Six mesures pour diminuer les émissions agricoles de GES de 15 % d’ici à 2035
TNC le 24/10/2018 à 18:05
La France s’est engagée à diviser par quatre ses émissions de gaz à effet de serre d’ici 2050. Le pari est de taille ! Pour le relever, des mesures multiples et adaptées à chaque territoire doivent être prises. En ce sens, les études Clim’Agri proposent bilans, scénarii d’anticipation et recommandations pour la ferme et la forêt à l’échelle d’un territoire donné. Exemple dans le Grand Est.
Début 2017, le Conseil régional du Grand Est a répondu à un appel à projets lancé par l’Ademe, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie. Objectif : réaliser une étude Clim’Agri dans la nouvelle région. Clim’Agri est le nom d’un outil et d’une démarche diffusée par l’Ademe depuis presque une dizaine d’années. Grâce à celui-ci, l’agence peut initier des études à l’échelle des territoires en matière d’énergie, de gaz à effet de serre et de qualité de l’air. Trois secteurs sont alors évalués globalement : l’agriculture, la viticulture et la forêt.
Dans le cas présent, le Conseil régional a fait un appel d’offres d’assistance à maîtrise d’ouvrage : un groupement constitué de la Chambre régionale d’agriculture, de la Chambre départementale de la Haute-Marne et de l’association Solagro (concepteurs principaux de l’outil Clim’Agri) s’est constitué. Les premiers résultats étaient communiqués lors de la Foire de Chalons. Bertrand Dufresnoy, expert climat Chambre d’agriculture Grand Est et co-animateur de l’étude Clim’Agri, revient sur les éléments-clefs.
La première étape consiste en un diagnostic de l’existant. Décrire la ferme et la forêt Grand Est, c’est évaluer les surfaces, les rendements, les types de production, l’utilisation d’intrants… Une multitude de données qui, une fois combinées, permet d’obtenir un profil global de production, de consommation d’énergie, et d’émissions de gaz. « Il faut garder à l’esprit qu’il ne s’agit pas de proposer un bilan à la parcelle mais d’avoir une vision d’ensemble », souligne Bertrand Dufresnoy.
Des particularités… peu surprenantes
Pour décrire la production agricole, l’étude Clim’Agri propose un indicateur peu commun : le potentiel nourricier. Si l’on considère la consommation moyenne d’un Français, il apparaît qu’en termes énergétique, le Grand Est peut nourrir 17 millions de personnes et, en termes de protéines, 13 millions. « Avec 6 millions d’habitants, le Grand Est présente donc un potentiel nourricier très supérieur à sa population régionale », commente l’expert climat. Si on y ajoute les 5 millions de tonnes de matière sèche de bois que la forêt produit, ce sont 14 400 GW d’énergie primaire qui sont utilisées. Une consommation qui, si on la compare à la France entière, se répartit de façon un peu plus inégale. « La consommation est à 59 % indirecte. Cela s’explique par le poids relatif de la fertilisation azotée du fait de l’importance des grandes cultures dans la région », explique Bertrand Dufresnoy.
Pour ce qui est des rejets de gaz à effet de serre, la ferme et la forêt du Grand Est rejettent 13 millions de tonnes d’équivalents CO2. Sans surprise, les émissions de protoxyde d’azote dans les sols y jouent une part importante. Les résultats coïncident donc au profil agricole. À quoi peuvent servir, alors, ces bilans descriptifs ? « Il y a un aspect opérationnel bien sûr, mais il est global, répond Bertrand Dufresnoy. L’objectif est de déterminer les différents enjeux pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre et d’établir ainsi une combinaison de mesures permettant, à l’échelle du territoire, d’atteindre l’objectif fixé. » Quel objectif ? À l’horizon 2035, il tient en un chiffre : 15 % d’émissions en moins.
Pas de solution miracle mais un bouquet de mesures
Pour établir un plan d’action à l’horizon 2035, deux scenarii sont réalisés. Le premier est dit tendanciel : des acteurs du territoire estiment l’évolution la plus probable de l’agriculture telle qu’elle est décrite par le diagnostic. Puis ils cherchent à mettre en place un second scénario, dit d’atténuation, avec l’objectif de réduction de 15 %.
Le plan d’action découle alors d’une question toute simple : comment passer du premier scénario au second ? En s’intéressant aux éléments les plus impactants, six leviers d’actions ont été mis en avant pour y parvenir :
- Augmenter la part d’agriculture biologique. Dans le scénario tendanciel, elle augmenterait de 15 %, il s’agirait ici qu’elle atteigne les 20 %.
- Avoir une meilleure valorisation des prairies, avec un maintien de la SAU régionale.
- Limiter l’intensification en production animale et améliorer les rations pour les ruminants, en introduisant des acides gras insaturés notamment.
- Amplifier la méthanisation pour valoriser les effluents agricoles. 20 % de l’ensemble des déjections du territoire est attendu en tendanciel, il faudrait atteindre ici les 30 %.
- Diminuer, par optimisation, la fertilisation azotée en conventionnel de 5 %, là où le scénario tendanciel ne prévoit aucune baisse.
- Améliorer légèrement mais significativement l’efficacité énergétique afin d’utiliser 5 % d’énergies directes (carburant, combustible) en moins pour le même résultat.
On peut remarquer que sur une durée de 18 ans, les progrès demandés restent mesurés. Comme le souligne Bertrand Dufresnoy, « c’est l’ensemble de ce bouquet de mesures qui permettrait d’atteindre une réduction des gaz à effet de serre de 15 %. » Il s’agira principalement de combiner l’optimisation technique et l’amplification de transformations systémiques agricoles. « Même s’il y a très peu de chance pour que les évolutions que l’on propose soient réalisées à 100 %, ajoute l’expert, cette voie permet d’atteindre nos objectifs sans compter sur une rupture technologique. Il n’y a pas de raccourci miracle dans cette affaire-là. »
Une projection à l’horizon 2050 est également proposée par l’étude Clim’Agri. Il s’agit d’un exercice de travail avec les acteurs du territoire afin d’imaginer différents futurs possibles de l’agriculture et la forêt du Grand Est. Parmi les multiples hypothèses, il ressort qu’il serait nécessaire d’opérer des transformations importantes du modèle agricole pour espérer atteindre une diminution de 50 % des gaz à effet de serre. On ne parle plus alors seulement d’optimisation technique, « ça ne suffira pas » souligne Bertrand Dufresnoy. Un développement important de la méthanisation et une évolution marquée de l’élevage seraient ainsi à prévoir. Que l’on se projette à moyen ou long terme, les contextes et les mesures diffèrent mais l’enjeu reste identique : diminuer, significativement, l’impact écologique de nos productions.