Mobiliser les élus et les citoyens pour inventer de nouveaux modèles agricoles
TNC le 02/10/2019 à 06:Oct
Jeudi dernier, le collectif Inpact a présenté son rapport sur l'installation et la transmission en agriculture, commandé par le ministère dans le cadre du programme AITA (accompagnement de l'installation et de la transmission en agriculture). Pour favoriser le renouvellement des générations, il préconise de « mobiliser les élus régionaux » autour d'actions adaptées à chaque territoire, de promouvoir et « accompagner de nouveaux modes de transmission/installation », et enfin d'encourager toutes initiatives locales dynamisant l'agriculture et l'ensemble de la vie économique et sociale des régions françaises.
« Chacun doit prendre conscience de l’impact des non-transmissions d’exploitations agricoles, sur les territoires ruraux et péri-urbains comme au niveau national », écrit le collectif Inpact (1) en ouverture du rapport qui lui a été commandé par le ministère dans le cadre du programme AITA (accompagnement de l’installation et de la transmission en agriculture). Car avec un renouvellement insuffisant des générations d’agriculteurs, ce n’est pas seulement la quantité d’aliments disponible qui posera problème : leur sécurité sanitaire, leur qualité, leur diversité et leur accessibilité à tous les Français seront aussi mises à mal.
L’entretien des paysages, ainsi que la production de matériaux (cuir, isolants…) mais également d’énergie (biogaz, électricité photovoltaïque…), seront impactés. « La perte d’emplois » et « la désertification des campagnes » liée à la diminution du nombre d’exploitants agricoles toucheront, par ricochet, les autres activités économiques et catégories de population.
(1) Créé en 2004, Inpact rassemble 10 réseaux associatifs (Fadear, Civam, InterAfocg, Accueil Paysan, MRJC, Miramap, Terre de liens, L’Atelier paysan, Solidarité Paysans, Nature et Progrès).
« Collectivités et citoyens, acteurs de la transmission »
Ainsi, « les collectivités et les citoyens » autant que « les agriculteurs et organisations professionnelles agricoles » sont des « acteurs de la transmission » et « ont aujourd’hui une responsabilité pour convaincre les exploitants de leur entourage de l’importance de transmettre » leur ferme, insiste Inpact. « Il existe depuis longtemps des incitations économiques ou fiscales, poursuit le collectif. La poursuite de la baisse du nombre de chefs d’exploitation montre bien que ce ne sont pas elles qui font « déclic » chez les cédants. »
Transmettre, c’est quoi ?- « Un processus complexe, propre à chacun- pas qu’une question de vente ni de viabilité économique- trouver des compromis entre cédants/repreneurs »
Alors comment favoriser le renouvellement des générations en agriculture ? Dans son rapport rendu jeudi 26 septembre, l’organisation préconise de se recentrer sur les aspects humains en mettant en place des dispositifs d’accompagnement spécifiques. La transmission, dernière étape d’une carrière, « est avant tout une rencontre humaine entre deux nouveaux projets de vie, celui du cédant et celui du repreneur. Il s’agit donc de faire coïncider les attentes des deux parties tout en s’adaptant au contexte local de la ferme. » Inpact dresse un certain nombre de constats autour de trois axes :
- « mobiliser les élus régionaux pour des interventions adaptées aux contextes territoriaux s’articulant avec une politique nationale ambitieuse.
- faire connaître de nouveaux modes de transmission/installation et les accompagner
- créer, soutenir et faire vivre des initiatives sur les territoires pour conserver des campagnes vivantes et une agriculture locale dynamique ».
Lire aussi à ce sujet : Transmission d’exploitations agricoles − L’humain prend le pas sur l’économique
Axe 1 : « mobiliser les élus régionaux »
Le collectif pointe globalement du doigt le fait que la priorité soit souvent donnée à l’installation et que « la question de la transmission soit reléguée au second plan ». Dans le programme AITA par exemple, initié suite à la loi d’avenir pour l’agriculture et l’alimentation de 2014, quatre volets sont consacrés à l’installation et seulement un à la transmission (le dernier étant réservé à l’animation). De même, parmi la vingtaine de dispositifs dont peuvent bénéficier les porteurs de projets ou les organismes qui les suivent, seuls trois sont « obligatoires et portent sur l’installation : les points accueil installation, le plan de professionnalisation personnalisé et le stage 21 h ».
