« Gérer mes ventes, une nouvelle façon d’être acteur de mon métier »
TNC le 02/12/2019 à 16:52
Alexis Patria, agriculteur en polyculture et maire depuis 18 ans à Fontaine-Chaalis dans l’Oise, est un amoureux des marchés agricoles. Leur compréhension lui a permis de donner une nouvelle dimension à son métier. L’agriculteur estime améliorer la performance économique de son exploitation et ainsi entrevoir un avenir plus prospère pour sa ferme.
TNC : Présentez-nous votre exploitation
Alexis Patria : Je possède une exploitation de 500 ha avec une centaine d’hectares supplémentaires en prestation de service. Je ne fais que des productions végétales, mes terres sont assez hétérogènes et ont un potentiel agronomique moyen. J’ai une partie sur un plateau et l’autre en bordure de forêt. En 2019, j’ai semé 180 ha de blé, 185 ha de betterave, 50 ha d’orge d’hiver, 50 ha de colza, 50 ha de seigle et une vingtaine d’hectares de vesce. De plus, j’ai environ 15 % de la surface de blé en contrat de multiplication. Je choisis les cultures que je vais semer en fonction du contexte agronomique et de l’environnement prix.
Comment commercialisez-vous vos céréales ?
Je stocke une petite partie de la récolte chez moi, à peu près 15 %, et le reste est en dépôt chez un organisme stockeur (OS). Je travaille à la fois avec coopérative et négoce. Je vends tout au long de l’année au cours du jour. Je n’ai jamais spéculé. J’ai mon volume de production que je sécurise par des ventes physiques et des options sur le Matif. Dès que je vois une opportunité intéressante qui permet de dépasser mon coût de production, je vais accompagner mes ventes. Lorsque le contexte de marché est bas, mon attention va se porter tout particulièrement sur ce coût de production, parce que les cours sont susceptibles de s’en approcher voire de passer en dessous. Une année où les prix flambent, clairement on le perd de vue.
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Par contre, la volatilité des cours a baissé depuis quelques années, ce qui engendre des marges réduites. Aujourd’hui, il est de plus en plus difficile de gommer le coût du stockage demandé par l’OS. De plus, l’organisme est dans une position favorable pour la négociation du prix, ma marchandise étant en dépôt chez lui. Mon souhait est de passer à terme sur une installation de stockage qui me permettrait de stocker 100 % de ma récolte pour être plus indépendant lors de la commercialisation. Cependant, le poids financier de l’infrastructure est un frein pour le moment.
Pourquoi vous êtes-vous intéressé aux marchés et en quoi cela vous est-il utile ?
J’ai commencé à vendre de plus en plus au cours du jour. Mais je n’avais pas de méthode, pas d’informations. Parfois j’avais de la chance et parfois pas, j’avançais un peu à l’aveugle. En 2004, j’ai eu l’opportunité d’assister à une formation sur les marchés à terme, proposée dans mon centre de comptabilité. Les intervenants avaient une approche très synthétique en vulgarisant les marchés, avec la capacité de faire passer un message clair. Cela correspondait exactement à ce que j’attendais et m’a donné envie de continuer.
Dès lors, j’ai découvert une nouvelle façon d’être acteur de mon métier. Intellectuellement, ça a été un jeu. Le côté scientifique avec le maniement des options et le côté géopolitique m’ont particulièrement plu. Qui plus est, cela a donné un nouveau dynamisme à mon métier et m’a donné un levier supplémentaire de négociation dans la vente de mes céréales. Ça a été une véritable oxygénation !
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Toutefois, je ne me revendique pas « expert des marchés » [rire]. Je n’imagine pas faire cette démarche sans être encadré. Dès lors, j’interroge mes différents interlocuteurs (ceux qui achètent ma production mais aussi mon organisme de formation) pour entendre leurs propositions et discuter des perspectives du marché, pour mesurer la pertinence d’une vente à l’instant T.
Il faut se rappeler que les marchés sont basés sur les fondamentaux (l’offre et la demande), le contexte monétaire, géopolitique, climatique et psychologique. Malgré tous ces éléments rationnels, le marché peut parfois être pris d’une forme de déraison. Par exemple, les fonds de pensions américains peuvent influencer le marché, tout comme la composante irrationnelle.
Outre le coût de la formation qui peut paraître élevé, on arrive facilement à rentabiliser l’investissement en trois à cinq ans maximum et au bout de quatre à cinq ans, on commence à être plus à l’aise avec les marchés. Selon mes perspectives dans mon exploitation, même s’il m’arrive de faire des mauvais coups, de façon pluriannuelle, je reste largement gagnant. En plus de l’impact positif sur le résultat économique de mon exploitation, il y a aussi l’accès à la connaissance, qui est inestimable.
Combien de temps consacrez-vous à la commercialisation de vos céréales ?
Je regarde les prix et je suis les marchés tous les jours. Je consacre aussi un temps à analyser les stratégies proposées par les professionnels du domaine. Parfois ça ne prend que 30 secondes, alors que si l’envie de vendre se fait sentir, il m’arrive de passer 2 à 3 heures sur une problématique.
Un conseil pour ceux qui hésitent à se lancer ?
Au départ, lorsque l’on s’intéresse aux marchés on est tenté par l’aspect ludique. On a envie d’aller chercher le dernier euro. Mais il faut savoir rester raisonnable, au risque de faire tapis et de tout perdre. Quand les cours s’emballent, à la hausse ou à la baisse, et que l’on entre dans une phase paroxystique, il faut garder un certain sang-froid et ne pas prendre des décisions trop hâtives dans le feu de l’action. Avec l’expérience, on gagne en sagesse. Le côté ludique existe toujours mais il ne faut pas en être prisonnier. On se trompe parfois mais il ne faut jamais regarder en arrière. Never Back Trading.
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