Dans le vignoble bordelais, la lutte désespérée face au mildiou
AFP le 17/07/2023 à 12:05
Julien Luro sait que la « lutte est sans appel ». Sur les coteaux de l'Entre-Deux-Mers, des petites baies de merlot d'un vert éclatant virent inexorablement au brun-rouge, signe de la présence du mildiou, dont la virulence cet été menace le vignoble bordelais, en plein marasme.
Ce producteur de vins rouges d’appellation Bordeaux et Bordeaux supérieur, certifié Haute valeur environnementale (HVE), a perdu « 100 % de certaines parcelles » et redoute de perdre la « moitié » de sa récolte. La faute au rot brun, un mildiou tardif et destructeur qui s’attaque à tous les organes en croissance des plants de vigne.
Sous l’effet de ce parasite mi-algue mi-champignon, les feuilles se couvrent de tâches et flétrissent, les grappes se dessèchent jusqu’à se momifier et tomber au sol.
Et malgré 50 000 euros dépensés pour effectuer onze traitements depuis mi-avril sur les premières feuilles – contre six l’an dernier, à commencer par le cuivre et le souffre – rien n’y fait. Le mildiou bénéficie depuis plusieurs semaines d’un cocktail explosif : orages, synonymes de « bombes d’eau » sur les vignes, et températures élevées.
« Une atmosphère tropicale propice au développement de la maladie, avec de la rosée presque tous les matins et de la chaleur », explique Laurent Bernos, directeur du service vigne et vin à la chambre d’agriculture de la Gironde.
Selon les premières données récoltées en Nouvelle-Aquitaine sur 86 parcelles de référence, « 90 % des vignes sont touchées, à plus ou moins grande échelle », indique la Chambre d’agriculture de Gironde.
« Et sur ces parcelles atteintes, on a 50 % de destruction des grappes », ajoute l’ingénieur, et particulièrement celles de merlot, un cépage « extrêmement touché » qui représente « deux tiers de la surface de vignes du département ».
« Du jamais vu »
Outre le Bordelais, les vignobles du Jurançon, d’Irouleguy et du Bergeracois, ont également subi les attaques virulentes du parasite, selon Marc Raynal de l’Institut français de la vigne et du vin (IFV) qui scrute aussi le mildiou dans la région.
Seul le vignoble du Cognac semble jusqu’ici relativement épargné, ainsi que le nord du Médoc et du Blayais.
En Gironde, l’épidémie dépasse les épisodes de 2018 et 2021, selon certains. « De mémoire d’anciens, une telle ampleur, c’est du jamais vu ici », assure Julien Luro qui a repris en 2006 l’exploitation familiale de 50 hectares, une fois son bac pro en poche.
Les viticulteurs qui utilisent des produits de contact, lessivables, sont les plus durement touchés, notamment en bio.
C’est un nouveau coup dur pour le plus grand vignoble AOC de France – 110 000 hectares cultivés -, qui souffre déjà de l’effondrement des prix, de la fermeture de marchés à l’export et de la surproduction évaluée à un million d’hectolitres. Sans oublier la déconsommation.
« Chez les viticulteurs, il y a un désespoir terrible. On ne peut rien faire pour stopper l’hémorragie, il n’y a aucun moyen d’intervenir », déplore M. Bernos.
Face à cette situation, la MSA girondine a mis en place un dispositif d’accompagnement, passant notamment par la création d’un numéro vert.
Friches
Trois députés girondins ont par ailleurs réclamé à l’Etat d’anticiper la demande de reconnaissance de « calamité agricole pour perte de fonds d’origine climatique » que doit déposer la filière.
« Ecoeuré », Julien Luro prône, lui, un arrachage massif des vignes abandonnées, véritables « nids à maladies » – mildiou et flavescence dorée en tête -, qui n’ont cessé de s’accroître ces derniers années. Pour preuve, il pointe ses rangs les plus contaminés jouxtant 17 hectares ensauvagés du vallon voisin.
« On se bat, on essaie de tout bien faire pour l’environnement en limitant les traitements mais quand on a un mauvais élève à côté, c’est peine perdue », grince le viticulteur qui voudrait sanctionner financièrement les propriétaires de vignes abandonnées.
Car le plan massif d’arrachage « sanitaire » visant 9 500 hectares en Gironde, dont la phase de précandidatures se clôt ce lundi, ne réglera pas totalement la situation : seules les vignes « en capacité de produire les cinq dernières années jusqu’en 2022 » sont concernées.
Même avec une récolte amputée, Julien Luro va devoir continuer à traiter le feuillage de ses vignes matraquées, pour protéger ses rameaux et préserver de futures vendanges.