« Accompagner la transmission devient de plus en plus crucial »
TNC le 11/01/2022 à 05:Jan
La transmission des fermes devient un tel enjeu, au regard de la démographie agricole, qu'elle fait l'objet de nombreuses études, que la rédaction vous a rassemblées dans une série d'articles. Commençons par l'avis du Cese "Entre transmettre et s’installer, l’avenir de l’agriculture !", présenté par son rapporteur Bertrand Coly et qui propose plusieurs mesures pour faciliter le renouvellement des agriculteurs. Deux cédantes apportent aussi leur témoignage.
« La question de la transmission des exploitations agricoles revenait régulièrement dans les différents travaux de la commission « Territoires, agriculture et alimentation » du Conseil économique, social et environnemental. La crise du Covid-19, notamment le premier confinement, l’a mise sur le devant de la scène. Alors nous avons décidé de mener une réflexion spécifique sur ce sujet », retrace Bertrand Coly, rapporteur de l’avis du Cese « Entre transmettre et s’installer, l’avenir de l’agriculture ! », rendu public en juin 2020.
Celui-ci repose sur 4 axes :
- Accompagner les cédants en les encourageant financièrement
- Mieux soutenir et encadrer les porteurs de projets et les nouveaux installés
- Faciliter l’accès à la terre
- Mobiliser et coordonner les acteurs agricoles et non-agricoles
« Adapter les outils »
À l’entrée au PAIT : 2/3 de Nima.
À la sortie : 1/3
« L’accompagnement de la transmission est de plus en plus crucial puisqu’elle s’effectue de moins en moins dans le cadre familial, avec un enjeu financier important également, lié aux retraites agricoles, explique Bertrand Coly. L’adaptation des outils à installation en agriculture est lui aussi essentiel au regard de la baisse des installations aidées et pour mieux prendre en compte les nouveaux projets et profils de ceux qui veulent devenir agriculteur. Il y a 2/3 de Nima (non issus du milieu agricole, NDLR) à l’entrée des points accueil installation/transmission et plus que 1/3 à la sortie. Nous devons réduire cette déperdition. Enfin, pour que tous les dispositifs pour faciliter l’installation et la transmission des fermes fonctionnent, il faut mieux partager et protéger les terres agricoles. »
Pour répondre à ces problématiques, l’institution a formulé plusieurs propositions, dont « certaines ont émergé lors de la journée citoyenne organisée dans le cadre de la préparation de l’avis ». Parmi elles : décliner les Crit (comités régionaux installation/transmission) au niveau départemental, revaloriser les retraites agricoles, mettre en place une indemnité viagère de transmission, prolonger la DJA jusqu’à 50 ans, doubler (de 2 à 4 %) la part du volet « nouvel installé » du 1er pilier de la Pac,se doter d’une loi foncière avec un objectif de « zéro artificialisation nette des terres » et une taxation forte des plus-values sur leur changement de destination.
« Transformer ces réflexions en initiatives concrètes »
« Tout le monde partageait l’enjeu du renouvellement des générations en agriculture au sein du Cese, mais tout le monde n’était pas d’accord sur les actions à conduire », pointe cependant Bertrand Coly qui regrette, par ailleurs, qu’au bout d’un an et demi, l’avis du conseil ait été « si peu entendu par la société civile notamment ». « Il est difficile de transformer ces réflexions en initiatives concrètes. J’espère que les Régions vont s’emparer de ce travail », ajoute le rapporteur.
