécifiques des populations, des industries, ou de l’État (marine). Malgré certains échecs observés au cours de l’histoire, la gestion forestière raisonnée, planifiée pour des objectifs multiples et régulée s’est imposée partout en Europe comme une nécessité. Aujourd’hui, les attentes d’une société multi-facettes vis-à-vis des forêts se sont très largement diversifiées. Les forêts peuvent-elles réellement les satisfaire ?

Quels sont les biens et services fournis par les écosystèmes forestiers ?

Les forêts fournissent une large gamme de biens et services à la société. Les produits forestiers ligneux (ex : le bois d’œuvre et le bois de feu) sont souvent les premiers mentionnés. Cependant, les forêts fournissent également à l’homme un grand nombre d’autres bénéfices. Certains d’entre eux sont tangibles, par exemple les produits forestiers non ligneux (liège, champignons, gibier, fruits, plantes aromatiques et médicinales, résine, etc.). D’autres sont intangibles : régulation des cycles de l’eau et des éléments minéraux, protection des bassins versants et des sols, séquestration du carbone et atténuation du changement climatique, préservation de la biodiversité, ou encore héritage culturel et historique, espaces de loisirs et de détente en plein air…

Les manières diverses dont les forêts contribuent au bien-être de l’homme se décrivent selon le cadre conceptuel des services écosystémiques. Les « fonctions forestières » ne deviennent des services que dans la mesure où l’homme les reconnaît dans ses systèmes sociaux de génération de valeur. Ainsi, la nouveauté du modèle conceptuel des services écosystémiques tient dans l’examen des liens entre les écosystèmes et le bien-être humain. Il souligne le rôle que des écosystèmes sains jouent durablement en faveur de ce bien-être et du développement.

En tant que composantes d’un système, les services écosystémiques sont interdépendants et interactifs (synergie, antagonisme, complémentarité, etc.). Le plus souvent, différents services écosystémiques sont fournis simultanément, avec un bénéfice important. De plus, les activités de gestion forestière pour le bois d’œuvre, les loisirs, ou la préservation de la biodiversité, peuvent produire des effets en termes de
fourniture de services écosystémiques. Par exemple, l’éclaircie peut réduire l’interception de la pluie par le couvert et augmenter le ruissellement superficiel et l’infiltration d’eau et, dans le même temps, stimuler la croissance des arbres et l’apparition de nouvelles espèces (diversité accrue).

Quels sont les principaux objectifs de la gestion forestière ?

On distingue couramment les objectifs d’intérêt général et les objectifs du propriétaire, que celui-ci soit l’État, une collectivité (commune) ou un particulier. Les objectifs d’intérêt général sont définis dans un cadre régional et national à travers un ensemble de dispositifs législatifs et réglementaires. On peut les classer en quatre groupes consistant à :

  • S’inscrire dans une filière forêt-bois performante en recherchant une gestion sylvicole dynamique et durable, orientée vers la production de bois de qualité en adéquation avec les besoins des utilisateurs, notamment locaux (fig.3) ; il s’agit aussi de renforcer les actions de mobilisation et de mise en marché des bois et d ’améliorer le renouvellement des peuplements forestiers ;
  • Contribuer activement à la protection de l’environnement et à la prévention des risques naturels prévisibles au travers de la préservation de la biodiversité forestière et du patrimoine naturel, du stockage du carbone en forêt et dans les produits en bois, de la protection des ressources en eau ainsi que du capital sol ;
  • Prendre en compte les risques d’origine naturelle et humaine mettant en danger la vitalité des forêts et prendre les mesures de prévention nécessaires, notamment contre le changement climatique et les événements climatiques extrêmes; les risques d’incendie et les risques phytosanitaires ;
  • Créer des espaces de qualité pour des activités pédagogiques, touristiques ou de loisirs dans le respect du droit de propriété.

