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Travail du sol

Les adventices, six pieds sous terre ou à fleur de sol ?


Grandes cultures le 09/02/2018 à 18:25
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Du labour au semis en passant par les déchaumages, le travail du sol conditionne l’enherbement des parcelles. En bien… comme en mal. Contre les adventices qui s’invitent dans les champs, pas de solution miracle. Une connaissance plus fine de ces convives indésirables permettrait toutefois d’adapter les pratiques, pour une meilleure efficacité.

Cela n’aura échappé à personne : plusieurs herbicides sont sur la sellette. Bonne ou mauvaise chose, c’est en tout cas le moment de se pencher sur d’autres leviers pour gérer le salissement des parcelles. Le choix des rotations, en termes de cultures principales comme intermédiaires, est primordial. Alterner cultures d’hiver et de printemps, diversifier les rotations et décaler des dates de semis permettent d’éviter la spécialisation de la flore adventices sur ses parcelles. Or, comme le rappelle Catherine Vacher, ingénieure en protection des cultures chez Arvalis-Institut du végétal, « il est souvent plus facile de gérer une flore diversifiée que monospécifique ». En plus de la compétition qui s’installe entre les espèces, régulant naturellement les populations, l’agriculteur peut diversifier les outils de désherbage, chimiques comme mécaniques. Et éviter ainsi l’apparition de résistances aux herbicides.

Les outils de travail du sol sont de précieux instruments de lutte prophylactique et curative contre les repousses et les mauvaises herbes. Les adventices au stade adulte ne sont que la partie émergée de l’iceberg : sous terre, des myriades de semences attendent leur tour. Une bonne gestion de l’enherbement des parcelles passe donc par la maîtrise de ces stocks de graines.

Si 85 % environ des adventices sont annuelles, la durée de vie de leur graine peut varier d’une à plusieurs années. Ainsi, on classe les différentes espèces en fonction de leur taux annuel de décroissance (TAD), qui correspond au pourcentage de graines enfouies n’étant plus viables au bout d’un an, c’est-à-dire ayant perdu leur capacité de germination. Le mouron des champs ou mouron rouge, par exemple, dont les semences peuvent germer pendant plus de 10 ans, possède un TAD très bas. Différents facteurs sont pris en compte dans ce taux : prédation, parasitisme, vieillissement… Mais également les échecs à la germination et à la levée. L’absence ou non de germination peut s’expliquer en partie par un phénomène clé : la dormance.

« La dormance des semences regroupe un ensemble de processus qui empêchent et ralentissent la germination des graines, même lorsque les conditions thermiques et hydriques sont favorables » explique Nathalie Colbach, directrice de recherche à l’Inra. Les conditions de sortie de dormance et la durée de celle-ci sont variables d’une espèce à une autre. La profondeur de germination doit être également prise en compte. Près de 95 % des adventices germent et lèvent dans les cinq premiers centimètres ; certaines toutefois, aux graines relativement grosses, y parviennent à une profondeur bien plus importante (plus de 20 cm pour la folle avoine). Sur l’ensemble du stock de graines d’une espèce, germeront donc potentiellement celles qui sont viables, non dormantes, et à une profondeur adéquate.

Le labour permet d’enfouir non seulement les adventices mais aussi leur graine. Connaître le TAD des espèces présentes et leur profondeur de germination va alors être déterminant pour choisir de travailler ou non le sol en profondeur. « On effectue un labour si celui-ci enfouit plus de semences qu’il n’en déterre », résume Nathalie Colbach. Le labour est donc préconisé pour les espèces ayant un TAD élevé, puisque la majorité de leur stock de graines disparaît en un an. Il est efficace pour neutraliser les graminées, même s’il y a des exceptions (comme la folle avoine grâce à sa profondeur de levée). Au contraire, pour les espèces à faible TAD, une forte proportion de graines pourrait germer si on remue à nouveau la terre, même plusieurs années après. Mieux vaut donc éviter le labour pour détruire de nombreuses dicotylédones.

De façon générale, « le labour est la meilleure solution contre les adventices, mais il doit rester occasionnel », constate Jérôme Labreuche, spécialiste machinisme et travail du sol chez Arvalis-Institut du végétal. Prenons l’exemple du ray-grass, en supposant que 80 % des semences meurent au bout d’un an. En labourant deux années de suite, l’agriculteur fait ressortir 20 % de graines viables initialement enfouies… En revanche, un labour tous les trois-quatre ans est beaucoup plus efficace pour épuiser un stock semencier de graminées. Par ailleurs, Jérôme Labreuche précise bien « qu’il n’est pas nécessaire de labourer à plus de 20 cm de profondeur » et qu’un labour efficace repose sur une bonne utilisation de la charrue, « un outil complexe ».