Témoignage de Véronique Léon, recueilli dans le cadre de l’avis du Cese, sur la cession de son exploitation
« On se demandait comment on allait céder, par exemple la fromagerie. Elle a été construite sous la maison parce que les enfants étaient jeunes, c’était pratique. Mais on savait bien qu’un jour ou l’autre, ça poserait problème au moment de la transmission puisque nous voulions garder la maison. Alors, cinq ans avant de transmettre, on a construit une fromagerie neuve. »
(…) « Pour faciliter l’achat des parts du Gaec par nos deux jeunes repreneuses, on les leur a vendues. Elles ont payé la moitié avec un emprunt et la DJA, et nous règlent l’autre sous forme de mensualités de 800 € pendant 12 ans à 0 % d’intérêts. On s’est substitués à la banque, mais on a fait ça devant le notaire. (…) Quand on a travaillé toute sa vie, on aurait envie, comme on n’a pas une grosse retraite, de capitaliser. Mais arriver à transmettre sa ferme, c’est quand même une grosse satisfaction, ça vaut le coup ! »
Les avis du Conseil économique, social et environnemental ne sont en effet que consultatifs. « Si le gouvernement ne s’en saisit pas, on n’y peut rien, c’est la limite de cet exercice. Pourtant celui sur l’installation et la transmission a été porté par tous les syndicats agricoles. Au moins, on sera prêt le moment venu. Aux dernières élections municipales et régionales, on a observé un rajeunissement des élus, ce qui pourrait encourager la participation citoyenne. Il ne faut donc pas hésiter à aller les voir », détaille Bertrand Coly, avant de marteler : « Notre rôle est de continuer à faire des préconisations. »
L’enjeu de la communication pour « trouver les bons mots »
« Nous devons promouvoir notre avis en dehors du Cese pour faire bouger les lignes, auprès des législateurs en particulier, afin d’obtenir un consensus. Il faut rester mobilisé, nous allons finir par être entendus », insiste Thierry Baudet, président de l’organisation, en soulignant qu’il faut une politique publique ambitieuse pour renouveler les générations en agriculture et faire face aux bouleversements de l’organisation sociale rurale. « C’est un enjeu d’utilité publique, conclut-il. On a besoin de transmissions et d’installations dans une continuité mais aussi dans des ruptures. La transmission est ainsi l’occasion de favoriser la transition vers d’autres modèles agricoles. Les repreneurs sont porteurs de ces évolutions. »
« Aux quatre coins de France, j’ai rencontré des jeunes agriculteurs épanouis dans leur métier, met en avant Bertrand Coly faisant référence aux déplacements réalisés dans le cadre du travail du Cese. Cela montre que s’installer en agriculture, c’est possible, même si le manque de revenu est un frein indéniable. » Au-delà de cette question financière, le rapporteur liste trois défis majeurs autour de la communication pour « trouver les bons mots afin d’être entendus des porteurs de projets, des élus, etc. », autour des alliances locales pour que « ça bouge » et autour de la puissance publique qui « doit être garante des politiques et actions en faveur du renouvellement des générations en agriculture ». Pour cela, il exhorte entre autres à cesser les concurrences éventuelles sur le terrain entre organisations agricoles. Et pour que les agriculteurs en place communiquent plus positivement, il faut déjà les convaincre que leur métier a un avenir, met-il en avant.
La transmission : l’occasion de favoriser la transition vers d’autres modèles.
Les repreneurs sont porteurs de ces évolutions.
Témoignage de Marie-Noëlle Orain, ancienne agricultrice membre du Cese de Loire-Atlantique, sur la transmission de sa ferme
« Mon mari et moi, nous avons commencé à réfléchir à transmettre notre élevage laitier en 2013 pour une cession effective en 2018. Nous travaillions avec un salarié sur l’exploitation, convertie à l’agriculture biologique il y a 22 ans. Grâce aux formations que nous avons suivies avec la Cap44, nous avons pu appréhender toutes les facettes de la transmission, notamment les aspects humains. Nous avons particulièrement appréciés les échanges avec d’autres cédants, qui nous ont partagé leur expérience et leur vécu. »
« On ne transmet pas seulement un capital, mais des terres et des animaux qu’on a fait naître et qu’on a soignés. Il faut arriver à s’en séparer le mieux possible, à faire le deuil de ce qui va s’arrêter et surtout voir la retraite comme un nouveau projet. Déménager, quand on habite dans ou près de la ferme, aide à démarrer cette nouvelle vie.
« Au départ, nos fils étaient partis ailleurs, puis ils sont revenus avec le projet de s’installer en tant que paysans boulangers. Cela nous a surpris au début car cette activité n’était pas présente sur la ferme. Mais il faut se dire que l’exploitation des repreneurs ne sera jamais la même que la sienne. Et depuis trois ans que la nôtre a été reprise, elle a déjà évolué ! »
« Nos fils se sont associés avec un tiers, qui n’avait pas de culture agricole. Il a alors fallu apprendre à expliquer, pour lui transmettre nos connaissances et savoir-faire : 40 ans de carrière en trois ans, où nous avons travaillé avec lui ! Parfois, il fallait aussi savoir composer avec les différentes personnalités, voire se taire. Les conseils ne sont pas toujours les bienvenus. L’important est d’être ouvert et à l’écoute, et d’accueillir les néo-ruraux pour qu’ils viennent transpirer leurs rêves dans les champs et les étables ! »
Source : séminaire « Transmission, résilience et transition – études croisées sur les transmissions en agriculture », septembre 2021 au CESE.