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Dossier : Transmission

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Transmissibilité des fermes laitières

Comment les cédants l'estiment-ils ? Pourquoi le lait attire peu de candidats ?


TNC le 23/06/2021 à 09:Jun
Senior farmer in a field examining crop

Two farmers in a field examining wheat crop.

Avec quels critères les éleveurs laitiers évaluent-ils la transmissibilité de leur exploitation ? Pour quelles raisons les porteurs de projets, de plus en plus non issus du milieu agricole, ne souhaitent-ils pas davantage s'installer en production laitière ? Les réponses à ces deux questions illustrent le décalage entre les attentes des candidats à l'installation et des cédants.

« Une partie des cédants pensent que leur ferme laitière n’est pas transmissible, donc ne démarrent pas de démarches de transmission », constate Juliette Blanchot, animatrice installation/transmission au Civam (Centre d’initiative et de la valorisation de l’agriculture et du milieu rural) d’Ille-et-Vilaine. « En Bretagne par exemple, il y a environ 2 200 cessations d’activité agricole chaque année pour seulement 380 exploitations référencées au répertoire départ installation (RDI) en 2019 », poursuit-elle. 

2 200 cessations d’activité/an en Bretagne et seulement 380 exploitations à reprendre au RDI.

Parallèlement, 906 porteurs de projets y étaient inscrits. Et au point accueil installation (PAI), 60 % des candidats au métier d’agriculteur ne sont pas issus du milieu agricole. Or, si l’on regarde les installations effectives (aidées, c’est-à-dire bénéficiant de la dotation jeune agriculteur ou DJA), près de 40 % s’effectuent hors cadre familial mais avec 30 % de Nima uniquement. Un chiffre divisé par deux entre le début des démarches pour s’installer et la fin du parcours, ces tendances s’observant également à l’échelle nationale !

60 % de Nima au PAI, mais 30 % des installations effectives.

Tout comme la diminution des projets en vaches laitières. « En particulier chez les « non issus du milieu agricole » (Nima), où on n’en compte que 15 % par an, ajoute Juliette Blanchot. Le maraîchage, les productions végétales et les petits élevages ayant plus de succès. » Puisque le nombre d’installations dans le cadre familial diminue, le renouvellement des générations d’agriculteurs, et a fortiori d’éleveurs, se fera en partie grâce aux Nima.

15 % d’installations de Nima/an en vaches laitières.

Des critères techniques, psychologiques et sociaux

Face à ces constats, le Civam 35 a voulu « comprendre pourquoi tous les futurs exploitants retraités ne cherchaient pas à transmettre leur ferme, laitière notamment, et pour quelles raisons les Nima ne s’intéressent pas davantage aux bovins lait ». Le but : « parvenir à faire coïncider les attentes des porteurs de projets et l’offre d’exploitations à reprendre. » « L’avenir de la filière en dépend ! », martèle l’animatrice. Un enjeu d’autant plus important dans les bassins laitiers comme la Bretagne, qui compte 40 % d’élevages bovins laitiers à céder un jour ou l’autre.

Pour y répondre, l’organisme a mené pendant trois ans, en partenariat avec l’Adage et Agrobio35, deux études en Ille-et-Vilaine, qui s’intègrent dans le projet « Encourager l’installation et la transmission en production laitière en agriculture durable en Bretagne ». La première concerne la perception qu’ont les cédants de la transmissibilité de leur ferme laitière. Une douzaine d’entretiens qualitatifs ont été conduits, au sein d’un échantillon le plus diversifié possible (systèmes de production variés, foncier en propriété, en fermage ou les deux, intégration ou non dans des réseaux agricoles, projets de transmission plus ou moins avancés), ceci afin d’identifier les éléments qui font qu’un éleveur laitier juge son élevage transmissible ou non. 

