Le conflit bouscule le marché du maïs dans l'Union européenne
TNC le 01/04/2022 à 17:Apr
La guerre en Ukraine va pousser les pays de l’UE à importer moins de maïs que prévu, à se tourner vers d’autres fournisseurs et à assouplir leurs exigences à l’importation. Le bilan de fin de campagne s'annonce quant à lui particulièrement tendu, aussi bien à l'échelle communautaire qu'en France.
Benoît Fayaud, Grain market analyst chez Tallage, était présent à la matinée organisée le 23 mars par Intercéréales sur le thème de l’export en temps de guerre russo-ukrainienne. Il est revenu sur l’impact du conflit sur le marché européen du maïs.
Avant la crise, « on sortait d’une campagne 2020/21 très fragile dans l’UE, voire tendue en France », rappelle-t-il. Les opérateurs s’attendaient jusque récemment à un retour progressif à l’équilibre en 2021/22, grâce à une hausse de la production domestique et à un maintien des importations, porté par la récolte record de l’Ukraine.
L’Ukraine était de fait censée exporter environ 2,75 Mt de maïs vers le Bénélux et l’Allemagne, 3,3 Mt vers la péninsule ibérique, 1,35 Mt vers l’Italie et 1,1 Mt vers le Royaume-Uni et l’Irlande. Mais depuis fin février, les grains ukrainiens sont bloqués dans le pays et les efforts déployés pour en faire sortir une partie par la route ou le rail seront probablement très insuffisants.
Plusieurs points de fragilité
Et ceci vient mettre en évidence plusieurs points de fragilité sur le marché communautaire, explique Benoît Fayaud, en particulier un déficit structurel entre offre domestique et demande : « – 13,5 Mt en moyenne ces dernières années ».
La guerre souligne aussi la fragilité de l’UE vis-à-vis des imports depuis l’Ukraine : « en l’absence des maïs ukrainiens, comment assurer les imports jusqu’à ce que les maïs brésiliens arrivent, à partir du mois de juillet ? ».
La situation révèle également « la dépendance du secteur animal de l’UE au maïs ukrainien non-OGM », l’Ukraine en étant le principal fournisseur, en plus des maïs intra-européens. Elle pose la question des maïs argentins, très peu importés en Europe car ils dépassent les seuils de résidus en pesticides.
L’expert pointe aussi la « fragilité du secteur de l’éthanol », qui a besoin de maïs certifié en matière environnementale, et donc importé majoritairement depuis l’Ukraine et l’UE.
Pallier le manque de maïs ukrainien à court terme
Face au manque de maïs ukrainien, il estime qu’il faut s’attendre à court terme à une « forte sollicitation des maïs de l’UE », notamment français malgré les faibles disponibilités.
Il décrit les tentatives de contrôle des exportations en Hongrie et en Bulgarie, ce qui mènera surement à un ralentissement des flux depuis ces deux pays.
En Espagne, aux Pays-Bas, au Portugal et en Italie, une augmentation des importations US semble d’ores et déjà se profiler, avant que ces pays puissent se tourner vers les maïs brésiliens.
Et sur la filière éthanol, « la première réaction, en l’absence de disponibilités, est de réduire la consommation de maïs et donc la production d’éthanol ».
À quoi va ressembler la suite de la campagne de maïs 2021/22 ?
La guerre en Ukraine a mené Tallage à modifier ses prévisions concernant l’utilisation des céréales pour l’ alimentation animale sur la suite de la campagne en UE : baisse pour le blé et l’orge, stabilité pour le maïs par rapport aux estimations d’avant février, avec pour toutes encore « un potentiel à la baisse » du fait des prix élevés.
Le conflit vient aussi rebattre les cartes en matière d’échanges. L’analyste explique que les importations de maïs depuis les pays tiers seraient sur cette campagne de 13,5 Mt et non plus 14,7 Mt, avec une part des imports ukrainiens qui passe de 54 % à 41 %.
Il envisage en particulier une forte hausse des importations de maïs canadien et étasunien par le Bénélux et de l’Allemagne, une hausse des imports brésiliens par tous les pays importateurs de l’UE sur juillet-septembre 2022, et une hausse limitée des imports argentins à cause de « disponibilités plutôt limitées » et de la question des résidus de pesticides, qui peut être « un réel frein ».
Les flux intracommunautaires seront légèrement redessinés : si la France, la Roumanie, la Bulgarie et la Hongrie disposent de « faibles marges de manœuvre » pour accroître leurs exportations, la Pologne devrait exporter plus de maïs que prévu vers l’Allemagne, le Bénélux et le Royaume-Uni.
Le bilan s’annonce tendu pour la campagne 2021/22
Avec la survenue de la guerre en Ukraine, il faut donc s’attendre à un bilan communautaire très tendu en maïs : « le stock de fin de campagne devrait être en forte baisse et le ratio stocks/utilisations descendre sous 4 % », du jamais vu depuis les campagnes 2012/13 et 2013/14. La configuration est similaire pour la France : une très bonne récolte et de fortes exportations vers l’UE mènerait à un ratio stocks/utilisations tendu.
Quant à la campagne 2022/23, « le gros enjeu, ce sera les semis de printemps en Ukraine » : les surfaces implantées en maïs sont estimées en baisse « de 30 %, voire encore plus ».
La question des surfaces de printemps en UE se pose aussi, mais Tallage ne table pas sur un fort rebond car « les assolements sont en grande partie planifiés ou en cours, et qu’il y aura une limite des engrais et des semences ».
En plus de la durée et de l’intensité du conflit, plusieurs éléments seront déterminants dans les mois à venir pour le marché européen du maïs, conclut Benoît Fayaud : les politiques d’assouplissement des importations de l’UE, l’impact des prix élevés sur la demande, et l’évolution des politiques de soutien.
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