Face au changement climatique, vers quelles espèces se tourner demain ?
TNC le 16/11/2023 à 17:39
Identifier les nouvelles cultures ou les cultures migrant avec le changement climatique, tel est l'objectif de l'étude menée par la délégation interministérielle pour le Varenne de l'eau. Si plusieurs cultures ont été identifiées comme résilientes, il reste encore plusieurs verrous à lever sur les plans agronomique, organisationnel et économique...
« La récurrence des épisodes de sécheresse et l’augmentation de la fréquence et de l’intensité des autres aléas climatiques révèle de manière exacerbée la nécessité et l’urgence d’engager une adaptation profonde des exploitations et des filières au changement climatique ».
Dans le cadre du Varenne de l’eau et de l’adaptation au changement climatique, le Délégué interministériel (Divae) a sollicité l’appui du CGAAER* pour s’intéresser à la stratégie de diversification des assolements dans l’Hexagone. Et tous facteurs confondus, les cultures considérées comme « intéressantes d’un point de vue résilience sont : tournesol, soja, sorgho, méteils, pois chiche, prairies multi-espèces, chanvre, pistache », note le Divae.
Des cultures résilientes, mais encore un frein économique à lever
Parmi elles, soja, sorgho, tournesol, chanvre et pois chiche ont fait l’objet d’une étude plus approfondie sur les freins et leviers à leur développement. Sur le plan agronomique tout d’abord, le rapport fait état « d’un retard dans la recherche variétale pour ces différentes cultures ». Autres problématiques soulevées : des impasses techniques qu’il faut anticiper face au retrait de substances actives et une gestion complexe des adventices, notamment au moment de l’implantation. […] Comme pour beaucoup de cultures de printemps, c’est une étape-clé dans la réussite des cultures ». Le Divae souligne également le manque de recherche dans le matériel, comme pour la récolte du chanvre par exemple.
Il en ressort, d’un point de vue économique, « des marges brutes inférieures aux cultures traditionnelles ». Pour certaines cultures, la concurrence internationale limite aussi le développement de filières nationales, comme c’est le cas du soja. Et parfois, « les variations de prix trop importantes peuvent mettre à mal le respect des contrats entre amont et aval », à l’image du pois chiche… « Les marges sont cependant sous-estimées pour les légumineuses, leur apport en tant que précédent étant attribué à la culture suivante », précise le Divae.
Il note également des freins organisationnels, concernant la structuration des filières. « Une contractualisation tri partite entre amont, aval et consommateur, dans le cadre de projets alimentaires territoriaux, pourrait en partie résoudre certaines de ces problématiques. […] La logistique est un point clé, notamment pour les légumineuses à graines. La récolte et le stockage coûtent. »
Pour plus d’informations, retrouvez pour le sorgho, le tournesol, le soja, le pois chiche et le chanvre des détails sur la dynamique de changement de leurs différentes filières et les différents moyens d’accompagnement mis en avant dans le rapport :
Sorgho
« Déjà présente depuis les années 1970 en France, la culture du sorgho a atteint 3 fois les 100 000 ha. Depuis une vingtaine d’années, la surface fluctue et se situe à environ 55 000 ha. Un pic de surfaces de production a eu lieu en 2020 (115 000 ha), mais les surfaces ont réduit de plus de 40 % entre 2020 et 2023. Ce pic s’expliquait notamment par des difficultés de semis des céréales à paille, l’augmentation importante des prix des céréales à paille et du maïs entre 2020 et 2023 expliquant la diminution des surfaces en sorgho. »
Rendement moyen : de 50 à 60 q/ha à l’échelle nationale.