Outil de production, rentabilité, foncier, conjoncture, perspectives, travail…

« Il va d’abord se baser sur des critères techniques : son outil de production et sa rentabilité, le foncier, la localisation, la présence ou non d’une maison d’habitation, etc., détaille Juliette Blanchot. Puis sur sa vision du métier : le travail quotidien, la conjoncture et les perspectives à plus long terme… Ensuite, il élargit son analyse au territoire (caractéristiques pédo-climatiques) et à sa dynamique en matière d’installation/transmission. Enfin, il prend en compte des paramètres en lien avec les repreneurs, envers lesquels ils estiment avoir une responsabilité : leur nombre, leurs objectifs (changement de productions voire de système)… »

« Sachant que ses représentations sont influencées entre autres par son histoire personnelle, sa propre installation, sa capacité à se projeter, ajoute-t-elle. Et qu’elles vont à leur tour impacter sa posture face à la cession de son exploitation et aux candidats à sa reprise. Toutefois, ces perceptions ne sont pas figées : elles peuvent évoluer, positivement comme négativement, au fil des échanges avec les repreneurs et les différents acteurs qui interviennent dans la transmission : organisations agricoles, famille, réseau professionnel, propriétaires. C’est là que ces derniers ont un rôle essentiel à jouer » pour inciter les cédants à porter un regard plus optimiste quant à la transmissibilité de leur ferme. 

Accompagnement et sensibilisation à améliorer

De ces enquêtes de terrain, ressortent plusieurs facteurs qui s’avèrent positifs pour la transmissibilité des fermes laitières : un capital pas trop élevé, un outil de travail fonctionnel, le fait de posséder 100 % des terres ou d’avoir de bonnes relations avec les propriétaires. D’autres peuvent, selon les cas, être plus ou moins favorables : la proximité d’un bourg (accessibilité aux commerces, services, emplois ou au contraire pression foncière faisant monter les prix), la perception du métier comme pénible ou à l’inverse épanouissant.

Les cédants ne veulent pas mettre les repreneurs en difficulté.

« Certains sont en revanche négatifs : le prix bas du lait, l’absence de politique publique laitière, la crainte que les laiteries ne suivent pas les porteurs de projets, l’agrandissement des exploitations (les fermes enquêtées ont une SAU maximum de 60 ha, NDLR), la pénurie de candidats à l’installation, complète l’animatrice. Or les cédants ne veulent pas mettre les repreneurs en difficulté. » Qu’ils soient de plus en plus nombreux à rechercher de petites structures, par contre, les rassurent. « Grâce à ce travail et ces 12 rencontres avec des cédants, nous avons progressé dans notre accompagnement, dans la sensibilisation à la transmission principalement, conclut-elle. Nous avons renforcé nos liens avec les autres organismes accompagnant la transmission agricole, à un niveau encore plus local. »

Quant à la seconde étude, elle vise à apporter des réponses aux questions : « Qui sont les Nima ? Comment choisissent-ils la ou leurs productions ? » Elle s’appuie, là encore, sur 12 entretiens qualitatifs auprès d’un panel varié de candidats à l’installation non issus du milieu agricole (ateliers envisagés, stade d’avancement du projet). Lesquels doivent permettre de mieux cerner la façon dont les Nima perçoivent l’élevage laitier. À noter : ce ne sont pas tous des citadins sans aucun lien avec l’agriculture ni même la campagne. Certains ont des attaches agri-rurales (famille élargie, amis), ont fait des études et/ou travaillent dans le secteur para-agricole.

Une vision qui évolue

Leur choix de production revêt en premier une dimension éthique et politique, « un souhait d’amélioration de la société dans son ensemble, avec une forte motivation écologique et l’envie de s’orienter vers des projets alternatifs », précise Juliette Blanchot. Ainsi, l’élevage laitier ne répond pas vraiment à ces aspirations. Celles-ci sont associées à la volonté de ne pas utiliser les circuits de commercialisation industriels et de faire de la transformation à la ferme. « Ces porteurs de projets ont une image dévalorisée de la production laitière, synonyme pour eux de filière longue. Ils souhaitent incarner l’agriculture de demain et certains considèrent que l’élevage ne leur permettra pas d’y parvenir. »

Dimension éthique et politique.

