2024, l’agriculture française à l’école du changement climatique
AFP le 17/09/2024 à 11:45
La pire récolte de blé en 40 ans et une flambée redoutable de maladies animales : 2024 pourrait rester comme l'année où le changement climatique s'est imposé à tous les secteurs de l'agriculture dans une France toujours plus chaude.
« Il y a toujours eu de bonnes et de mauvaises années. Ca fait partie du métier », estime Régis Bonnin, agriculteur en Vendée. Mais ce qui caractérise l’époque, c’est « l’incertitude ». Immense, qui fait mentir la mémoire de la terre, les habitudes, les archives.
Il dit avoir semé « avec difficulté » 110 hectares de blé et d’orge au lieu des 150 prévus : trop de pluie, des machines qui patinent dans la boue, des champs sales, plein de mauvaises herbes. Les rendements ont « chuté de 30 % ».
M. Bonnin s’estime tout de même « chanceux » car ses vaches laitières sont « pour le moment épargnées » par la maladie hémorragique épizootique (MHE) qui remonte d’Occitanie jusque dans le bocage vendéen.
A l’échelle nationale, la campagne est particulièrement difficile : la France, premier producteur et exportateur européen de blé, a vu sa récolte chuter à environ 25 millions de tonnes, soit 10 millions de tonnes de moins qu’en 2023.
Le pays, qui compte le premier cheptel bovin de l’Union européenne, est aussi touché par une flambée épizootique, avec un regain de MHE et des foyers différents de fièvre catarrhale ovine (FCO) à travers le pays.
Ces avanies sont-elles une illustration concrète du changement climatique ? Faut-il s’habituer à la récurrence d’années catastrophiques ?
« Nécessité de s’adapter »
Pour Aurélien Ribes, chercheur au Centre national de recherche météorologique, « depuis le début de l’année, il fait plus chaud que la normale (par rapport à la période de référence 1991-2020), et c’est évidemment symptomatique du changement climatique ».
S’il y a eu « moins d’événements spectaculaires » en 2024, par rapport au gel de 2021 ou à la sécheresse de 2022 par exemple, l’année a été marquée globalement par « un hiver et un printemps plus doux et plus humides, avec beaucoup de pluie » et d’énormes conséquences agricoles.
« Cette année nous montre deux choses », résume Inaki Garcia de Cortazar, directeur de l’unité AgroClim à l’Institut de recherche pour l’agriculture et l’environnement (Inrae) : « Le fait que le réchauffement climatique ne s’arrête pas », et la nécessité pour l’agriculteur de « s’adapter, face à une variabilité inter-annuelle beaucoup plus forte ».
Quand un agriculteur s’installait, il connaissait son terroir, savait qu’il allait faire face sur toute sa carrière à deux ou trois années catastrophiques, avec un événement qui l’aurait marqué à vie : comme « la fameuse sécheresse de 1976 », se souvient Régis Bonnin.
Or, souligne Aurélien Ribes, il est difficile de chercher à s’adapter en « se basant sur la mémoire des derniers 10, 20 ou 30 ans, qui est déjà périmée ».
Avec le réchauffement global, explique M. Garcia de Cortazar, « c’est tout le vivant qui bouge ».
Déconcentrer les élevages
« Les plantes changent leur cycle, ce qui modifie les conséquences de conditions climatiques qui évoluent elles-aussi », dit-il. Un hiver plus doux fera bourgeonner les plantes plus tôt, qui seront donc soumises à des risques de gel plus importants.
« Ce que l’on voit, c’est un besoin de diversification » : notamment en variant les cultures pour mieux encaisser le choc d’une perte brutale de rendement sur une culture, en associant par exemple plus de légumineuses et plantes fourragères aux blés, orges ou colza.
Cette année, le trop-plein d’eau l’hiver, associé à une grande douceur, a favorisé le développement de champignons et la prolifération d’insectes. C’est notamment le cas des moucherons culicoïdes, vecteurs de la MHE et de la FCO, ou des tiques, « très sensibles au climat », souligne Muriel Vayssier, cheffe du département de santé animale à l’Inrae.
Certains parasites, habituellement éradiqués par le froid l’hiver, parviennent désormais à réaliser « tout leur cycle » jusqu’à la reproduction : c’est ainsi qu’en octobre 2023, « on a détecté pour la première fois sur des bovins le virus de la fièvre hémorragique de Crimée-Congo », transmise par des tiques présentes depuis quelques années en France, relève-t-elle.
« Vacciner est ce qui protège le mieux, (…) mais il faut aussi augmenter la surveillance, pour mieux circonscrire les premiers foyers, renforcer la biosécurité », souligne Mme Vayssier.
Et face à un risque qui va aller croissant, relève-t-elle, « concevoir des systèmes d’élevage plus résilients, en déconcentrant les exploitations », comme la filière du canard à foie gras a commencé à le faire face à la grippe aviaire.