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Marché des céréales

Comment la géopolitique façonne le marché mondial du maïs ?


TNC le 08/04/2024 à 10:00
MondeMaIs

La planète maïs se concentre autour de quatre grands pays producteurs et exportateurs : les États-Unis, le Brésil, l'Argentine et l'Ukraine (© Mdv Edwards, AdobeStock)

Dépendance de l’UE au maïs non-OGM ukrainien, poids de la Chine, relation entre le Mexique et les États-Unis, etc. : le chercheur Sébastien Abis explique à quel point la géopolitique influence le marché mondial du maïs

Le marché mondial du maïs a une tonalité géopolitique très forte, explique le chercheur Sébastien Abis, et peut-être encore plus ces dernières années.

D’abord du fait d’une « hyperconcentration productive et exportatrice » autour de quatre géants : États-Unis, Brésil, Argentine et Ukraine. Si cette dernière est fragilisée depuis début 2022 à cause de la guerre, le maïs ukrainien « reste, et risque de devenir encore plus demain, la céréale dominante de l’Ukraine ».

Cela fait une dizaine d’années que le pays produit massivement du maïs, notamment non-OGM, notamment pour fournir le marché européen, précise le spécialiste.

Car le poids de l’Union européenne sur le marché du maïs est somme toute relatif : « l’Europe ne couvre pas ses besoins à 27, heureusement que quelques pays comme la France, la Pologne, la Roumanie ont encore des volumes de production non négligeables ».

L’UE pourra-t-elle toujours compter sur l’Ukraine pour se fournir en non-OGM ?

« Sur le maïs, on ne peut pas passer à 100 % de dépendance vis-à-vis du marché extérieur », estime-t-il : entre les incertitudes liées au climat et celles qui concernent l’évolution du conflit russo-ukrainien, « l’Europe aurait intérêt à continuer à produire tout ce qu’elle peut produire ».

D’autant plus qu’au-delà de la guerre, « dans une Ukraine tenue un peu par les milieux économiques états-uniens », il n’est pas garanti que la production ukrainienne continue de répondre aux exigences de maïs non-OGM de l’UE.

Et si l’UE choisit de continuer à produire du maïs à l’avenir, « il faudra que la classe politique et les consommateurs comprennent que ça demande quelques conditions, de la mobilisation d’eau, de la mobilisation de terres, de la mobilisation de moyens scientifiques. »

Des achats chinois de plus en plus volumineux

Autre illustration de cette dimension géopolitique du maïs : « le jeu clé du pachyderme chinois pour les équilibres et déséquilibres au niveau mondial ».

Tout en étant le premier producteur mondial de maïs, l’Empire du milieu importe massivement ces dernières années. Entre « problématiques de récolte » liées au climat et reconstitution du cheptel porcin après l’épizootie de fièvre porcine africaine, ses besoins intérieurs s’amplifient, notamment pour l’alimentation animale.

Et « quand la Chine se met à avoir 5 % de sa consommation qui vient du marché mondial, ça prend des volumes énormes ! » La question sera alors de voir si le pays sera « demain, capable de produire stablement du maïs » pour satisfaire sa demande intérieure.

Pour ce faire, « il commence à mettre le turbo sur les biotechnologies » : longtemps réfractaire, il a approuvé l’importation et la production de variétés de soja et de maïs OGM.

« Le corridor maïs Brésil-Chine est solide »

Quant aux tensions accrues ces derniers temps entre Chine et USA, deux gros acteurs du marché, autour de Taïwan, elles ont permis au Brésil de renforcer son rôle de fournisseur majeur du marché d’import chinois.

« Géopolitiquement, c’est intéressant, souligne Sébastien Abis : quel que soit le président brésilien ces dernières années, le corridor maïs Brésil-Chine est solide […] [Le gouvernement] Lula III a confirmé qu’on ne tapait pas sur l’ami chinois, surtout qu’il achète beaucoup de maïs et de soja au Brésil. »

De même sur les relations entre Chine et USA, « Trump ou pas Trump, Biden ou pas Biden, les affaires continuent et côté chinois comme côté américain, on n’oublie jamais que « les affaires first » ! »

Quel avenir pour les exports US vers le Mexique ?

Il revient enfin sur « la relation spéciale entre les USA et le Mexique ». Au Mexique, l’un des plus gros pays consommateurs de maïs dans le monde et qui en achète de plus en plus, la population puis les autorités ont remis en question l’achat de maïs OGM, surtout importé des USA.

En face se trouvent les producteurs de maïs états-uniens, « pour qui le premier marché et de très loin, c’est le Mexique, bien devant la Chine » et qui seraient donc très impactés par une fermeture du marché d’export mexicain.

« Là aussi on aura peut-être une géopolitique qui va s’affranchir de la morale – OGM ou pas OGM », présage Sébastien Abis. Avec d’un côté « un Mexique qui va devoir tenir une cohérence [par rapport à sa décision d’interdire l’utilisation de maïs OGM] et de l’autre côté des États-Unis qui vont défendre des intérêts… Et pour l’instant, le maïs états-unien, il aime descendre vers le Mexique. »