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Sommaire du dossierDossier : Politique américaine : Quelles conséquences pour l’agriculture ?
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En Champagne, craintes et incrédulité après les menaces de Trump
AFP le 14/03/2025 à 16:Mar
« Ce serait malheureux, mais je ne pense que pas que ça se concrétise » : comme Brooke Burgess, Américaine croisée à Reims vendredi, beaucoup sont incrédules au lendemain des déclarations fracassantes de Donald Trump menaçant d'imposer 200 % de droits de douane sur le champagne.
Cette trentenaire de Washington DC sirote une flute de champagne à l’issue d’une visite des caves de la prestigieuse maison Taittinger, dont les galeries creusées dans la craie serpentent à 18 mètres sous terre. Elle qui achète actuellement des vins français ou du champagne « au moins une semaine sur deux » pense qu’elle les réserverait aux très grandes occasions si le président américain met ses menaces à exécution. Mais Trump « cherche juste à créer un choc » veut croire le mari de Brooke, Tyler.
Jeudi, le président américain a menacé l’Union européenne d’imposer des droits de douane à 200 % sur ses champagne, vins et autres alcools si les tarifs douaniers à venir de 50 % sur le whisky américain, eux-mêmes annoncés en représailles aux surtaxes américaines de 25 % sur l’acier et l’aluminium, n’étaient pas retirés.
Des déclarations de nature à faire perdre le sommeil aux producteurs de champagne. Les Etats-Unis sont leur premier marché à l’export, avec près de 30 millions de bouteilles expédiées en 2023, pour 810 millions d’euros.
C’est autant, en valeur, que l’ensemble de l’Union européenne, indique Simon Lacoume, économiste sectoriel chez l’assureur-crédit Coface selon qui les États-Unis représentent 6 % de la demande totale de champagne.
« Depuis 2019 et le premier litige (sous le premier mandat de Donald Trump, NDLR), nous ne cessons de demander à la Commission européenne (…) de faire en sorte que les vins et spiritueux ne soient pas les otages de litiges commerciaux transatlantiques », soupire David Chatillon, co-président du Comité champagne.
Il souhaiterait « 0 % de droits de douane sur les vins et spiritueux américains à leur entrée sur le territoire de l’UE et 0 % sur les vins européens à leur entrée sur le territoire américain ».
Le groupe LVMH, propriétaire de plusieurs grosses maisons de Champagne comme Moët ou Ruinart, et dont le patron Bernard Arnault a assisté à l’investiture de Donald Trump, n’a pas souhaité réagir.
« Guerre idiote »
Depuis ses caves aux allures de cathédrale où des soldats des deux guerres mondiales ont laissé des graffitis, Vitalie Taittinger, présidente de la maison éponyme, veut croire les liens entre la Champagne et les Etats-Unis assez forts pour résister à ces turbulences.
« Le champagne s’inscrit dans le temps long », estime-t-elle. « Au siècle dernier, de nombreux Américains se sont battus pour la liberté, sont morts en Champagne », rappelle la dirigeante, pour qui « ce qui nous relie à travers l’histoire est plus fort que ce qui se joue aujourd’hui ».
Au-delà des dernières déclarations de Trump, c’est toute l’instabilité politique qui pèse sur les ventes de champagne, souligne-t-elle. 2024 a déjà été marquée par une nette baisse des ventes, notamment à l’export, qui représente 56 % du total, avec un recul de 10,8 % par rapport à 2023.
Mais avec une bouteille d’entrée de gamme dont le prix s’envolerait à 150 euros contre 50 aujourd’hui, l’impact de telles taxes serait dévastateur pour Taittinger, qui expédie entre 600 et 800 000 bouteilles par an aux Etats-Unis.
David Chatillon, lui, « n’ose pas imaginer que ça puisse arriver ». Il espère que Donald Trump entende, sinon les producteurs français, du moins les importateurs américains, dont « 75 % de la marge est réalisée avec des vins et spiritueux européens ».
Les vignerons indépendants jouent également très gros. L’export représente quelque 30 % de leur chiffre d’affaires en moyenne, souligne Christine Sévillano, viticultrice bio et présidente des vignerons indépendants de Champagne.
Développer l’export vers un pays implique plusieurs années de travail et d’investissements et « les grandes maisons ont peut-être les reins financiers un peu plus solides pour changer d’orientation », ajoute-t-elle, appelant les élus à « prendre leurs responsabilités, d’un côté comme de l’autre de l’Atlantique ».
Le ministre français de l’Economie Eric Lombard, regrettant vendredi une « guerre idiote » avec Washington, a indiqué se rendre aux États-Unis « dans les jours qui viennent ».
Sébastien Krs, de la CGT Champagne, espère quant à lui que les dirigeants champenois n’utilisent pas les taxes américaines comme prétexte pour « accentuer la smicardisation en cours en Champagne », avec un recours de plus en plus fréquent à des prestataires extérieurs pour les vendanges.