La guerre en Ukraine accentue l'impasse des biocarburants, selon une ONG
AFP le 24/03/2022 à 10:Mar
Le recours aux biocarburants à base d'huiles végétales ou de céréales en Europe est jugé « irresponsable » par l'ONG Transport & Environment, compte tenu de la menace qui pèse sur la sécurité alimentaire mondiale depuis le début de la guerre en Ukraine.
« La grande majorité des biocarburants utilisés dans l’Union européenne provient de cultures vivrières », dénonce l’ONG dans une étude publiée jeudi : selon elle, 78 % des matières premières utilisées pour produire du biodiesel sont en effet des huiles obtenues à partir de colza, de palme, de soja, et de tournesol. Pour le bio-éthanol, la proportion de produits agricoles (maïs, blé, betteraves..) est encore plus élevée : 96 %.
Les ventes de bioéthanol (E85), carburant automobile bon marché où de l’alcool pur remplace en grande partie l’essence, ont fortement progressé en France en 2021, mais ses avantages environnementaux restent contestés.
« Malgré le risque imminent de pénurie alimentaire, qui pourrait entraîner des centaines de millions de personnes dans la pauvreté alimentaire, l’Europe continue de transformer 10 000 tonnes de blé – l’équivalent de 15 millions de miches de pain (750 grammes) – en éthanol chaque jour, pour une utilisation quotidienne dans les voitures », clame l’ONG.
« La Russie et l’Ukraine sont des fournisseurs clés d’aliments de base dans le monde. Ensemble, elles fournissent environ un quart du blé et de l’orge, 15 % du maïs et plus de 60 % de l’huile de tournesol vendus dans le monde », rappelle l’ONG.
Alors que l’Europe est presque auto-suffisante en blé, elle importe quelque 22 % du maïs qu’elle consomme, en grande partie d’Ukraine. Si l’Europe sera en mesure de gérer les approvisionnements manquants provenant traditionnellement d’Ukraine et de Russie, « certains pays moins forts économiquement pourraient ne pas y arriver », compte tenu de la flambée des cours, souligne l’ONG.
L’Egypte, qui importe plus de 60 % de ses besoins en blé, a annoncé récemment stopper pour trois mois ses propres exportations de blé et de farine, « ce qui va frapper d’autres pays d’Afrique, en particulier l’Erythrée, la Somalie et le Yémen ».
Avec une douzaine d’autres ONG, Transport & Environment appelle « les gouvernements nationaux à stopper immédiatement l’utilisation de matières premières à base de cultures vivrières et fourragères dans les biocarburants », et la Commission européenne à « s’abstenir de faire pression pour ouvrir des zones réservées à la biodiversité à la production alimentaire », avant d’avoir épuisé les autres options.
L’UE envisage de recourir aux jachères pour compenser les pertes de production causées par la guerre en Ukraine.
Alors que l’UE cherche à « produire davantage » pour compenser les perturbations de l’offre céréalière d’Ukraine et de Russie, la Commission européenne a validé mercredi une dérogation « temporaire » pour l’année 2022 à ses règles sur les jachères, y autorisant « toute culture destinée à l’alimentation humaine et animale », un potentiel de 4 millions d’hectares supplémentaires.
De son côté, la collective du bioéthanol a regretté les conclusions de l’étude de l’ONG. « On a toujours tendance à présenter les filières des biocarburants comme coupées du monde », a relevé son directeur des affaires publiques Nicolas Rialland.
« 40% des tonnages restent valorisés sous forme alimentaire, ce ne sont pas des tonnages perdus », a poursuivi M. Rialland. Par ailleurs, la guerre en Ukraine implique « un contexte tendu » et ce n’est « peut-être pas le moment de fragiliser les filières », a-t-il souligné.