« Ces représentations peuvent paraître choquantes mais les cédants doivent avoir conscience qu’elles existent. » Rassurez-vous cependant, elles deviennent moins prégnantes au-fur-et-à-mesure que le projet avance et que les Nima se confrontent au monde agricole. Des considérations liées au mode de vie et à l’organisation du travail motivent aussi leur décision d’opter pour une production plutôt qu’une autre. « Ils savent qu’ils vont beaucoup travailler, surtout les premières années, mais qu’ils vont pouvoir s’organiser assez librement. Malgré tout, les éleveurs laitiers sont surmenés, selon eux. L’astreinte quotidienne et durant toute l’année » les rebute également.

Les porteurs de projets pensent qu’ils ne gagneront pas leur vie avec des vaches laitières.

Une vision qui s’améliore au fil du temps, quand ils découvrent des pratiques comme les vêlages groupés ou la monotraite. De même que pour la vie sociale. « Je pensais être complètement isolé sur la ferme, qu’est-ce que je me suis gourré ! », mentionne un éleveur questionné, qui finalement s’est installé en lait. Enfin, les candidats à l’installation Nima pensent « qu’ils ne gagneront pas leur vie » avec des vaches laitières. Puis, c’est l’accessibilité technico-économique de la ferme et du métier qui les guide, par rapport à l’acquisition de la ferme entre autres ».

« Toute ferme est transmissible »

Des montants de reprise inaccessibles.

« Les montants de reprise en lait leur semblent astronomiques et inaccessibles car en tant que salariés, ils n’ont pas cette logique d’investissement et de rentabilité des capitaux investis, indique l’animatrice. Ils ne se rendent pas forcément compte qu’en fonction des situations, le maraîchage peut être moins rentable. » Les exploitations laitières ne seraient pas non plus à taille humaine et « puisqu’ils entendent tout le temps que le foncier est difficile d’accès, les repreneurs craignent de ne trouver que quelques hectares, ce qui est incompatible avec la production laitière ».

Élever des animaux, une lourde responsabilité.

Enfin, « élever des animaux est une lourde responsabilité, et ne pas avoir le droit à l’erreur, comme ils le disent, leur fait peur ». Sans oublier le regard de l’entourage qui, lui aussi non originaire du monde agricole, a ses propres représentations. Au-delà de ces observations, il est intéressant de s’interroger sur leur origine. Et c’est assez évident : les Nima, avant de se lancer dans un projet d’installation agricole, ne côtoient pas d’éleveur laitier. Ils ont une représentation du métier cantonnée à des systèmes divergents de ceux auxquels ils aspirent. Difficile alors d’être attiré par ce qu’on ne connaît pas et de pouvoir prendre exemple sur des producteurs déjà installés.

Veiller à la cohérence des projets, c’est de la stratégie !

Si les résultats de ces études illustrent l’écart entre les attentes des porteurs de projets en agriculture et la réalité des offres de reprise, il ne faut pas partir vaincu d’avance, c’est un « challenge pour la filière et ses acteurs de réduire au maximum ce décalage », insiste Juliette Blanchot. « Il faut casser les idées reçues qui subsistent avec des témoignages d’éleveurs installés en lait et pour qui ça marche, reprend Marie-Isabelle Le Bars, cheffe du service installation/transmission à la chambre d’agriculture de Bretagne. Des installations même sur de petites structures sont possibles en production laitière, du moment que le projet est cohérent, avec une recherche de valeur ajoutée. » « Ça se réfléchit, c’est de la stratégie, appuie-t-elle. De même, toute ferme est transmissible. Rien n’est écrit, des pistes peuvent être étudiées pour rendre l’exploitation plus facile à transmettre. Mais attention : la posture du cédant est déterminante. »

Source de l’article : webinaire organisé par la chambre d’agriculture de Bretagne, dans le cadre de la semaine régionale de l’installation et de la transmission, du 20 au 27/11/20 et de la Quinzaine de la transmission/reprise d’exploitations agricoles 2020 déployée à l’échelle nationale dans tout le réseau.

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