Accéder au contenu principal

sommaire

Sommaire du dossier

Dossier : Mobilisation des agriculteurs

précédent

135/137

articles

suivant

Témoignages

Ce que les éleveurs pensent des manifestations


TNC le 25/01/2024 à 16:Jan
Traffic jam, tractors and cars.

(©Getty Images)

Quatre éleveurs laitiers et allaitants de différentes régions de France ont donné leur point de vue sur les manifestations en cours. Entre engouement et scepticisme, débat sur la fiscalité du GNR ou la loi Egalim, tous s’accordent sur un point : la trop faible rémunération des matières premières agricoles.

A défaut de pouvoir énumérer la longue liste de points de blocage, tant ces derniers sont nombreux, TNC a contacté quatre éleveurs afin de bénéficier de leur regard sur le contexte actuel. Certains manifestent, d’autres non, mais tous témoignent du même besoin de reconnaissance.

Aurélie, éleveuse normande : « On est en train de vivre quelque chose d’inédit »

Aurélie Cauchard, éleveuse dans la Manche est montée au front. « Je vais manifester pour qu’on arrête de marcher sur la tête, et qu’on puisse enfin nous laisser travailler », explique avec calme l’éleveuse de vaches normandes.

Pour elle, nul doute, « il faut faire appliquer la loi Egalim pour avoir des prix rémunérateurs ». Et pour cause, l’agricultrice s’est rendue en début de semaine en grande surface pour faire des relevés de prix. « Leclerc vend du lait à 0,84 € du litre. Je ne vois pas comment Egalim peut être respecté avec ce niveau de prix. » Sans parler du beurre irlandais trouvé dans les rayons, « la grande distribution ne joue pas le jeu et ça n’est pas normal ».

L’éleveuse porte beaucoup d’espoir dans le mouvement actuel. « Je suis syndiquée à la FNSEA, mais je vois que beaucoup d’éleveurs se prennent en main et se manifestent. On est en train de vivre quelque chose d’inédit. C’est un ras-le-bol longtemps contenu qui sort enfin », insiste Aurélie. « Tout ce qu’on veut, c’est qu’il n’y ait pas de violence ».

Quant à ses pronostics sur la durée du mouvement, « tout dépendra de ce qui sera annoncé par le gouvernement ». Et la pluie n’effraie pas la Normande, « on a l’habitude d’être dehors, on tiendra le temps qu’il faudra ! ».

Noël, éleveur aveyronnais : « La FNSEA s’approprie l’événement »

À la tête de 120 mères Aubracs, Noël Entraygues regrette que les manifestations soient en grande partie reprises par le syndicat majoritaire. « Je partage une partie des revendications, mais je ne souhaite pas manifester sous l’étiquette de la FNSEA ». La récupération du mouvement le gêne, d’autant qu’il estime que le discours du syndicat ne reprend pas toutes les problématiques des agriculteurs. « Ça n’est pas la fédé qui a lancé le mouvement, je trouve ça embêtant qu’ils se l’attribuent ».

« Dans leur discours, on entend souvent parler de Mercosur. Comme tout le monde, j’ai peur de l’arrivée de la viande brésilienne dans les comptoirs, mais ça n’est pas elle qui me met en difficulté aujourd’hui » résume Noël, qui en veut plutôt aux distorsions de concurrence au sein de l’Europe. « Certains pays n’ont pas la même fiscalité, pas les mêmes salaires minimums ou contraintes à la production et proposent des prix bas pour la restauration, et l’on n’entend aucune voix s’élever contre cela ».

Pour l’agriculteur aveyronnais, le problème agricole est pour partie une affaire de prix. « La question de la fiscalité du GNR ne devrait pas se poser si Egalim fonctionnait. La hausse du coût de production devrait être répercutée mécaniquement… On marche bien sur la tête ! » ironise Noël.

« Je n’ai pas le temps d’aller manifester », estime un éleveur breton

« Je n’ai pas le temps d’aller manifester, et honnêtement, je pense que cela ne changera rien », explique un agriculteur breton, qui ne souhaite pas communiquer son nom. « Des manifs, il y en a eu d’autres, et elles n’ont pas changé grand-chose, je ne vois pas pourquoi cela serait différent avec celle-là ».

Avec 50 Charolaises et 70 ha, l’agriculteur partage pourtant les doléances de ses confrères. « Il y a énormément de paperasserie ». Pour lui, l’administratif est plus que jamais une charge. « J’ai voulu retourner une prairie temporaire de plus de 5 ans pour la réimplanter ailleurs. Pour cela, il a fallu remplir pléthore de documents avec un conseiller pour stipuler que je m’engageais bien à laisser la future prairie temporaire 5 ans en terre ». Même rengaine pour les semis de blé : faute d’avoir pu travailler son sol en raison des intempéries, l’éleveur a dû justifier le fait que ses parcelles soient restées à nu, sans couvert pendant l’hiver. « C’est beaucoup de papiers pour des choses qui ne me paraissent pas importantes », estime l’éleveur breton.

Pour lui, l’industrie et les grandes surfaces ne jouent pas le jeu. « Quand il y a des animaux à vendre, on ne sait jamais ce qu’on va gagner. Ils partent, mais on ne sait pas toujours ce qu’ils vont rapporter. Il n’y a qu’en agriculture que l’on voit ça… », poursuit l’éleveur breton.

Matthieu, éleveur dans l’Aisne : « c’est dommage que ça n’arrive que maintenant »

Matthieu et Christelle Gourlin, à la tête d’une centaine de vaches laitières dans le nord de l’Aisne partagent le ras-le-bol. « En 20 ans de carrière, c’est dommage que ça arrive seulement maintenant », lance l’éleveur. « Ça n’a pas bougé beaucoup dans les environs, mais je pense que demain je partirai avec un tracteur en manif ».

Pour l’agriculteur, le problème du renouvellement des générations est une conséquence du malaise agricole. « Les jeunes nous ont vus faire de gros investissements pour des mises aux normes. Ils ne veulent pas se faire avoir », détaille Matthieu.

Comme ses confrères, il dénonce le manque de rentabilité de l’élevage. « Si l’on avait des moyens, ça apaiserait les tensions. Si l’on pouvait embaucher, avoir des week-ends comme tout le monde ça changerait la donne. Et en plus il n’y a pas de reconnaissances. Il fallait bien que le ras-le-bol sorte un jour ».

Mais Matthieu reste pragmatique, « je ne vois pas trop ce que le gouvernement peut faire. Il va peut-être donner des enveloppes, mais cela va difficilement changer le fond du problème ». Et pour cause, les revendications sont multiples « dans l’Aisne, on parle beaucoup du GNR, de la Pac, du ratio prairies permanentes ».

Les articles du dossier