Blé dur : travailler sur le matériel de demain pour assurer la pérennité de la filière
TNC le 17/03/2025 à 18:02
Avec l’ambition d’enrayer le déclin des surfaces de blé dur, la filière française a lancé un plan de souveraineté en février 2024. Parmi les axes de travail, la sélection variétale tient un rôle primordial pour accompagner les producteurs dans les années à venir, d’autant plus dans un contexte de changement climatique.
« Les attentes pour demain sont nombreuses en ce qui concerne la recherche variétale. L’Hexagone ne compte plus que 2 sélectionneurs investis sur la culture du blé dur et il est compliqué d’envisager utiliser le matériel de pays voisins. On le voit avec les variétés italiennes par exemple, dès qu’on les installe dans des bassins de production autres que le Sud-Est, elles s’écroulent sur le plan qualité », explique Matthieu Killmayer, ingénieur Arvalis et animateur de la filière blé dur.
Face au déficit structurel du financement de la génétique, les semenciers ont proposé un programme d’envergure dans le plan de souveraineté, avec DuraSel (pour durabilité de la sélection), reposant sur une mutualisation partielle de leurs forces, des efforts de sélection supplémentaires, et l’utilisation d’outils de génie génétique pour l’instant réservés à d’autres espèces.
DuraSel réunit plusieurs partenaires : la société RAGT Semences, Arvalis et plusieurs équipes de l’Inrae. Ce projet dispose d’un montant global de 25 millions d’euros, financé en grande partie par l’autofinancement des 3 partenaires mais bénéficiera également du soutien des industriels de la transformation du blé dur, ainsi que celui du ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire (25 % du montant total). Il reste toutefois encore en attente de validation, l’instabilité politique ayant entraîné un peu de retard dans ces décisions.
Doubler au moins le rythme des inscriptions
Actuellement, Matthieu Killmayer recense « entre 0 et 2 variétés inscrites par an. L’idée est de doubler au moins ce rythme, via la technique SSD notamment, qui consiste à accélérer au maximum le cycle de sélection au cours des premières années du programme (F1 à F3), tout en générant une diversité génétique importante, afin de raccourcir le délai entre les croisements et l’inscription des variétés ».
Autre point : « améliorer l’adaptation des variétés au changement climatique. Le graal ultime serait de proposer des variétés ultra souples et tout terrain, mais on ne peut pas tout faire d’un coup. La priorité est notamment donnée à la tolérance aux stress hydrique et thermique. Un important panel d’individus avec du matériel français et étranger est étudié, avec des outils de phénotypage (Phénomobile, PhénoField) pour aller plus vite. On regarde aussi le comportement racinaire des individus en milieux sec et irrigué, pour identifier si certaines variétés ont des stratégies plus adaptées que d’autres. C’est assez simple de mettre en place des essais pour la partie stress hydrique dans le Sud-Est, ça l’est moins sur la partie stress thermique. On réfléchit alors à l’installation d’essais réduits, avec des serres, afin de provoquer un stress thermique à un stade donné et de façon prolongée ».
Le projet vise aussi à « poursuivre le travail pour des variétés plus tolérantes aux maladies (rouilles, fusariose) et ainsi limiter le recours aux fongicides. Concernant la jaunisse nanisante de l’orge (JNO) et la maladie des pieds chétifs, un gros travail a été effectué en orge et ça démarre en blé tendre. Alors même s’il n’y a pas de programme spécifique pour le blé dur, nous sommes sensibilisés à ce sujet. Un projet est aussi engagé depuis plusieurs années sur la résistance aux mosaïques et nécessite encore un peu de temps ».
« Si l’objectif est avant tout de reconquérir les bassins actuels de production, on voit également des tentatives de développement de la culture en Alsace, Bourgogne, Champagne et Normandie. Il faut voir ce que ça donne et si on ne prend pas trop de risques, afin de proposer du matériel génétique aussi adapté ».
Sans oublier le rendement
Tous ces points sont importants, mais « c’est sous-entendu, à condition que le rendement augmente aussi bien sûr. Dans le passé, certaines variétés comme Miradoux et Anvergur sont restées très longtemps en haut du podium, la marche à gravir était difficile pour les autres. On commence tout juste à dépasser cette productivité avec les variétés actuelles et il a fallu attendre quasiment 10 ans. En blé tendre, le flux variétal est plus continu : un renouvellement s’opère tous les 3-4 ans. En blé dur, on est plutôt sur 8 ans, donc il y a une marge de progrès ».
Quand peut-on espérer voir les premiers résultats de DuraSel ? « Les semenciers ont commencé les premiers semis cette campagne, donc on ne peut pas attendre des résultats sous 2 ans, mais on peut avoir de bonnes surprises. Si les croisements de départ sont bons, on peut se dire sous 5 ans, sinon ce sera plutôt dans 10 ans ».