Temporalité des changements: « la dynamique est plutôt à une croissance progressive et semble assez marquée par le changement climatique. La culture du sorgho étant techniquement comparable à celle du maïs, il est assez facile de changer de culture d’une année sur l’autre. »
« Le principal frein au développement de la filière étant la quantité produite, l’incorporation dans les systèmes de production semblant être relativement facilement réalisable, il semble que le développement du sorgho pourrait être accéléré en cas de construction d’une filière forte. Enfin, des investissements dans la logistique pour les collecteurs sont à prévoir (transport, mobilisation de séchoirs et silos dédiés). »
Moyens d’accompagnement : « La sélection variétale se poursuit pour développer les variétés plus au nord, le changement climatique aidant également. Concernant la lutte contre les adventices, peu de produits sont homologués, la possibilité de désherbage mécanique est à encourager et les leviers de limitation du développement des adventices via les rotations à pousser. »
« Concernant les outils financiers, contrairement à la filière des protéagineux, la filière sorgho ne semble pas avoir bénéficié d’aides importantes des pouvoirs publics pour la structuration de filière. Le sorgho ne bénéficie par ailleurs pas d’aides couplées. Aussi, le marché du sorgho ne possède pas de marché à terme, son cours est corrélé à celui du maïs sur Euronext. Enfin, concernant les futures créations de valeur, le sorgho pourrait diversifier ses débouchés (à long terme) vers l’alimentation humaine, comme c’est le cas dans certaines parties du monde (un peu plus de 40 % de la production mondiale du sorgho grain est destiné à l’alimentation humaine). »
Tournesol
« Le tournesol est produit sur près de 670 000 ha en moyenne ces 10 dernières années, mais connaît une augmentation importante depuis 2019 (861 000 ha cultivés en 2022 en relation avec les augmentations de prix sur le marché mondial). Majoritairement implantée dans le Sud et le Centre-Ouest (la Nouvelle-Aquitaine cultive 250 000 ha) la culture se déplace vers le nord : : Centre, Bourgogne-Franche-Comté et Grand-Est, mais également Normandie et Hauts-de-France. C’est dans le Grand-Est que l’augmentation est la plus importante : + 302 % entre 2000 et 2020 (+ 35 000 ha)
Rendement: en moyenne de 23 q/ha sur 2000-2020
Temporalité des changements: « Pour les exploitants, le tournesol s’insérant relativement bien dans les systèmes culturaux et étant basé sur une filière solide, il ne nécessite pas de rupture fondamentale des systèmes de production et peut se développer relativement facilement. En termes de matériel, l’adaptation de la coupe de moissonneuse est tout de même nécessaire, de même un semoir monograine est conseillé. »
« Les usines de trituration qui triturent du colza sont également capables de triturer du tournesol. Elles ont globalement un objectif de saturation de leurs outils. Si la culture remonte vers le nord et si la capacité de trituration est disponibilité, les usines du nord de la France seront vraisemblablement en mesure de triturer les graines (certaines ont trituré du tournesol par le passé). »
Moyens d’accompagnements : « Les rendements du tournesol sont stables, les effets du marché sont prépondérants. » Pour le Divae, « les recherches variétales ces dernières années ont porté leur fruit en parcelles d’essais, mais cela ne se traduit pas forcément au champ. Il conviendra de résoudre cette difficulté. Un marché à terme avait été testé, mais ne semble pas avoir fonctionné ».
Soja
« La culture de soja s’est développée en France à partir du sud-ouest, dans les années 1980, à la suite du plan protéines européen. Après une vague de prix faibles et une diminution des soutiens de la Pac, pendant laquelle les surfaces ont été réduites, la culture connaît une croissance importante depuis 2012, tirée par des prix mondiaux élevés avec la forte demande chinoise. Les surfaces atteignent aujourd’hui 187 000 ha, dont près de 35 % sont produits en Occitanie, majoritairement en culture irriguée. » La filière vise un objectif de 250 000 ha en 2025.
Rendements: « les résultats peuvent atteindre 30 à 40 q/ha en irrigué et 20 à 25 q/ha en pluvial, dans les sols très profonds. La moyenne nationale, en irrigué ou non, sur ces 10 dernières années est de 27 q/ha ».
Temporalité des changements : « Il n’y a pas de rupture à attendre dans la production de soja tant que les conditions de marché seront favorables à l’importation de soja OGM américain. Une croissance progressive de la production du soja non-OGM pour les filières qualité (tourteaux) et pour l’alimentation humaine (graine) est en cours et de nouveaux marchés sur cette dernière sont à construire en France. Il ne paraît pas envisageable dans les conditions économiques actuelles de développer le soja non-OGM dans les élevages dits conventionnels standards ; la recherche de protéines produites dans ces élevages se fera plutôt sur les bases de tourteau de colza ou de légumineuses prairiales, moins chères à l’achat. »
Moyens d’accompagnement: « La recherche variétale de ces dernières années a permis d’adapter les variétés, tant en ce qui concerne les climats plus septentrionaux que la résistance aux maladies. Il reste à améliorer la gestion des adventices. Les aléas climatiques sont cependant encore vecteurs de variabilité forte dans les rendements. »
« Les filières protéines ont bénéficié de soutiens importants pour leur structuration (notamment dans le cadre du plan de relance). Ces soutiens sont importants dans la mesure où les filières font face à des difficultés liées aux bassins de production très étendus, à la gestion des stocks pointue pour éviter toute contamination entre céréales et légumineuses, à la segmentation importante des marchés légumineuses. Dans le marché de l’alimentation humaine, on sent une certaine « logique start-up » : des investissements qui peuvent être importants pour répondre à des débouchés en cours de développement. »
Pois chiche
« Historiquement présente en régions Paca et Occitanie, on assiste à une expansion de la culture de pois chiche vers la Nouvelle-Aquitaine et le Centre-Ouest. Les surfaces ont particulièrement augmenté entre 2017 et 2019 (36 700 ha), notamment du fait d’un prix mondial explosant avec la demande mondiale et une production indienne fluctuante. La surproduction et les stocks importants ont cependant fait chuter les prix par la suite. La surface en 2022 reste cependant relativement élevée avec plus 16 000 ha en culture. »
Rendements : 17 q/ha en moyenne en France. Le potentiel est assez variable, compris entre 15 et 30 q/ha en conventionnel.
