L'UE veut aider les agriculteurs sans sacrifier le « verdissement » des cultures
AFP le 12/03/2022 à 10:Mar
Bruxelles prépare des aides aux agriculteurs pour contrer l'impact de la guerre en Ukraine, mais défend sa stratégie pour verdir les cultures en sabrant l'usage des pesticides - un plan remis en cause par des États, eurodéputés et organisations agricoles au nom de la « souveraineté alimentaire ».
L’Europe et l’Afrique « seront très profondément déstabilisées sur le plan alimentaire » dans les 12 à 18 mois, a averti vendredi le président français Emmanuel Macron à l’issue d’un sommet des Vingt-Sept, appelant à « réévaluer les stratégies de production » de l’UE.
La guerre Russie-Ukraine, deux gros producteurs de céréales, a propulsé les cours des huiles, blé, soja, colza, tournesol et maïs à des niveaux records et Moscou menace de suspendre ses exportations d’engrais dont les Européens sont dépendants.
Dans de nombreux secteurs, nous devons investir pour une Europe plus indépendante et plus souveraine. pic.twitter.com/diZMHnaXWc
— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) March 11, 2022
Pressée d’adopter des mesures d’urgence, la Commission européenne envisage de puiser pour la première fois dans la « réserve de crise », fonds de quelque 450 millions d’euros destiné à aider les agriculteurs en cas d’instabilité des prix, a indiqué à l’AFP une source européenne. États et eurodéputés doivent donner leur accord.
L’exécutif européen étudie aussi un possible soutien, pas encore défini, aux éleveurs porcins. Enfin, la Commission devrait proposer d’assouplir les règles sur les terres en jachère, pour les remettre en culture.
En revanche, de même source, la Commission reste intransigeante sur sa stratégie « De la ferme à la fourchette » qui vise, d’ici à 2030, à réduire de moitié l’usage de pesticides, de 20 % celui d’engrais, et à consacrer un quart des terres au bio.
« Mission nourricière »
Début mars à Bruxelles, les ministres européens de l’Agriculture avaient pourtant réclamé à la Commission une « réévaluation » : l’objectif prioritaire est de « libérer le potentiel de production », « d’assurer notre mission nourricière (…) pour répondre à la demande européenne et mondiale », faisait valoir le Français Julien Denormandie.
Ce dernier avait rappelé les études projetant des baisses de rendements de 10 à 15 % pour les céréales, oléagineux, viandes bovine et porcine, dans les scénarios intégrant la stratégie verte. « Si la sécurité alimentaire est en péril, il faudra revoir nos objectifs et peut-être les corriger », avait répondu le commissaire à l’Agriculture Janusz Wojciechowski.
Depuis, la Commission a réuni mercredi les experts de son « mécanisme de préparation et réaction aux crises de sécurité alimentaire ».
Or, « il ressort clairement que l’UE n’est pas en danger de pénuries alimentaires, que l’impact immédiat se traduit plutôt par des renchérissements sur la chaîne d’approvisionnement, des flux commerciaux bouleversés, et des conséquences pour la sécurité alimentaire mondiale », selon un compte-rendu de la réunion. La Commission juge que « la sécurité alimentaire va de pair avec durabilité ».
Bruxelles souligne l’essor des biopesticides, une meilleure sélection des variétés, les changements de régimes alimentaires et des critères durcis pour les importations, facteurs non inclus dans les études prédisant une chute des productions.
Sols affaiblis
Mais l’invasion de l’Ukraine par la Russie a réveillé les détracteurs de cette stratégie : « La logique de décroissance de la « ferme à la fourchette » doit être profondément remise en question. Il faut produire plus », insiste la FNSEA, premier syndicat agricole français, à l’unisson de la fédération européenne Copa-Cogeca.
L’eurodéputé conservateur Norbert Lins, président de la commission parlementaire agriculture, appelle à « autoriser temporairement l’usage de produits phyto-sanitaires » là où ils sont restreints, et le groupe PPE (conservateurs) plaide pour « reporter toutes les initiatives législatives sur les pesticides ou la restauration d’espaces naturels ».
« Ne croyez pas que vous aiderez la production alimentaire en la rendant moins durable », alors que la potasse des engrais vient essentiellement de Russie et du Bélarus, réplique Frans Timmermans, vice-président de la Commission chargé du « Pacte vert ».
« Labourer plus de terres, développer des biocarburants et l’élevage intensif en utilisant davantage de pesticides et d’engrais synthétiques augmenterait considérablement le risque d’effondrement des écosystèmes », avertissent également quelque 90 ONG (Greenpeace, ClientEarth…).
En France, la Confédération paysanne dénonce l’« opportunisme malsain » du « monde productiviste », jugeant que l’exploitation des jachères et l’usage des pesticides menacent la qualité des sols et, donc, la production à terme. « Produire plus n’est pas une garantie pour nourrir le monde : l’agriculture paysanne produit 70-75 % de l’alimentation mondiale sur un quart des terres cultivées, l’agriculture industrielle accapare trois quarts des terres » dont seule une petite partie est dédiée à l’alimentation humaine, affirme sa secrétaire nationale Laurence Marandola.