En Gironde, une jeune entreprise cultive l’avenir avec de l’urine humaine
AFP le 04/06/2022 à 15:04
Dans un hangar gris, entre champs et forêts du Sud-Gironde, la jeune société Toopi organics est prête à valoriser chaque année, via des bactéries, 250 000 litres d'urine humaine en un volume égal de « bio-solution » afin de réduire les engrais minéraux dans l'agriculture.
Cette « unité de transformation », inaugurée vendredi à Loupiac-de-la-Réole, à 60 km au sud-est de Bordeaux, abrite des dizaines de réservoirs en plastique de 1 000 litres et des grandes cuves reliées à des tuyaux, où des bactéries fermentent dans de l’urine humaine collectée au Futuroscope, sur des aires d’autoroutes Vinci, des lycées alentour ou des festivals de musique.
« L’urine est un support, ce sont les bactéries qui vont agir dans le champ », explique dans le hangar un chargé de production logistique de Toopi (de l’anglais « To pee », faire pipi, et du français toupie, « pour le côté économie circulaire », explique-t-on).
« Dans cinq ans, nous espérons avoir installé 20 usines comme celle-là en France, à l’interface des grandes villes, où les volumes d’urine sont disponibles, et de la campagne, où l’on a besoin d’engrais », annonce Michael Roes, son jeune président-fondateur (33 ans). Il table à cet horizon sur un chiffre d’affaires en France de 80 millions d’euros.
Selon lui, « recycler les excréments humains est un des leviers d’une agriculture durable », car cela s’inscrit notamment dans un cercle vertueux.
Quand les plantes, qui ont besoin d’azote, phosphore et potassium pour croître, ou les animaux qui les ingèrent sont mangés par l’homme, celui-ci excrète ces nutriments, en majorité via l’urine. Si elle est collectée et valorisée, le cycle s’enclenche.
Pendant longtemps les excréments des villes ont d’ailleurs servi dans les champs, avant d’être supplantés par les engrais chimiques.
« Nous sommes les seuls sur le marché mondial à avoir une technique de recyclage de l’urine, à des fins agricoles économiquement viables », et qui permet de réduire l’empreinte carbone de l’agriculture et la pollution des sols, assure à l’AFP M. Roes. « Et sans produire de déchet », un litre d’urine donnant autant d’engrais naturel.
« Sur tous les fronts »
« La production annuelle d’une usine comme celle-là permet de baisser de 20 % la part d’engrais minéraux sur une superficie de 60 000 hectares », à rendement équivalent et un coût inférieur et un impact environnemental moindre, affirme-t-il.
Le gain écologique vient notamment du fait d’utiliser moins de gaz, une énergie fossile, pour produire de l’engrais azoté. Pour le phosphate et le potassium, cela signifie aussi moins d’extraction minière, industrie très polluante, et moins de rejets dans les eaux de ruissellement car Toopi assure qu’avec ses produits, la plante fixe 100 % du nutriment disponible, ce qu’elle ne fait pas avec les engrais minéraux, qui se retrouvent parfois dans les rivières, favorisant par exemple l’apparition des algues vertes.
Pour Alain Rousset, président PS de la région Nouvelle-Aquitaine, qui aide Toopi organics depuis sa création en 2019 : « On gagne sur tous les fronts car la fabrication d’engrais azoté a un coût énergétique énorme et en plus nous l’importons ».
Et avec la guerre en Ukraine et les sanctions contre la Russie, les prix du gaz comme des engrais se sont envolés, rendant plus pressante pour les pays la question de leur souveraineté alimentaire.
Dans un autre bâtiment, des responsables montrent les urinoirs sans eau qui collectent la matière première. Y compris un urinoir féminin. « Des lycéennes ont demandé à avoir les leurs car elles voulaient participer à l’opération de collecte », explique un des 22 salariés de Toopi, qui seront 250 d’ici 5 ans si les projets de Michael Roes se réalisent.
Le jeune patron assure qu’« aujourd’hui, on ne peut plus se permettre de faire pipi dans de l’eau potable ». Il assure pouvoir collecter 3 millions de litres d’urine par an. Largement de quoi satisfaire ses besoins de production.
Alors qu’il attend, sous peu, une autorisation de mise sur le marché, les 250.000 premiers litres qui sortiront du site de Loupiac-de-la-Réole, soit la première année de production, sont déjà vendus, se félicite-t-il.