Le désarroi des producteurs face à une pression pucerons inédite
TNC le 11/05/2020 à 09:22
Les producteurs de betteraves sucrières font face, cette année, à une pression pucerons particulièrement exceptionnelle. Pour bon nombre d'entre eux, cette situation souligne, une nouvelle fois, le « non-sens écologique » de l'interdiction d'utilisation des néonicotinoïdes en agriculture face au manque d'alternatives aujourd'hui.
« En 30 ans, je n’avais jamais vu une présence de pucerons si précoce sur betteraves », constate notamment Ghislain Malatesta, responsable du département « expérimentation et expertises régionales » à l’Institut technique de la betterave (ITB).
Des attaques de pucerons importantes et précoces
Agriculteur et conseiller cultures dans l’Aube, Florent Thiebaut témoigne également de l’arrivée des pucerons dans ses parcelles de betteraves à des stades très jeunes. Il a déjà réalisé un passage de Movento et un de Teppeki. Et un troisième sera sûrement nécessaire compte-tenu des conditions favorables aux pucerons, alors « que l’année dernière, un seul traitement en végétation à la mi-mai avait suffi », indique l’agriculteur.
Un problème qui s’ajoute, en plus pour cette culture tête de rotation, à « des soucis de désherbage face au manque d’eau, une pression cercosporiose et des cours du sucre fortement chahutés ».
Les observations sont similaires chez Alexis Hache, agriculteur près de Chaumont-en-Vexin (Val d’Oise) et président de la Sica des betteraviers d’Étrépagny (Eure). « Nous avons semé les betteraves fin mars-début avril comme d’habitude, mais les conditions sèches ont entraîné des complications de levées. Avec un climat favorable à une arrivée très précoce des pucerons, l’agriculteur a dû faire un Movento au stade 2 feuilles. Et malgré les pluies de la semaine passée, il a constaté une présence toujours forte de pucerons dimanche dernier. 12 jours après son premier aphicide, il est donc repassé, au stade 4 feuilles + 2 suivantes naissantes, avec un Teppeki, dont la dérogation a été autorisée dès le stade 2 feuilles la semaine dernière.
Selon la réglementation, « je peux encore réaliser un seul passage de Movento, peut-être la semaine prochaine si la pression persiste. Hors les betteraves sont sensibles face aux pucerons jusqu’à la couverture du sol, donc il reste encore près de 40 jours à tenir », s’inquiète Alexis Hache.
Lire aussi : L’usage du Teppeki désormais possible dès le stade 2 feuilles de la betterave
Un « non-sens écologique »
Pour bon nombre de producteurs de betteraves, cette situation inédite et exceptionnelle remet en avant le « non-sens écologique » d’interdire l’utilisation des néonicotinoïdes. Ils avaient d’ailleurs alerté à plusieurs reprises sur les impacts potentiels de cette décision. « Depuis leur interdiction en 2018, nous n’avons plus de protection de semences contre les pucerons et nous devons recourir à des traitements insecticides en végétation », indique Alexis Hache.
Les néonicotinoïdes représentaient, selon lui, un « optimum technique et scientifique » : « seuls les insectes nuisibles qui piquaient la betterave étaient impactés par le traitement ». De plus, les producteurs français sont encore « victimes d’une distorsion de concurrence car cet usage n’a pas été retiré pour tous les agriculteurs européens ». L’agriculteur s’insurge aussi : « nous utilisions sur un hectare de betteraves (sur la semence) une dose d’imidaclopride équivalente à celle utilisée pour un gros chien contre les pucerons. Hors ce dernier usage est, lui, toujours autorisé… Où est la cohérence ? » « Pour nous, c’est une réalité économique, pas du confort ! », précise Alexis Hache.
Un constat aussi partagé par ChristopheB. sur Twitter dans un thread : « devoir faire un insecticide sur des betteraves à 2 feuilles, c’est à dire de la taille d’une pièce de deux euros, me rend fou. À 80 000 pieds levés, ça fait 0, 4 % de couverture. Alors qu’il y a encore deux ans, on avait des traitements de semences. […] On n’oublie pas que la betterave sucrière est une plante bisannuelle, c’est à dire qu’elle ne fleurit pas la 1ère année où on récolte la racine pour le sucre. Pour la voir fleurir, il faut attendre la 2e année. Donc, pas d’abeilles sur les betteraves », ajoute l’agriculteur.
Retrouvez l’intégralité de son thread ci-dessous :
Comme tous betteraviers 🇫🇷, devoir faire demain un insecticide sur des betteraves à 2 feuilles, c'est à dire de la taille d'une pièce de 2€, me rend fou.😡
— ChristopheB. (@agritof80) April 23, 2020
A 80000 pieds levés, ça fait 0.4% de couverture
Alors qu'il y a encore 2 ans, on avait des traitements de semences.🤬
1⃣⤵️ pic.twitter.com/uRySoRe3xp
En complément de mon #ThreadAgri sur la jaunisse de la betterave, voici le thread très complet de l'@ITBetterave :https://t.co/D6iytLVp2F
— ChristopheB. (@agritof80) April 29, 2020
2️⃣2️⃣
Quand la décision se prend à Paris dans les salons des beaux quartiers des ministères remplis de bobos technocrates…"On est gouvernés par des lascars qui fixent le prix de la betterave et qui ne sauraient pas faire pousser des radis" M.Audiard https://t.co/ibXqWbRRh9
— Emmanuel Ferrand (@E_Ferrand_03) May 3, 2020
Peu d’alternatives à ce jour
Concernant les préjudices potentiels causés par la jaunisse, « il est difficile de répondre aujourd’hui. Des analyses doivent être effectuées pour déterminer le pouvoir virulifère des pucerons, mais les laboratoires sont pour le moment fermés à cause du confinement. On peut espérer des résultats d’ici trois semaines, un mois », précise Ghislain Malatesta. Mais de toute façon, le mal est fait dès l’instant que le puceron pique la betterave, s’il est porteur du virus de la jaunisse de la betterave. Les impacts peuvent « aller jusqu’à – 30 voire – 40 % du rendement ».
Dans ce contexte, l’ITB a recommandé l’utilisation de Teppeki, qui « était déjà présent dans les fermes (achat en morte saison), qui peut être mélangé aux herbicides et qui est plus abordable économiquement ». « Les équipes travaillent aussi sur une possible dérogation pour un troisième passage de Movento », ajoute l’expert. « Il faut également compter sur l’arrivée des auxiliaires de cultures et ensuite sur le développement des betteraves, qui deviennent plus résistantes dès le stade 12 feuilles atteint ».
L’institut continue également de plancher sur des solutions alternatives aux insecticides de végétation, notamment les produits de biocontrôle : « pour le moment, nous avons peu de résultats sur le sujet ». La génétique semble être une voie plus prometteuse avec l’inscription CTPS de trois variétés résistantes à la jaunisse, à venir prochainement…