Les objectifs du propriétaire dépendent des biens et services qu’il a choisi de produire de manière durable dans sa forêt ; son choix est un peu plus libre s’il est privé plutôt que public. Produire du bois et le valoriser économiquement reste l’objectif le plus fréquent de l’activité sylvicole, car c’est presque toujours le principal moyen de financer les autres services de la forêt. Lorsque l’environnement naturel et économique local le permet, la production de bois d’œuvre, feuillu ou résineux, à plus forte valeur est recherchée. Dans le cas contraire ou pour les produits d’éclaircie, il peut s’agir de piquets, bois d’industrie, ou bois de feu. Préserver ou améliorer la biodiversité est un objectif possible pour des forêts situées dans des zones de protection (par exemple Natura 2000), ou appartenant à des associations de protection de la nature, à des particuliers à sensibilité écologique marquée, notamment dans le cadre d’éventuels contrats de préservation des milieux naturels et espèces rares. Valoriser l’accueil du public et fournir une offre de loisir, dont la chasse, sont aussi des objectifs pour les propriétaires. On notera que dans les zones péri-urbaines toutefois, pour des raisons de surface, d’assurances et de coûts, l’accueil du public est principalement proposé par les forêts publiques (État et collectivités). Protéger la ressource en eau peut concerner des propriétaires ayant passé des conventions avec des distributeurs d’eau leur assurant une rémunération directe en contrepartie d’une sylviculture axée sur le maintien du rôle de protection joué par la forêt sur la qualité de l’eau. Valoriser les produits autres que le bois (champignons, truffes, feuillage, miel, fleurs et fruits sauvages, écorces, mousses, liège, résine, etc.) peut constituer un objectif pertinent pour certains types forêts. Il doit s’agir d’une production raisonnée subordonnée aux possibilités de la forêt et ne remettant pas en cause la pérennité de l’écosystème forestier, ni sa vocation première à produire du bois. Elle peut cependant constituer une importante source de revenus.

Peut-on gérer une même forêt pour des objectifs multiples ?

La loi d’orientation forestière de la France de 2001 intègre explicitement la multifonctionnalité dans la gestion forestière durable : « La gestion durable des forêts garantit leur diversité biologique, leur productivité, leur capacité de régénération, leur vitalité et leur capacité à satisfaire, actuellement et pour l’avenir, les fonctions économique, écologique et sociale pertinentes, aux niveaux local, national et international, sans causer de préjudices à d’autres écosystèmes ». Comme indiqué plus haut, des biens et services sont associés à ces fonctions, et donc de fait la gestion forestière doit être multi-objectifs. Il s’agit là d’un cadre général à l’intérieur duquel le « poids » attribué aux différents objectifs n’est pas identique. Il existe dans la réalité une pondération selon les enjeux : ainsi pour une forêt de montagne, l’accent sera mis sur la protection, tandis que pour une peupleraie, l’objectif de production sera primordial et que, dans une forêt publique périurbaine, l’accueil du public aura une grande priorité.

La culture du pin maritime, cultivé de manière intensive en plantations artificielles dans les landes de Gascogne, vise en premier la séquestration de carbone et la production de matière première (bois, fibre) ; mais, régénéré de manière naturelle dans les dunes atlantiques, il contribue à leur fixation et à la préservation des milieux. À ces objectifs différents correspondent donc des pratiques de gestion différentes, plus ou moins intensives. Cette pluralité des modes de gestion est d’ailleurs à rechercher pour une meilleure adaptation de nos forêts. À l’intérieur d’une forêt donnée, un cadre général de « gestion multifonctionnelle » peut intégrer une certaine spécialisation de l’espace. La gestion multifonctionnelle a surtout du sens dans les forêts d’une certaine taille : ainsi, en forêt privée, 25 ha est le seuil pour l’obligation de disposer d’un plan simple de gestion. Une « bonne » gestion visant une production de bois régulière dans le temps comporte de facto des aspects multifonctionnels : la fertilité du sol doit être maintenue, la régénération régulière, avec la présence d’arbres de tous âges, est favorable à la biodiversité. Dans certains cas, la multifonctionnalité est un « combat » : déséquilibre forêt/grands cervidés, opposition des riverains à la régénération des peuplements dans certaines forêts péri urbaines. Mais la « monofonctionnalité » peut se révéler non-durable ! Dans le passé, la production de bois énergie en taillis à très courte rotation a conduit dans certaines régions à un appauvrissement très important du sol. D’une façon générale, des sylvicultures variées doivent être encouragées et non opposées. “Aucune sylviculture n’est meilleure qu’une autre dans l’absolu, en particulier dans un contexte changeant, et il serait illusoire d’essayer d’’identifier une sylviculture qui permettrait de répondre à l’ensemble des enjeux. C’est donc cette mosaïque de forêts, dont l’agencement doit être pensé à différentes échelles spatiales pour prendre en compte les interfaces avec les autres milieux, qui sera porteuse d’une diversité utile pour affronter le défi climatique » (A. Kremer).

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