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Recyclage des eaux usées : la « reut » peine à décoller, selon les industriels


AFP le 23/10/2024 à 09:13

Des projets qui restent à l'état de projet : malgré des objectifs ambitieux, en France, la « reut », ou réutilisation des eaux usées traitées pour faire face au manque d'eau, ne décolle pas, selon les industriels de l'eau, qui dénoncent la persistance de « freins réglementaires ».

Le principe est d’ajouter en sortie de station d’épuration des traitements additionnels permettant d’éliminer les agents pathogènes, afin, au lieu de la rejeter dans le milieu naturel, de recycler l’eau et la réutiliser pour irriguer des cultures, nettoyer les voiries.

Les derniers textes ouvrent également la voie à des usages domestiques d’eaux non-conventionnelles comme les eaux de pluie ou les eaux grises (issues des douches, des baignoires, des lavabos et des lave-linges), entre autres.

« En France, on a un pourcentage qui est de moins de 1 % (d’eaux usées réutilisées), c’est vraiment très, très peu, alors que d’autres pays, même européens, sont à 15 % », a déploré Sabrina Soussan, présidente du comité stratégique de la filière eau et patronne du groupe Suez, lors d’une table ronde organisée par les constructeurs d’infrastructures de l’eau, pour le centenaire de leur organisation.

Lors de la présentation du dernier plan Eau de la France, Emmanuel Macron a annoncé fin mars 2023 un objectif de 10 % d’eaux usées réutilisées d’ici 2030, mais 18 mois plus tard, à en croire les industriels, le pays n’est pas du tout sur la bonne trajectoire.

Beaucoup de projets, mais peu se concrétisent…

« Il y a beaucoup de projets dans les cartons, mais ils n’avancent pas. Et les projets qui se réalisent concrètement, il n’y en a quasiment pas », explique à l’AFP Christophe Dingreville, président de l’Union nationale des industries et entreprises de l’eau (UIE), qui regroupe les fabricants d’infrastructures.

Un constat que semblent corroborer les chiffres des géants des services de l’eau : le leader Veolia évoque « une centaine de projets en cours, avec autant de communes qui ont manifesté leur intérêt pour cette solution », alors que son rival Suez avance le chiffre d’une cinquantaine de projets.

Des chiffres très en-deçà des objectifs fixés par le plan eau : « d’ici à 2026, il devait y avoir 1 000 nouveaux projets de reut », rappelle Christophe Dingreville. Les industriels déplorent unanimement des « freins réglementaires », notamment sanitaires.

L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), parfois pointée du doigt, indique avoir été « saisie dans des délais très courts pour rendre des expertises concernant les risques sanitaires associés à différents type de réutilisation des eaux non potables ».

Elle précise par ailleurs avoir pour mission « de produire des repères scientifiques, sur la base de la littérature existante, pour les ministères ».

« Accélérer »

« L’engagement du Plan Eau pour lever les freins réglementaires a bien avancé avec plusieurs évolutions récentes », assure toutefois le ministère de la transition écologique, qui rappelle l’entrée en vigueur en janvier 2024 d’un décret concernant l’industrie agroalimentaire, ainsi que la publication en juillet de textes encadrant les usages domestiques des eaux non conventionnelles (EICH, eaux impropres à la consommation humaine).

Le ministère reconnaît toutefois, sur ce dernier point, que « des ajustements sont nécessaires pour garantir que les services locaux n’entravent pas la mise en œuvre » et indique qu’« un arrêté santé est d’ailleurs en cours de préparation ».

« Il faut quand même reconnaître que les pouvoirs publics se sont mobilisés pour changer les choses », admet Bertrand Convers, délégué aux relations extérieures de la Cooperl, poids lourd de la filière porcine française qui porte un projet de « reut » depuis huit ans.

« Maintenant on a le cadre réglementaire, mais il nous manque le mode d’emploi », résume-t-il, indiquant que la direction générale de l’alimentation (DGAL), un service du ministère de l’agriculture « est en train d’écrire les instructions techniques qui permettront de passer à l’acte ». La Cooperl espère ainsi, « à très court terme », économiser 60 000 mètres cube par an.

Pour Sabrina Soussan, PDG de Suez, l’objectif de 10 % de « reut » demeure « réaliste » à condition d’« accélérer », à l’unisson du rival Veolia, pour qui « il y a du besoin, de la demande, des solutions ». Le sujet s’imposera de manière inéluctable, renchérit Bertrand Convers : « au fur et à mesure que la contrainte de la ressource en eau va s’imposer à nous, on aura des leviers de progression qui seront de plus en plus importants », conclut-il.