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Betterave sucrière : « Produire plus pour transformer plus »


TNC le 03/02/2025 à 18:16
BetteraveSucre

En moyenne ces cinq dernières campagnes, la France a produit 34 Mt de betteraves à 16° (© wim, AdobeStock)

Face au recul de la consommation de sucre en France et en Europe, la filière betteravière française s’interroge sur ses débouchés dans les années qui viennent, entre enjeux de rémunération, de réglementation et de compétitivité.

« Betteraves sucrières, quelles utilisations en 2030 ? ». C’était le thème d’une table ronde qu’organisait la CGB lors de son assemblée générale, le 10 décembre à Arras (Pas-de-Calais).

Parmi ces usages, le débouché alimentaire apparaît plutôt mature en Europe et en France, et devrait décroître dans les années qui viennent, note Philippe Goetzmann, spécialiste de l’agroalimentaire. Un déclin lié au vieillissement démographique et au possible recul du gaspillage alimentaire.

Au sujet de « la pression sociétale, mais avant tout politique et des organismes de santé » autour du sucre, il appelle la filière à une pédagogie renforcée : trouver « la juste dose pour que les consommateurs puissent continuer à se faire plaisir avec des prix étudiés sans tomber dans la malbouffe ».

Avec une consommation de sucre alimentaire qui s’engage sur une pente baissière, « soit on est en décroissance des volumes de production mais il faut tenir la valeur, soit on se dit qu’on a des volumes de production et qu’on doit être capables de les vendre à l’export », poursuit Philippe Goetzmann.

Or, les exports français de sucre sont confrontés à des concurrents redoutables, notamment l’Ukraine. Et bien que premier producteur européen de sucre, la France demeure « un nain sur le marché mondial », dominé pas les pays des Brics (Russie et Brésil en tête) et par le sucre de canne, précise l’analyste Arthur Portier (Argus media).

« Il y a une grosse utilisation du sucre produit en France au niveau national et européen, souligne-t-il. Ensuite, selon nos déficits on va importer des qualités spécifiques de sucre. Sur la partie export, on va fournir soit des pays européens déficitaires, soit aller sur le continent africain. »

L’Union européenne représente le marché principal pour le sucre français, en volume comme en valeur : 1,4 Mt et un milliard d’euros en 2022/23. (© FranceAgriMer, douanes françaises)

« Contexte plutôt porteur » pour le bioéthanol

Face au recul de la consommation alimentaire, la betterave pourrait renforcer son rôle dans la production de bioéthanol destiné aux véhicules essence. Près de 20 % de la production betteravière est déjà transformée en carburant, et « la filière de l’éthanol est dans un contexte plutôt porteur », avec des réglementations qui conduisent à plus d’incorporations d’énergies alternatives dans les transports, note Pascal Manuelli, de Total énergie.

Avec une ombre au tableau : le règlement européen qui interdira l’arrêt de la vente de véhicules thermiques neufs en 2035 au profit de l’électrique ou de l’hydrogène, et signerait le glas des véhicules incorporant du bioéthanol. Mais ce « ban » pourrait être révisé, avec par exemple comme alternative « des moteurs thermiques utilisant des carburants 100 % renouvelables ».

L’éthanol de betterave pourrait aussi être valorisé dans l’aviation via les SAF (sustainable aviation fuel), mais les réglementations actuelles interdisent son utilisation car seules les matières non alimentaires sont autorisées.

Premier producteur européen de bioéthanol, la France est loin derrière les leaders mondiaux que sont les États-Unis et le Brésil (© FranceAgriMer, veille concurrentielle 2022)

« Il faut produire plus pour transformer plus, et ça passe par ce secteur énergétique, plaide Arthur Portier. La transformation, ça va induire de la valeur ajoutée derrière qui pourra être redistribuée au long de la filière ». À l’instar des décisions qu’ont pris l’Ukraine et le Canada ces dernières années pour favoriser les exports d’huile de tournesol et de colza et conserver la valeur ajoutée de la transformation.

« La France a une vocation exportatrice de ses produits (sucre, alcool) dans l’UE, et pour ça on doit faire compétition avec les autres acteurs locaux : il faut donc créer assez de valeur ajoutée tout en étant performant sur ces marchés », ajoute Xavier Astolfi, directeur général de Cristal Union.

Et sur cette question de la compétitivité, il pointe les « injonctions contradictoires » liées au Green deal européen, qui enjoint à la décarbonation des industries : « On peut tout imaginer, y compris des nouvelles techniques plus avancées de gestion de l’énergie… Mais ça va demander des moyens ».

« Il nous faut des moyens de production et des prix ! »

« Il faut aussi rester compétitifs vis-à-vis des producteurs de betteraves, poursuit-il, car ils vont faire des choix : faire de la betterave s’ils ont une rémunération suffisante par rapport à d’autres cultures ».

Guillaume Wullens, producteur et président de la CGB du Nord-Pas-de-Calais, va logiquement dans ce sens : « On est prêts à faire tous les efforts du monde, mais on a besoin de cohérence. Il nous faut des moyens de production et des prix ! On peut être compétitifs, mais dans un marché qui nous respecte ».

Évoquant l’accord de libre-échange signé fin 2024 entre l’UE et le Mercosur, il dénonce « un État déloyal qui préfère faire entrer des matières premières à des prix et des moyens de production que nous n’avons pas » et demande « une visibilité à long terme, un État fort et prévoyant » et « des politiques qui reprennent en main le marché ».

Certaines régions du monde apportent de fait un fort soutien au secteur sucrier (achats de sucre, restriction des importations…), si bien que « le niveau de prix sur les marchés intérieurs est bien supérieur aux États-Unis, en Inde, en Chine que ce que nous connaissons dans l’UE. C’est une forme de distorsion de concurrence au niveau mondial », note Xavier Astolfi.

Malgré « des lourdeurs administratives et fiscales » qui peuvent aussi « nous mettre en difficulté face à nos compétiteurs européens », il estime que la filière betteravière française pourra continuer de produire et continuer d’exprimer sa compétitivité via « des politiques de rémunération et d’investissements équilibrés ».