Temporalité des changements : « Si la croissance de la filière paraissait progressive entre 2000 et 2017, les années 2017 à 2019 ont montré qu’elle pouvait augmenter subitement avec la volatilité des prix mondiaux. »
« Pour un exploitant, le matériel classique de semis et de récolte de céréales permet de cultiver le pois chiche. Par ailleurs, la moisson se faisant après celle des blés, le matériel est disponible. En revanche, le désherbage mécanique nécessite herse étrille et bineuse dont les exploitants non bio ne sont pas tous équipés. »
« La société Ciacam était déjà équipée pour traiter des pois chiches qu’elle importait à 99 % avant 2010. Pour ce type de société, il n’y a donc pas de rupture pour traiter du pois chiche local. La traçabilité des produits français semble par ailleurs avoir permis de substituer facilement les imports par des produits locaux. En revanche, pour aller plus loin dans la création de filière, le fait de passer un seuil de surfaces produites et dépasser le marché de niche est crucial. »
Moyens d’accompagnement : « Un travail reste à mener sur la qualité pour les semences/graines et la stabilité des rendements qui sont assez variables ; le pois chiche est parfois vu uniquement pour son intérêt pour la culture suivante. Des recherches/essais sont également à amplifier pour le désherbage : soit par du désherbage mécanique, soit par des aspects de rotation ou de couvert. »
« La contractualisation est à approfondir (des contractualisations tripartites, entre agriculteurs, transformateurs et collectivités pourraient par exemple être développées dans le cadre de projets alimentaires territoriaux). Le pois chiche bénéfice d’aides couplées dans le cadre de la Pac. »
Chanvre
« Culture très développée et atteignant plus de 100 000 ha à la fin du XIXème siècle, la disparition de la marine à voile et le développement des fibres synthétiques ont quasiment fait disparaître le chanvre au cours du XXe siècle en France. A la faveur de nouveaux débouchés, les surfaces sont en croissance depuis une vingtaine d’années, et plus particulièrement depuis 10 ans. Elles représentent près de 22 000 ha, plaçant la France en troisième producteur mondial et le premier européen en 2023. Actuellement, pour couvrir l’ensemble des débouchés au niveau national, 40 000 ha seraient nécessaires. »
Rendements moyens : entre 8 et 10 q/ha en chènevis (graines) et 8 t/ha de paille. Ils sont cependant assez variables selon le type de sol, avec des rendements moindres en terres argilo-calcaires superficielles, et légèrement plus élevés en terres profondes (Champagne crayeuse par exemple).
Temporalité des changements : « Pour un territoire, il y a une certaine logique de rupture dans l’évolution vers la production de chanvre ; elle nécessite un investissement important dans une/des usines de transformation. Pour un exploitant, l’inclusion du chanvre dans sa rotation peut être plus souple si une filière est présente à proximité, et à condition que le matériel requis pour la récolte soit disponible et facilement mobilisable. »
« Enfin, si les surfaces augmentaient rapidement, une interrogation subsiste sur la disponibilité de semences (obligation de semer des semences certifiées tous les ans). »
Moyens d’accompagnement : « En termes d’outils physiques, qui semblent les risques les plus importants (récolte), il y a apparemment un sous-investissement dans le matériel de récolte, de même que dans la recherche en variétés adaptées et dans la mise en place de garanties de qualité en ce qui concerne les semences. »
« En termes d’outils « financiers » pourraient être travaillés :
– la contractualisation entre les industriels et les agriculteurs qui ne garantit pas toujours une récolte optimale du fait de la disponibilité de matériel ;
– les aides couplées aux producteurs dans le cadre de la Pac pour la production de chanvre (une centaine d’euros/ha) ;
– la « Logique start-up » pour les nouveaux débouchés : potentiellement de gros débouchés, mais de gros investissements à réaliser avec un risque important de ne pas écouler la production (variation des prix des matériaux issus de la pétrochimie). Il semble qu’un besoin de communication auprès des industries potentiellement utilisatrices des dérivés du chanvre soit à réaliser. A ce titre, l’interprofession a un rôle essentiel à jouer ».
*CGAAER : Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux