L’agriculture pourra-t-elle faire face aux conflits d’usage sur l’eau ?
TNC le 22/01/2025 à 11:22
D’après un rapport de France Stratégie publié le 20 janvier, la demande en eau pour l’irrigation devrait augmenter fortement d’ici 2050, dans un contexte de diminution de la ressource. Sera-t-il possible de limiter les conflits d’usage ?
Premièrement, il ne faut pas croire « que l’agriculture va prendre ce qu’elle veut », affirme Luc Servant, vice-président des chambres d’agriculture. « On travaille depuis des années, voire des décennies, à une réduction de l’usage de l’eau », ajoute-t-il. Dans le cadre de la publication de son rapport, Comment pourraient évoluer la ressource et la demande en eau d’ici à 2050 ?, France Stratégie a organisé le 21 janvier une conférence prospective pour anticiper les conflits d’usage de l’eau.
Les enseignements du rapport ne semblent pas, à première vue, alarmants puisque même le scénario tendanciel conclut à une stagnation ou à une baisse des prélèvements en eau, grâce à la fermeture des centrales nucléaires en fin de vie. Cependant, les variabilités territoriales et temporelles seront fortes, prévient Hélène Arambourou, co-rédactrice du rapport.
Car les diminutions pour l’énergie se concentreront plutôt à l’est de la France, où se situent les centrales, tandis que l’augmentation des besoins pour l’irrigation seront très marqués à l’ouest de la France avec, en outre, une demande beaucoup plus forte entre mai et septembre. Ainsi, les consommations d’eau augmentent dans tous les scenarios (tendanciel, politiques publiques ou rupture), et seul le scénario de rupture permet de contenir la croissance de la consommation.
Un changement systémique nécessaire ?
Ainsi, même dans ce scénario de rupture, la consommation liée à l’irrigation augmenterait de 40 %, expliquent les auteurs du rapport, qui évoquent la nécessité d’une « changement systémique » de l’agriculture pour réduire la demande.
Il ne faut cependant pas oublier, rappelle Luc Servant, que « l’irrigation permet de sécuriser la production agricole ». Sans cette eau, les rendements sont soumis à de grandes variations, et la diversification s’avère plus difficile, ajoute-t-il. « Moi j’ai dix cultures sur mon exploitation, tandis que mes voisins sans irrigation en ont trois », témoigne l’agriculteur, installé en Charente-Maritime. Sans irrigation, on se dirige selon lui vers une simplification des systèmes et un agrandissement des exploitations au détriment des installations.
Pour autant, le monde agricole fait des efforts, précise-t-il. « Aujourd’hui, on gère mieux les engrais, c’est aussi la diversité culturale qui permet ça, et l’eau est un accélérateur de transition ». Luc Servant met en avant la nécessité du stockage de l’eau disponible en hiver pour sécuriser l’accès à l’eau des agriculteurs. « Même si la ressource disponible va réduire de 50 milliards de litres, aujourd’hui sur les 200 milliards, on ne prélève que 3 milliards pour l’irrigation », rappelle-t-il.
Pour Martin Gutton, délégué interministériel chargé de la gestion de l’eau en agriculture, le sujet de quantité est majeur pour accompagner un certain nombre de transitions, « ce qui explique le désarroi du monde agricole, qui voit dans ces projets de stockage un moyen de s’adapter au changement climatique subi ».
Il peut y avoir un contrat social, poursuit-il. On devrait avancer sur la question du stockage de l’eau, en contrepartie le monde agricole avancera plus vite sur la reconquête de la qualité de l’eau dont la réduction des micropolluants. On aura demain des conflits entre usagers, car les collectivités vont engager des actions contre les acteurs agricoles si on n’arrive pas à améliorer la situation sur les pesticides. » Pour l’ensemble des acteurs, il sera cependant crucial de maintenir le débat à l’échelle locale, qui permet de trouver plus facilement des compromis pour répondre aux problèmes concrets du territoire.