Les travaux superficiels, sur les premiers centimètres, sont quant à eux favorables à la croissance des adventices. Un point faible des techniques culturales simplifiées (TCS) qu’il est possible d’utiliser à bon escient. C’est le principe du faux semis, qui consiste généralement en un déchaumage sur les deux à quatre premiers centimètres du sol, puis en rappuyage afin de faire germer les mauvaises herbes, suivi d’un deuxième déchaumage pour les éliminer.

Pour une bonne germination des graines adventices, le sol doit être travaillé de manière homogène, suffisamment affiné et bien rappuyé. Par ailleurs, le faux semis ne doit pas être pratiqué trop tôt, sans quoi les graines ne seront pas assez imbibées par les pluies, ni exposées à la lumière, qui active un photorécepteur facilitant leur germination. De plus, il faut intervenir durant les périodes de germination préférentielle des adventices visées, une fenêtre temporelle pas toujours évidente à trouver. La période idéale peut coïncider avec la mise en place d’un couvert ou décaler nettement la culture qu’il précède, ce qui risque de pénaliser le rendement. Autre point faible : les faux semis ne sont pas toujours efficaces contre les vivaces comme le chiendent, les chardons ou le rumex. Ainsi, il ne faut surtout pas déchaumer avec un outil à disques, qui ne ferait qu’augmenter l’enherbement. En effet, les rhizomes de ces espèces sont proches de la surface du sol et comportent de nombreux bourgeons.

« Le passage des disques fractionnerait l’organe végétatif et favoriserait la multiplication de l’adventice », complète Catherine Vacher. Pour le chiendent, les matériels à dents, par contre, extirpent les rhizomes entiers et les ramènent à la surface où les conditions dessicantes de fin d’été les assèchent. Pour les chardons et le rumex, le producteur peut épuiser l’organe végétatif avec des déchaumages successifs pendant l’interculture.

Lors du semis, le travail du sol va également impacter l’enherbement. Deux stratégies peuvent être envisagées. La première  : semer le moins profond possible pour que la plante cultivée lève plus vite que les adventices et s’empare du terrain. En leur faisant de l’ombre, elle freinera même leur développement. En outre, « moins le sol est perturbé, notamment pour les graminées, moins la culture est enherbée », poursuit Catherine Vacher. Les graines adventices germeront moins bien en surface qu’à faible profondeur et seront davantage exposées à la prédation naturelle. Un semis direct peut s’avérer intéressant, car il préserve le sol et peut être accompagné d’un bon mulch de paille ou de résidus de couvert, créant de l’ombre aux espèces indésirables. « Les mauvaises herbes germent cependant plus facilement que si elles étaient enfouies par un labour » reconnaît Jérôme Labreuche.

Deuxième possibilité : choisir, au contraire, de semer un centimètre en dessous de ce qui se fait habituellement afin que les adventices lèvent en premier. L’exploitant peut alors désherber la culture mécaniquement en prélevée, avec une herse étrille ou rotative, sans risquer d’abîmer les plantules de l’espèce cultivée. « L’espacement des plantes sur le rang et la distance entre les rangs des plantes cultivées sont par ailleurs très importants, précise Nathalie Colbach. Plus les plantes cultivées sont placées régulièrement dans le champ, plus elles occupent l’espace et moins elles laissent de place et de lumière aux adventices. »

« En désherbage, il n’y a jamais de recette toute faite », conclut Catherine Vacher. Sur une commune donnée, pour des rotations identiques et dans un même contexte pédoclimatique, des stratégies de lutte similaires contre les adventices peuvent donner des résultats différents. Le défi est de choisir la meilleure stratégie pour ses parcelles et la flore qui s’y développe. Pour cela, l’identification des espèces, le suivi de l’évolution de l’enherbement et le recours à des outils d’aide à la décision peuvent être essentiels. Mais comme le rappelle Jérôme Labreuche, « il ne faut pas oublier que la flore adventice s’adapte ». Quelle solution alors ? « La prendre à contrepied », en changeant régulièrement ses pratiques.