Ainsi, la transmission manque de « leviers financiers incitatifs, d’un accompagnement humain et de moyens d’animation sur le terrain, essentiels pour sensibiliser les cédants potentiels et les autres acteurs concernés ». Et quand des aides existent, « les critères choisis ne correspondent pas toujours au public ciblé ou sont trop restrictifs : âge, repreneur identifié, reprise hors cadre familial, etc. » Or l’existence même de ces conditions est liée, selon le collectif, à la faiblesse des moyens accordés. De plus, l’octroi des soutiens, souvent effectif qu’après la cession, peut s’avérer « dissuasif ».
« Le serpent se mord la queue, déplore Inpact. Les enveloppes dédiées à la transmission, peu ou pas utilisées, sont réduites d’année en année, faute d’être qualifiées d’efficaces ». L’organisation dénonce aussi la « mise en concurrence » des structures qui accompagnent les cédants et la « cogestion du programme AITA entre les Draaf et les conseils régionaux qui crée des flous, une déresponsabilisation des deux institutions » et des difficultés de fonctionnement (mode de gouvernance et processus décisionnels différents entre autres). Pour lever tous ces freins, le collectif Inpact rappelle l’importance de « mobiliser les élus régionaux sur l’enjeu de l’installation/transmission des exploitations agricoles ».
Axe 2 : « Promouvoir de nouveaux modes de transmission/installation »
Le rapport met également en avant « le décalage entre les fermes à reprendre et celles recherchées par les candidats potentiels » au niveau de la surface, des productions et/ou des systèmes d’exploitation. De plus, le cédant est souvent pressé de vendre pour s’assurer un complément de retraite alors que le repreneur a besoin de temps pour réaliser son parcours à l’installation, trouver l’argent pour financer la reprise, réfléchir aux évolutions à apporter à la ferme. Résultat : il a tendance à privilégier l’agrandissement des exploitations en place.
Voir à ce propos : Nouveaux publics et projets − concilier continuité et évolution, la clé d’une transmission/reprise réussie
Pour inverser la tendance et pouvoir transmettre notamment des structures aujourd’hui non transmissibles, Inpact propose de développer « les installations collectives (création de sociétés agricoles, association d’entreprises individuelles, « fermes villages »), avec partages des bâtiments ou diversification des ateliers », « de les intégrer dans les politiques existantes et d’adapter les modes d’accompagnement en conséquence ». Les bénéfices seront en effet multiples d’après le collectif : cela permettra « d’installer plus de paysans à surface égale, de faire évoluer les pratiques agricoles, d’insérer des activités non agricoles dans les corps de ferme, de services ou artisanales par exemple, créant ainsi de l’emploi en milieu rural, de préserver le bâti et le foncier agricole en facilitant son accès (systèmes de portage), de contribuer à la diversification agricole des territoires ».
Dans l’enquête de terrain qu’elle a menée, l’organisation a recensé un tiers de fermes supplémentaires après ce type de transmission, ainsi que deux fois plus de chefs d’exploitation et trois fois plus de salariés. Par ailleurs, 50 % des nouveaux chefs d’exploitation de l’échantillon étudié ont un assolement et des productions animales diversifiées, contre 18 % des cédants. Du côté du foncier, « les collectivités et les citoyens ont un rôle à jouer pour en faire un bien commun à usage agricole garanti ».
Axe 3 : « Créer et faire vivre des initiatives locales »
Quoi de mieux pour répondre aux enjeux et contraintes agricoles, économiques et sociales de chaque territoire, notamment en matière d’installation et de transmission, que de s’appuyer sur des actions locales et la régionalisation en marche des politiques nationales et européennes ? C’est en tout cas ce que prône Inpact dans son rapport via la mobilisation de nouveaux partenaires (collectivités, propriétaires fonciers, coopératives, Cuma, Agences de l’eau…) qui ont tous intérêt à ce que les fermes se transmettent pour maintenir leur activité et un tissu rural suffisant.
Des dispositifs d’animation territoriaux seraient nécessaires pour que tous ces acteurs se rencontrent, puissent mieux se connaître et travailler davantage ensemble. Ils permettraient d’améliorer la cohérence des diverses initiatives mises en oeuvre et de mutualiser les moyens financiers. En outre, certains pourraient cibler spécifiquement les cédants et les repreneurs pour faciliter la mise en relation, dans « des espaces de rencontres » par exemple, et « libérer la parole sur ce sujet délicat voire tabou qui soulève de nombreuses questions, souvent intimes », et sur lequel chacun a sa propre vision.