On ne pourra plus arroser demain comme on le faisait hier
TNC le 05/08/2020 à 06:Aug
Sur les questions relatives à l’irrigation, les prises de position sont souvent manichéennes. À l’aune du changement climatique, il est pourtant nécessaire de dépassionner les débats. Penser l’agriculture de demain, c’est raisonner la gestion de l’eau et, en la matière, l’irrigation sera, à n’en pas douter, une carte à jouer.
C’est, en quelque sorte, un tour de passe-passe qui attend les agriculteurs dans les prochaines années. Ils vont en effet devoir jongler entre une irrigation de plus en plus nécessaire, au moins en appoint, et une ressource en eau de plus en plus réduite, surtout en été.
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Différentes voies sont d’ores et déjà à explorer pour y parvenir. Un premier levier réside dans l’amélioration technique et méthodologique des conduites d’irrigation afin notamment de mieux évaluer la quantité d’eau à apporter. « Cela a déjà permis sur ces 10 dernières années de réduire le volume d’eau employé pour le maïs de plus de 30 % », donne comme exemple Alain Dupuy, professeur d’hydrogéologie à Bordeaux INP et membre d’AcclimaTerra.
Le progrès technique continue aujourd’hui, avec notamment des tensiomètres connectés pour piloter l’irrigation ou encore des outils de contrôle à distance et de signalement des anomalies. Difficile, cependant, d’imaginer que ces innovations seront suffisantes.
Sécuriser des phases clefs
Une expertise réalisée par l’Inra en 2006 avait montré que les adaptations du matériel, l’efficience de la distribution ou encore la réduction des gaspillages avaient beaucoup moins d’impact pour réduire la consommation en eau à l’échelle d’une exploitation que les choix d’assolement.
Si les références datent un peu, pour Philippe Debaeke, directeur de recherche à Inrae, le constat est toujours d’actualité. Opter pour des cultures peu exigeantes en eau constituerait un levier majeur. L’idée est notamment de se tourner vers des espèces qui valorisent bien les quelques millimètres qu’on peut leur apporter à des phases clés, comme la floraison. « En irriguant du tournesol avec 30 à 50 mm d’eau environ, en un ou deux apports, on peut obtenir 10 q/ha supplémentaires en moyenne » illustre-t-il. Pour une culture dont le rendement sans irrigation est de plus ou moins 25 q/ha, ce n’est pas négligeable !
Limiter les apports d’eau à des moments clés est également valable pour des cultures irriguées comme le maïs. Dans ce cas, il ne s’agit plus de viser un optimum de rendement : « au lieu de réaliser 100 % du rendement espéré, cela revient à ne faire que 80 % mais en économisant deux ou trois tours d’eau », explique Olivier Deudon, spécialiste météo à Arvalis-Institut du végétal.
Déterminer la quantité d’eau minimale et les stades opportuns pour l’apporter constitue l’un des axes de recherche de l’institut. Des connaissances cruciales pour adapter les conduites d’irrigation aux mesures de restriction des prélèvements d’eau lors des sécheresses.
« Il n’y a rien de pire que de partir sur une stratégie et d’apprendre que l’on ne va pas pouvoir irriguer pour sécuriser une phase ou la fin de cycle », déplore Philippe Debaeke. Pour éviter ce cas de figure, il est également nécessaire que ces restrictions prennent en compte tous les usages en étant pensées de façon collégiale. « Avec la mise en place des organismes uniques (OUGC) il y a justement eu un vrai progrès sur ce point ces dernières années », souligne le chercheur.
Vers une gestion collective de l’eau
Pour récolter les excédents de pluies hivernales, des retenues de substitution ou collinaires peuvent être réalisées à l’échelle d’une ou plusieurs exploitations agricoles. La pratique, utile, est aussi plébiscitée que décriée. Pour Alain Dupuy, il est important de ne plus créer d’infrastructures dans la seule optique de répondre à un besoin donné. « Le mono-usage, c’est fini ! », insiste l’hydrogéologue, soulignant que ce qui est vrai pour l’agriculture doit l’être aussi pour les autres secteurs, comme les grandes retenues des barrages hydrauliques. « De la même façon, le comportement hydro-économe, aujourd’hui de règle, ne doit pas être valable que pour les agriculteurs ! », appuie-t-il.
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La valorisation des eaux retenues tend à être collective et à se partager entre des finalités agricoles, environnementales, de loisirs, d’épuration de l’eau, de soutien d’étiage… Appréhender la ressource en eau de cette façon pourrait être, plutôt qu’une contrainte, un moyen d’éviter les concurrences entre usages et les arrêts d’irrigation en milieu de cycles.
Pour donner du lest à cette gestion complexe d’une ressource limitée, d’autres pistes pourraient aussi être explorées. Olivier Deudon souligne notamment qu’en France, nous utilisons moins de 1 % des eaux usées pour l’agriculture. « En Israël, par exemple, ce pourcentage grimpe à 80 %. Il y a des contraintes, il faut imaginer un double réseau d’eau, mais c’est une marge de manœuvre qui ne devrait pas être négligée, en particulier à proximité des villes », estime-t-il. Là encore de vives réactions sont à prévoir mais l’idée ne vaut-elle pas d’être creusée ?
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