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À Mayotte

Les agriculteurs craignent une crise alimentaire liée à la crise de l’eau


AFP le 13/09/2023 à 10:05

À l'arrivée de sa fourgonnette, le sol ocre de l'exploitation d'Ali Ambody s'est recouvert de poussière. Ici, les bananeraies n'ont quasiment pas vu d'eau depuis des semaines et les branches mortes, jetées à leurs pieds, peinent à garder un peu d'humidité.

« Toutes les cultures souffrent », regrette le président du syndicat des éleveurs de Mayotte installé à Ouangani, au centre de l’île. « Tout le monde devrait commencer à cultiver le manioc mais personne n’ose planter. Et je crains qu’on n’ait pas de mangues cette année ». L’île française de l’océan Indien connaît actuellement sa pire sécheresse depuis 1997.

Depuis le 4 septembre, les habitants de Grande-Terre sont privés d’eau deux jours sur trois. Ceux de Mamoudzou et de Petite-Terre subissent des coupures quotidiennes (de 16h00 à 08h00) pendant la semaine, puis de trente-six heures ininterrompues le week-end.

Depuis une crise sérieuse survenue en 1997, Mayotte est affectée par des pénuries d’eau de plus en plus fréquentes. Les déficits pluviométriques sont aggravés par un manque d’infrastructures et d’investissements dans un territoire qui, sous pression de l’immigration clandestine en provenance des Comores voisines, connaît une croissance démographique de 4 % par an.

Les agriculteurs subissent de plein fouet les conséquences du manque de pluie. D’autant que cultiver son lopin de terre fait partie intégrante de la culture mahoraise. « Plus de 60 % des Mahorais font de l’agriculture. Même les fonctionnaires sont au champ le week-end », souligne Ali Ambody, « la plupart des gens ne cultivent pas pour vendre mais pour se nourrir ».

Le manioc et la banane qui poussent à Mayotte constituent, après le riz, la base du régime alimentaire local. S’ils viennent à manquer, « c’est comme s’il n’y avait plus de pommes de terre en métropole », illustre l’éleveur qui redoute une crise alimentaire. Une crainte partagée par le syndicat des jeunes agriculteurs de Mayotte.

« Sauver l’agriculture »

« Nous redoutons la réduction drastique des denrées alimentaires produites sur notre territoire et exhortons les autorités à prendre des mesures pour sauver l’agriculture mahoraise », déclare son président, Soumaïla Moeva, qui demande à l’Etat de déclarer la situation de calamité agricole dans le département pour l’année 2023.

Au total, la profession recense 1 500 professionnels enregistrés à la Mutualité sociale agricole. Mais l’activité agricole reste largement informelle. Selon une étude du ministère de l’Agriculture datant de 2010, l’île comptait alors 15 600 exploitations cultivant 0,45 hectare en moyenne, de manière traditionnelle. A ce moment-là, 44 % des exploitations cultivaient moins de 0,25 hectare et seulement 2 % d’entre elles étaient constituées de parcelles de 2 hectares et plus.

Hadidja Saindou, employée de la bibliothèque de Chiconi (ouest), fait partie de ces très petits agriculteurs qui font pousser quelques fruits et légumes. L’eau de plus en plus rare, cette mère de cinq enfants, qui peine à doucher sa famille et à garder des sanitaires propres, craint de perdre ses cultures. « C’est la période où il faut planter mais tout risque de mourir. Et pourtant il faut qu’on mange », soupire celle qui cultive des salades, des brèdes mafanes ou des poivrons.

Pour les éleveurs de bovins, de poulets et de poules pondeuses, la situation est tout aussi dramatique. « Certains animaux sont morts à cause de la sécheresse ces dernières semaines. Les agriculteurs qui ne vivent que de l’élevage n’ont pas forcément les moyens de faire 10 kilomètres pour apporter de l’eau tous les jours à leurs bêtes », s’inquiète Ali Ambody qui a la chance de disposer d’un puits pour abreuver ses zébus.

Pour autant, ses réserves se font de plus en plus maigres. Le président du syndicat a donc adressé une lettre au président Emmanuel Macron et au ministère de l’Agriculture. « L’ampleur de cette sécheresse représente une menace grave pour la sécurité alimentaire de notre région » qui requiert « une intervention urgente afin de prévenir une détérioration encore plus grande », écrit-il.