Les espoirs doublement douchés d'un éleveur d'escargots
AFP le 24/04/2022 à 08:Apr
Ivan Iouskevitch exportait jadis de sa ferme ukrainienne des camions entiers d'escargots à destination de l'Europe occidentale, mais la pandémie et l'invasion russe ont quasiment mis sa production à l'arrêt et vidé son restaurant.
Non loin de milliers d’escargots en plein accouplement dans une pièce sombre et humide, cet ancien ingénieur se rappelle l’époque à laquelle il a lancé son affaire avec sa femme, en 2016, après avoir goûté ses premiers gastéropodes pendant des vacances en Grèce. « Avant la pandémie de Covid, notre ferme produisait 36 tonnes par saison », dit-il fièrement. Son exploitation, située dans un village à proximité de Lviv, grande ville de l’ouest ukrainien, exportait principalement vers l’Italie, mais aussi vers la France et l’Espagne.
Mais avec l’apparition du virus, la « demande a plongé et les prix aussi, réduisant nos projets européens à zéro », regrette-t-il. Sa femme et lui se préparaient à une meilleure saison cette année. C’était sans compter sur l’invasion de l’Ukraine par les forces russes, lancée le 24 février, qui a mis l’économie à terre.
Selon la Banque mondiale, le PIB ukrainien devrait chuter de 45 % en 2022. Et si la guerre a tué des milliers de personnes et poussé des millions d’Ukrainiens sur les routes, elle a aussi réduit à néant les infrastructures du pays et conduit nombre d’hommes en âge de travailler sur le front.
Production divisée par 2 cette année
En mars, les exportations agricoles de l’Ukraine ont été divisées par quatre par rapport à février, selon le ministère de l’économie de ce pays souvent surnommé le « grenier de l’Europe ». Dans l’ouest de l’Ukraine, épargné par les combats, les autorités ont appelé les entreprises à rouvrir pour soutenir l’effort de guerre. Reste qu’Ivan Iouskevitch ne prévoit de produire cette année que la moitié des escargots qu’il espérait, et bien moins qu’au temps où tout allait bien. Après le départ de sa femme et son fils à l’étranger, il a même pensé arrêter totalement la production. Mais en apprenant que les employés d’une ferme de l’est du pays avaient fui leur région et cherchaient du travail, il les a invités à le rejoindre.
Dans la pièce où ses escargots s’accouplent, c’est maintenant à Iryna Iablinska d’extraire délicatement certains des œufs blancs de la tourbe de noix de coco, de les saler et de les transformer en caviar. Les autres œufs seront installés dans des boîtes en polystyrène pour y devenir des larves, lesquelles partiront ensuite dans le jardin en attendant de devenir des escargots adultes. Iryna, son mari et leurs deux enfants de six et deux ans sont originaires de Kramatorsk, proche de la ligne de front dans l’Est. Ils ont fui dès le 24 février, lorsqu’ils ont entendu les premières roquettes.
La ferme tourne au ralenti
Aujourd’hui, la ferme tourne au ralenti. Mais pour Iryna, l’ouest ukrainien est suffisamment stable pour que son aîné puisse suivre l’école en ligne. « Nous nous sentons en sécurité ici », se satisfait-t-elle. Dans le jardin, Ivan Iouskevitch montre aussi une couvée de poulets Silkie noirs, autrefois très populaires auprès des enfants en visite. Les poulets aussi dégustent à l’occasion des escargots, tout comme le faisaient les clients du restaurant désormais vide, explique le fermier.
Quand il était revenu de Grèce avec sa femme, Ivan Iouskevitch avait découvert avec surprise que des Ukrainiens ramassaient des escargots pour les envoyer en Lituanie, où ils étaient transformés et vendus en Europe comme des produits lituaniens. D’où son idée de produire directement en Ukraine. Malheureusement, les escargots ukrainiens n’étant pas les plus appropriés pour la gastronomie, il a dû faire venir les siens d’Afrique du Nord. Pendant qu’Ivan Iouskevitch se tient entre ses escargots et ses poulets, un avion de combat traverse le ciel encore hivernal. L’éleveur raconte en voir souvent survoler le paisible village depuis le début de la guerre. « Dieu merci, ils sont ukrainiens ! », lance-t-il.