Notre logistique portuaire mieux taillée pour le local que pour le grand export
TNC le 17/04/2023 à 18:16
Spécialiste des échanges maritimes internationaux, Paul Tourret estime que la logistique portuaire des grandes cultures françaises est davantage calibrée pour la demande de proximité que pour l'export international. Avec le réchauffement climatique et la politique européenne notamment, son avenir dépendra des capacités de production de la France et de ses principaux concurrents.
Comment fonctionne la logistique maritime et portuaire des produits agricoles français, quelles sont les différences avec nos différents pays concurrents, quelles sont les perspectives stratégiques françaises ? Une conférence organisée par FranceAgrimer est revenue sur ces questions lors du Salon de l’agriculture à Paris.
L’occasion de rencontrer Paul Tourret pour mieux comprendre le commerce maritime de céréales françaises. Il est directeur de l’Institut supérieur d’économie maritime (Isemar), un observatoire indépendant spécialiste des industries navales, maritimes et portuaires.
« La France a une géographie maritime qui correspond à sa production et à la demande internationale », explique-t-il, décrivant d’abord « un cabotage maritime pour un nombre limité de produits et de destinations ».
Le cabotage, c’est le transport par mer entre ports européens ou avec des pays tiers riverains, et il se fait « avec de petits navires » : blé tendre vers « une clientèle européenne et méditerranéenne », maïs pour répondre à « une demande essentiellement européenne » (espagnole, portugaise, britannique), « blés durs notamment pour le Maghreb », orge pour une dimension « plutôt locale » (Europe et Méditerranée).
Au-delà de ces marchés de proximité, seuls deux produits sont finalement « vraiment océaniques » : le blé tendre exporté vers plusieurs destinations comme Cuba, « l’Afrique de l’Ouest, le Moyen-Orient et maintenant la Chine », et l’orge vers l’Iran, l’Arabie saoudite ou la Chine.
Paul Tourret décrit en définitive « deux secteurs » : un secteur de proximité euro-méditerranéen et ouest-africain et un marché océanique à la fois « relativement limité » (Moyen-Orient et Chine) et très concurrentiel : « dès que vous êtes sur l’orge ou le blé tendre, vous rencontrez la concurrence de l’Australie, de l’Amérique du nord, d’autres pays européens et surtout de la Mer noire ».
« Peu de ports français peuvent accueillir les Panamax »
Cette dichotomie se retrouve sur le format des navires : d’un côté « des petits navires (vraquiers mini bulk, Handysize, Handymax) adaptés à nos ports et aux petits ports européens, nord-africains et ouest-africains » et de l’autre les gros navires pour les flux océaniques vers le Moyen-Orient, la Chine mais aussi l’Égypte, qui exigent des Supramax ou des Panamax pour des cargaisons de 50 000 à 80 000 tonnes de poids en lourd (capacité de chargement d’un navire, incluant les marchandises, l’équipage, et les consommables).
Et l’on trouve là « une vraie faiblesse de la filière française » : peu de nos ports peuvent accueillir les Panamax. Il s’agit de La Rochelle, Montoir, Dunkerque, et prochainement Port-la-Nouvelle. Rouen et Nantes peuvent les accueillir partiellement, mais il faut recharger ensuite les cargaisons. À l’inverse, « nos concurrents sont sur des grands navires, notamment en Mer noire ». Cela pose aussi la question du maïs : « Le Brésil peut approvisionner l’Europe, au détriment des petits ports du sud-ouest de la France. »
Paul Tourret rappelle que l’agriculture qui s’est développée dans les années 60 s’est accompagnée de la mise en place de silos dans les grandes villes portuaires de l’époque, en relation avec l’hinterland (l’arrière-pays du port, qui reçoit ou livre des ressources) : « à Bordeaux, à Nantes, à Rouen, un peu à Fos, à Dunkerque, à Montoir sur l’estuaire de la Loire ». Ceci permettait à répondre à des demandes européenne, nord-africaine et soviétique limitées en volumes.
Mais depuis, la demande internationale s’est développée : Afrique de l’Ouest, Moyen-Orient, Extrême-Orient demandent des volumes plus importants, transportés dans des navires de gros gabarits qui nécessitent des ports d’embouchure. Voilà qui rend les situations portuaires françaises « moins favorables » : « un port d’estuaire en amont, par exemple Nantes ou Rouen, n’a pas du tout les mêmes tirants d’eau qu’un port d’embouchure ».
Et demain ?
Se pose alors la question de l’avenir du commerce maritime de céréales françaises : « est-ce qu’on reste sur des petits navires, sur des petits marchés de proximité avec quelques lots de grands navires vers des destinations éloignées, ou est-ce qu’on participe à un grand commerce avec des grands navires, sur des ports en eau profonde ? », interroge Paul Tourret.
« Avec le réchauffement climatique, avec des pratiques agricoles tournées vers moins de fertilisants, avec le bio, peut-être que notre performance au grand export va se limiter », poursuit-il. Dans cette hypothèse, le « grand commerce » de grains serait monopolisé « par exemple par le Brésil, l’Amérique du Nord et la Mer noire », laissant à la France un commerce de proximité, « beaucoup plus diversifié », « dans une logistique efficiente et spécialisée ».
L’Isemar a listé les enjeux et points de vigilance pour le commerce maritime de grains français. « Les critères de concurrence ne sont pas que dans les prix de production et les qualités des grains, ils se font aussi sur le passage portuaire et la logistique maritime », rappelle ainsi l’institut. D’ajouter que « la question des outils maritimes (gabarits de vraquiers) a une importance stratégique dans la compétition internationale pour les exportations de grain ».
Avec « un tissu portuaire au service des hinterlands », « les défis portuaires sont importants (en matière de tirants d’eau et de silos ») pour les flux des grandes cultures, avec des impacts directs sur les performances à l’exportation, indique-t-il aussi.
Jean-François Loiseau, président de la commission thématique internationale de FranceAgriMer, insiste : « La France (actuellement sixième) doit reprendre sa place sur le podium des exportateurs mondiaux de produits agricoles et agroalimentaires (…) La logistique n’est pas une variable d’ajustement, elle fait partie intégrante du bon de commande ».
Pour l’améliorer, il faut selon lui « viser la meilleure efficience et la meilleure organisation possibles », « regarder ce que font les concurrents, en particulier l’Amérique du Nord », et que « l’État soit aux côtés des entreprises ».
L’Isemar préconise quant à lui une concertation nationale avec les ports français et les acteurs de grains sur les forces et faiblesses du tissu portuaire (localisation, infrastructures, silos), de façon à « identifier les points d’amélioration permettant d’éviter le recul des trafics à moyen et long terme ».