Quel avenir pour les exportations agricoles de la France ?
André NEVEU membre de l'Académie d'Agriculture de France le 24/04/2025 à 10:00
Depuis les années 1960, la France a progressivement et considérablement accru ses productions agricoles. Disposant d’excédents importants, elle a pu augmenter ses exportations, d’abord en Europe, puis dans les pays tiers.
Ces positions commerciales lentement et laborieusement constituées semblaient solides. Or elles sont maintenant fragilisées, pour deux raisons principales : l’environnement international est moins favorable, et notre potentiel exportable est affaibli.
Un environnement international moins favorable
Contexte général
Au niveau mondial, jusqu’à ce jour, l’offre et demande de produits agricoles et agroalimentaires restent fortes, au moins pour les grandes productions comme les céréales, les huiles ou le sucre.
Mais certaines productions pourraient rapidement être menacées par les multiples dérèglements climatiques, tandis que la pérennité de la demande est incertaine, car elle est très sensible aux prix de marché. Or il apparaît que le fragile équilibre entre l’offre et la demande est de plus en plus menacé, avec une volatilité croissante des prix, amplifiée par les spéculateurs, comme à l’accoutumé. Apparaissent donc des hausses ou des baisses de prix relativement inhabituelles : ainsi, en 2024, les prix sont particulièrement élevés pour des produits comme le café, le cacao, le beurre, les huiles et même le jus d’orange, tandis que ceux des céréales est fort bas.
Dans le même temps, le fonctionnement des marchés internationaux s’est profondément modifié. La mondialisation « heureuse » des années 1980-2020 (dont nous avons profité) est contestée par les grandes puissances comme les États-Unis, la Chine, l’Inde et la Russie.
Les règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) ne sont plus respectées : le libéralisme économique a en effet laissé la place à de nombreux accords bilatéraux qui rendent moins fluides les marchés mondiaux, et bénéficient en priorité aux très grandes exploitations des pays à faibles coûts de production. De plus, les droits de douane augmentent à nouveau, tandis que des subventions plus ou moins déguisées sont toujours possibles. Enfin la pandémie de Covid-19 et la guerre en Ukraine ont profondément perturbé les échanges commerciaux.
Cas de la France
Les exportations de la France ne sont pas seulement soumises au bouleversement des marchés internationaux et à la concurrence sauvage (mais inévitable) du commerce sur les pays tiers, elles le sont également à l’intérieur de l’Europe où nos marchés traditionnels se heurtent à de nouveaux et redoutables concurrents. Par exemple, alors que nous étions un pays exportateur jusqu’à la fin du XXe siècle, nous importons maintenant :
- 40 % de notre consommation de poulet depuis la Pologne,
- des porcs espagnols,
- des produits laitiers de nos différents voisins,
- et une bonne partie de nos fruits et légumes des pays du Sud (Espagne, Afrique du Nord) et même de Pologne.
En parallèle, nos clients traditionnels comme l’Allemagne ou l’Italie ont accru leurs propres productions et ont donc réduit leurs importations.
Notre potentiel exportable est affaibli
Comme dans la plupart des pays, les dérèglements climatiques affectent l’agriculture française ; ainsi, les rendements céréaliers et oléagineux ont pour la plupart cessé de croître depuis la fin des années 1990.
Or c’est grâce à l’augmentation des rendements que la France avait réussi à développer ses exportations de céréales, de sucre, de colza ou de produits laitiers. Certes, nos rendements moyens restent à un niveau élevé, surtout si on les compare à ceux des grands producteurs mondiaux, mais certaines années (2016, 2024), la situation s’est avérée critique et a réduit très sensiblement notre potentiel exportable. Par exemple en 2024, notre production de blé a diminué de 10 millions de tonnes par rapport à 2023.
À l’avenir, ce potentiel d’exportations peut encore être réduit pour trois raisons :
- une possible baisse des rendements, du fait des dérèglements climatiques ;
- le souhait des agriculteurs de réduire leurs pertes, en diversifiant leurs productions, notamment en introduisant dans leurs assolements diverses productions destinées au marché intérieur, comme les légumineuses ;
- un développement possible (à condition qu’il reste prudent) des productions biologiques dont les rendements sont inévitablement réduits de 30 à 50 %.
Les industries agroalimentaires, supports clés de nos exportations
En 2024, la valeur des exportations de produits agricoles transformés est cinq fois plus importante que celle des produits bruts.
Les industries agroalimentaires apparaissent donc comme un chaînon essentiel pour assurer le redéveloppement de nos exportations : les produits transformés sont extrêmement diversifiés, sont recherchés partout dans le monde, et apportent une énorme valeur ajoutée par rapport aux produits bruts ; malheureusement, on lit souvent que cette valeur ajoutée est précieusement conservée par les industriels qui se soucient peu d’en faire profiter les agriculteurs. Néanmoins, en approvisionnant les industries, ceux-ci bénéficient de débouchés supplémentaires pour leurs productions, ce qui n’est pas négligeable.
Les exportations de produits transformés nécessitent cependant une recherche permanente de l’innovation, tant dans le processus industriel que dans l’offre finale proposée aux clients potentiels. Mais dans les faits, l’action commerciale est toujours compliquée en raison :
- de réglementations obscures, voire contradictoires ;
- d’habitudes différentes des consommateurs ;
- et de la présence de nombreux concurrents.
Comme nos marchés sont éparpillés dans de nombreux pays, seules de grandes entreprises ou des regroupements (pour les unités plus modestes) sont en mesure de mobiliser les moyens financiers et humains que requièrent ces actions.
Il faut bien avouer que malgré la qualité des produits proposés, de leur grande diversité et de l’excellente image de la cuisine française dans le monde, les résultats semblent toujours trop modestes. Il est donc nécessaire que les entreprises – qui en ont les moyens financiers – multiplient les actions commerciales d’envergure. C’est d’autant plus urgent qu’il faut s’attendre au renforcement des barrières douanières que nombre de pays se préparent à mettre en place ; elles constitueront pour les exportateurs un frein évident, qu’il conviendra d’intégrer dans leurs stratégies.

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