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Prix du blé : « La demande est complètement sous-estimée »


TNC le 30/09/2024 à 18:00
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(© Subbotina Anna, AdobeStock)

Pour Patricia Le Cadre, directrice du Cereopa et spécialiste des marchés des matières premières agricoles, le marché du blé est plutôt haussier sur 2024/25. En cause, notamment : une demande boostée par la croissance démographique, par le manque de riz à l’échelle mondiale, par les besoins en alimentation animale et par des politiques monétaires plus souples.

Quelles tendances de prix se profilent sur le marché du blé ?

Quand on regarde les douze mois de la campagne, on est sur une moyenne assez proche de l’année dernière mais plus élevée que ce qu’on a connu sur les dix dernières années : on était autour de 210 €/t en moyenne et on est aujourd’hui autour de 225 €/t. Je suis plutôt haussière sur le prix du blé, pour plusieurs raisons.

On se focalise beaucoup sur l’offre, mais elle est finalement plus ou moins actée, en tout cas sur la première partie de campagne avec ce qui est à disposition sur l’hémisphère nord. L’hémisphère sud va arriver en deuxième partie de campagne, avec plein de choses qui peuvent se passer, notamment en termes de météo, de géopolitique, etc.

Ce dont on ne parle pas beaucoup, c’est la demande. Il me semble qu’elle est complètement sous-estimée dans les différents bilans, on a même des bilans où on fait reculer l’utilisation mondiale du blé, d’autres où on est sur une évolution mais assez timide. Or, il y a plein de raisons pour dire qu’on sous-estime cette demande.

La première, c’est qu’on a une augmentation de la démographie : comme on est à peu près 80 millions de personnes en plus chaque année, on a quand même besoin de 8 à 10 Mt de blé supplémentaires par an. Alors quand on me dit qu’on va diminuer de 3 Mt ou n’augmenter que de 5 Mt, ça me parait un peu juste.

Au-delà de cette hausse démographique, quels éléments plaident pour une hausse de la demande ?

On a aussi la variation dans les usages alimentaires : on passe souvent du riz au blé. Et on manque de riz sur le marché mondial, et c’est en train de s’aggraver. On ne peut globalement pas dire qu’on va baisser la consommation de riz et qu’on va aussi baisser celle de blé : à un moment, il faut quand même nourrir les gens !

Troisième chose : une tonne de blé sur cinq dans le monde est destinée à l’alimentation animale. Or, elle continue de fortement progresser dans le monde. On a par exemple des pays comme l’Indonésie, gros importateur, qui utilise beaucoup de blé pour nourrir ses poulets. La limite de l’exercice, c’est la possibilité que des épizooties fassent reculer la demande au niveau mondial.

Ce qu’on a aussi tendance à oublier, c’est que les gros pays importateurs sont des pays qui achètent à crédit. Là, ils ont été relativement limités dans leurs achats parce que les taux d’intérêt étaient très élevés. Mais on entre dans un cycle de baisse des taux. Ça veut dire que ça va alléger le poids de la dette pour un certain nombre de pays.

Cette baisse des taux va sans doute faire baisser le dollar. Et quand on baisse le taux de change du dollar avec les autres monnaies, assez mécaniquement ça fait remonter les prix en dollar sur le marché de Chicago.

En termes de demande, plein d’autres éléments entrent en ligne de compte, notamment sur la partie alimentation animale : le ratio de prix entre le blé et le maïs est très important à observer. Au niveau mondial, il n’est pour l’instant pas tellement en faveur du blé, mais on sait qu’on a beaucoup de blé de pas très bonne qualité : il faudra bien qu’il trouve un débouché en alimentation animale.

Quid de l’offre mondiale ?

Chose importante sur l’offre : on sait qu’en première partie de campagne, c’est l’hémisphère nord qui arrive au marché. On sait qu’entre la baisse (de la production) de la Russie, de l’Ukraine et de l’Union européenne, et la montée des États-Unis et du Canada, on va perdre à peu près 11 Mt.

Ce qu’on ne sait pas bien et qu’il faut vraiment regarder, c’est le timing, c’est-à-dire la vitesse à laquelle la Russie, et même l’Ukraine, mettent au marché leurs disponibilités. Or, ça va très vite : en deux mois, les deux pays ont dépassé 20 % leurs objectifs, c’est énorme.

On peut avoir deux campagnes avec le même prix moyen, mais la cinétique ne va pas du tout être la même qu’en 2023/24.

Je pense qu’on va être beaucoup plus proche de ce qui s’est passé en 2021/22 : on avait un début de campagne relativement bas, et puis on a commencé à progresser, et puis après on a eu une accélération de la hausse des prix sur la deuxième partie de campagne. Je verrais assez bien la campagne céréalière se profiler sous cette forme-là.

Qu’en est-il du marché français ?

Si on ne regarde que la France, on peut imaginer qu’on est dans marché un peu haussier, puisqu’on a une baisse de la récolte. Mais il ne faut pas oublier qu’on avait une augmentation des stocks de report, notamment parce que les prix n’étaient pas rémunérateurs pour les agriculteurs et qu’ils ont gardé beaucoup de marchandises en fin de campagne.

La question qui se pose, c’est : « est-ce qu’on attend un peu, est-ce qu’on mise sur une augmentation des prix sur la deuxième partie de campagne, et est-ce qu’on peut garder un peu plus son blé sachant qu’on a un peu plus de place, ou pas ? ».

Il faut savoir qu’il y a aussi le maïs qui va arriver, même s’il est un peu en retard. Et pour le maïs on est globalement sur un marché français plutôt très correct et qui sera un peu plus tendu au niveau mondial, mais en tout cas pas au début de la campagne. Il y a toujours cette compétition entre blé et maïs qui est importante à suivre.

Sur le blé, on a en France des qualités qui ne sont pas super bonnes et qui vont obliger les organismes stockeurs à faire un gros travail d’allotement, de mélange, etc. Ça coûte de l’argent.

On peut aussi comprendre qu’on attende un prix un peu plus rémunérateur, alors on est suiveurs. On a une parité eurodollar qui ne nous aide pas beaucoup. Je pense que beaucoup de choses peuvent bouger après les élections américaines, y compris en termes de taux de change. On peut jouer la montre.