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Sommaire du dossierDossier : Mobilisation des agriculteurs
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Les autoroutes, symboles d’une concurrence déloyale subie par les agriculteurs ?
TNC le 06/02/2024 à 17:Feb
Partiellement satisfaits des annonces du gouvernement, une grande partie des agriculteurs mobilisés ont suspendu leurs actions, levant progressivement depuis vendredi les différents blocages installés sur les autoroutes et grandes routes françaises. S’il paraît logique d’interrompre la circulation sur les grands axes routiers pour un retentissement médiatique et politique à la hauteur de la gêne occasionnée, ces espaces symbolisent également l’accélération de la libéralisation des échanges qui contribue fragiliser économiquement les agriculteurs français.
« C’est par les routes que les agriculteurs sont mis en concurrence avec ceux de l’étranger », « les routes et notamment les autoroutes ont été la clé de voûte de la construction libérale de l’Union européenne, permettant une accélération historique de la circulation des biens et marchandises », rappellent Samuel Legris, doctorant en sociologie, et Thibaut Lhonneur, expert associé à la Fondation Jean Jaurès.
Dans une note d’analyse sur la crise agricole, les deux auteurs expliquent pourquoi le choix de bloquer les routes n’est pas un hasard. La libéralisation des échanges, via les routes, a généré dans plusieurs secteurs économiques « un pan entier de laissés-pour-compte qui ont vu se détériorer leurs conditions de travail et de rémunération au fur et à mesure de la construction européenne ». Ainsi, les routes ont permis de libéraliser le transport de personnes, entraînant « l’avènement d’une entreprise comme Uber au détriment des taxis », et « c’est par les routes que les transporteurs étrangers ont supplanté peu à peu les sociétés hexagonales », estiment les auteurs.
Une crise de la valeur du travail agricole
Les agriculteurs s’en prennent donc « aux conséquences de ces routes libéralisées », par exemple en interceptant des camions en provenance de pays européens pour les vider et donner leur marchandise aux Restos du cœur, « comme pour mieux contester la suppression totale des douanes entre les différents États membres », analysent les auteurs.
De même, le blocage des autoroutes, et la volonté de couper l’accès aux métropoles, points de concentration des flux d’échanges, traduit aussi une forme de mobilisation contre un environnement trop libéral qui a laissé de côté une partie des agriculteurs. Les auteurs y voient une nouvelle « crise du travail », qui par certains aspects a pu être comparée à la crise des gilets jaunes. On constate, en effet, des points communs dans les revendications et le ressentiment exprimé : « un travail qui ne rémunère pas, des perspectives moins émancipatrices pour les générations futures que pour les précédentes, et ce sentiment accru d’une « mondialisation heureuse » qui se fait d’abord sur le dos de la France du « travail réel » puis sans ces travailleurs qui, comme les agriculteurs passés de 7 % de la population active à 1,5 % entre 1982 et 2019, disparaissent peu à peu de l’économie mondialisée », expliquent Samuel Legris et Thibaut Lhonneur.
La libre circulation des marchandises par les routes contribue à créer une concurrence déloyale, subie par les agriculteurs, provoquant « une crise de la valeur du travail agricole », alors que les revenus issus de l’activité agricole restent faibles et que le bon fonctionnement économique des exploitations dépend aujourd’hui majoritairement des aides et subventions européennes ou gouvernementales. Ces politiques « ont pour objectif de maintenir un niveau d’exportation élevé et de conserver des prix à la consommation relativement bas, au profit évident de la grande distribution, en position de force face aux agriculteurs », écrivent les deux auteurs.
Forte concurrence étrangère et faibles revenus agricoles
Si les revenus agricoles sont sujets à de fortes disparités selon les filières, Samuel Legris et Thibaut Lhonneur constatent également que c’est encore « dans les zones agricoles les plus soumises à la concurrence étrangère et à la pression de la grande distribution que se concentrent les agriculteurs les plus pauvres ». C’est ainsi le cas en Occitanie, où l’économie agricole décline depuis 10 ans. Beaucoup de productions régionales y subissent la concurrence de plus en plus forte de produits d’importations moins chers, en raison de normes environnementales moins exigeantes ou d’un coût du travail plus compétitif agricoles soumis à concurrence, comme les fruits, les légumes, ou le vin.
Ainsi, comme l’indiquent les chiffres les plus récents publiés par l’Insee, les régions agricoles françaises « dont les principaux revenus sont issus des céréales souffrent moins des diktats de la grande distribution que celles où les fruits, la viande et le vin composent les principales sources de rémunération », relève la note.
Cependant, la colère n’est propre à la France : les mouvements agricoles se multiplient partout sur le continent, signe aussi d’une Europe qui a insuffisamment contribué à l’intégration économique de ces activités.