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Météo et travaux bouleversés : « on ne voit pas le bout du tunnel »


TNC le 09/10/2024 à 05:03
Paysage

Pour Anne-Laure Durand, « la campagne 2024/25 ne démarre pas sous les meilleures auspices ». (© Anne-Laure Durand/LinkedIn)

« La pluie ne laisse que peu de répit pour avancer », indique Anne-Laure Durand. L’agricultrice de Seine-et-Marne a démarré les premiers semis de blé tendre lors d'une accalmie en fin de semaine dernière, mais attend encore de récolter son soja qui ne mûrit pas. Elle témoigne d’une « situation financière et morale compliquée » pour l'agriculture française.

Au 8 octobre, Anne-Laure Durand, installée sur 140 ha de polyculture (blé, moutarde, pois, orge, soja et lin fibre) en Seine-et-Marne, compte 14 ha de blé tendre semés sur les 70 prévus pour la campagne 2024/25. « J’ai profité d’une accalmie la semaine passée, la parcelle concernée était l’une des seules suffisamment ressuyées », témoigne l’agricultrice.

« Il y a globalement peu de surfaces emblavées en céréales à paille encore, on est que début octobre et on conseille toujours de décaler les premiers semis au 10-15 du mois dans le secteur pour limiter la pression adventices. L’année passée d’ailleurs, ce sont les derniers blés semés qui ont obtenu les meilleurs rendements, mais encore faut-il pouvoir intervenir dans de bonnes conditions ! », s’inquiète Anne-Laure Durand, faisant référence à une année météorologique très compliquée.

« La pluie qui ne laisse des répits que de très courte durée use profondément le moral des agriculteurs. Et que dire des prévisions météo pour les 10 prochains jours… »

En plus des céréales à paille, la productrice a également 15 ha de moutarde alimentaire à implanter cet automne. « Je suis convaincue par les principes de l’agriculture de conservation des sols, mais j’envisage cette année de ressortir la charrue, abandonnée progressivement sur l’exploitation, après l’introduction de couverts végétaux », indique-t-elle.

« C’est un pincement au cœur pour moi après tous les efforts mis en œuvre depuis 5-6 ans, la matière organique va de nouveau être enfouie. Mais je n’ai pas le choix vu le contexte et je me console en me disant que cela permettra un désherbage plus efficace, notamment vis-à-vis des chardons et des graminées… »

« Une campagne 23/24 rude à encaisser »

« La campagne 2023/2024 est rude à encaisser et elle n’est pas terminée. Combien de champs de tournesol, soja, maïs… ne mûrissent pas compte tenu des conditions météo ? Sur ma ferme, le soja, semé avec un mois de retard, est versé et touché par le sclérotinia pour la première fois. Dans la région aussi, les premières bennes de maïs atteignent des taux d’humidité très élevés (jusqu’à 40 %…) qui nécessiteront des frais de séchage conséquents. Et donc un prix payé au producteur plus faible. »

« Quelles seront les cultures rémunératrices en 2024 ? », se questionne alors Anne-Laure Durand après une moisson estivale très décevante. En blé tendre, elle témoigne d’un rendement moyen à 60 q/ha cette année, contre 94 q/ha en moyenne quinquennale, soit une baisse de 36 %.

« J’ai calculé mon seuil de commercialisation pour cette récolte, c’est-à-dire le prix de vente de mon blé qui me permettrait de payer toutes les charges engagées pour produire, les annuités d’emprunts, les cotisations sociales et les impôts, et une rémunération décente. Je suis bien évidemment dans les choux : plus de 330 €/t alors que le blé vaut moins de 200 €/t », indiquait l’agricultrice en août dernier lors de son bilan de moisson.

« Ce sont donc plusieurs dizaines de milliers d’euros perdus en ayant cultivé du blé sur la campagne 2023/24. A la récolte précédente, la situation était déjà morose puisque les prix n’étaient pas rémunérateurs (effet ciseaux suite à l’envolée des charges en 2022)… »

« Depuis mon installation, je souscris chaque année à l’assurance multirisques climatiques, donc ça limite les pertes mais il faut compter 25 % de franchise. Et puis, l’Etat encourage à ce que les agriculteurs s’assurent, cependant quel sera le niveau des primes l’année prochaine dans ce contexte ? En lin fibre, cela fait trois années de suite qu’on accuse de mauvais résultats sur la ferme. Avec la franchise, cela n’est plus valable de s’assurer pour cette culture par exemple, compte tenu de la faible moyenne quinquennale », explique Anne-Laure Durand.

« Besoin d’engagements forts pour l’agriculture française »

Pour l’agricultrice, « la situation financière et morale est très compliquée. On ne voit pas le bout du tunnel et il n’y a aucune mesure du gouvernement prévue à ce sujet. Le niveau de prix des productions agricoles n’est plus du tout adapté aux aléas que nous vivons, quand on voit le peu d’impact de la mauvaise récolte sur les cours mondiaux. »

« Avec des trésoreries déjà très impactées, les agriculteurs portent tous leurs espoirs sur la prochaine campagne. Force est de constater qu’elle ne démarre pas sous les meilleurs auspices. Une seconde mauvaise -catastrophique- année sera fatale pour bon nombre d’entre nous. C’est maintenant, plus que jamais, que nous avons besoin d’engagements forts pour l’agriculture française. Pour une rémunération juste des producteurs. Quelle feuille de route ? Quelles orientations pour les prochaines décennies ? Quels moyens mis en œuvre ? Est-ce que vous entendez quelque chose ?? Moi pas… »