Depuis le début de la guerre, la Russie pèse encore plus sur le marché du blé
TNC le 18/03/2024 à 15:42
La domination de la Russie sur le commerce mondial du blé s’amplifie depuis le début de la guerre en Ukraine, entre volumes record, prix bradés, arrangements financiers complexes et partenariats stratégiques. Le point avec Sébastien Abis, chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris) et directeur du club Demeter.
L’influence de la Russie sur le marché mondial du blé s’est amplifiée depuis le début de la guerre en Ukraine, avec des récoltes et des exportations record : 50 Mt à l’export cette campagne, soit 25 % du marché mondial.
« La Russie avait déjà fait son réarmement céréalier en 2014 », au début des sanctions européennes et étasuniennes, rappelle le chercheur Sébastien Abis. Elle a poursuivi son réarmement agricole entre 2014 et 2022 via la diversification des productions, « en allant chercher de l’animal, plus de végétal, des fruits et des légumes, etc. ».
Et tandis que les sanctions occidentales se sont intensifiées depuis le début de la guerre en Ukraine, « la Russie n’a jamais autant pesé qu’aujourd’hui ». Cette russification du marché du blé depuis deux ans a été facilitée par le fait « qu’il n’y avait personne sur le banc de touche pour prendre la place de l’Ukraine ».
De fait, « l’Ukraine a exporté moins de blé et les autres pays n’en ont pas exporté davantage. Ce qui fait que mécaniquement, en augmentant ses volumes et en voyant que le concurrent ukrainien était moins présent, la Russie a russifié ses parts de marché en 2022/23 ».
Cette russification s’est faite « par les volumes et par des prix bradés », le pays « s’affranchissant des règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) », précise Sébastien Abis.
Ingénierie financière et partenariats renforcés
Face aux sanctions, la Russie a « bougé des lignes et intensifié ses manœuvres » en matière d’ingénierie financière : « elle s’est adaptée sur un terrain qui préexistait, pour aller plus loin dans des montages où il fallait passer par certains pays pour financièrement être payé, ou passer par certains pays pour pouvoir transformer du blé et en exporter sous forme de pâtes, de farine… ».
Les capacités d’innovation en ingénierie financière de Dubaï ont attiré les opérateurs russes cherchant à contourner les sanctions, illustre le chercheur. La ville émiratie s’est positionnée non seulement comme un centre pour les flux physiques, mais surtout comme une plate-forme financière facilitant les transactions entre la Russie et ses partenaires, assurant ainsi des paiements efficaces.
Autre exemple : la Turquie, gros acheteur de blé russe ces dernières années, a intensifié ses échanges. Fort d’un « énorme tissu industriel » et d’une « industrie farines et pâtes très dynamique », le pays trouve un intérêt croissant à transformer le blé russe localement, ce qui contribue à asseoir la position dominante de la Russie sur le marché mondial.
Sébastien Abis évoque aussi la Serbie, seul État ayant un accord de libre-échange complet avec la Russie pour tous les produits, ce qui lui permet « de continuer de faire des affaires avec la Russie dans un sens ou dans un autre ».
Et demain ? La Russie a consolidé sa position sur le marché mondial, mais on pourrait néanmoins s’attendre à « un petit rééquilibrage » en 2024 car « l’Ukraine exporte à nouveau beaucoup et la Russie aura une récolte peut-être un peu moins bonne que les deux années précédentes ».