550 € les 1 000 litres : un prix juste, trop bas, ou irréaliste ?
TNC le 02/12/2022 à 05:04
Quel serait le juste prix du lait ? À cette question, les lecteurs de Web-agri ont massivement répondu, et pour les deux-tiers, ce prix se situerait entre 500 et 600 €/1 000 litres. Est-ce pour autant un prix juste ? Raisonnable ? Inatteignable ? Quels seraient les leviers pour améliorer la rémunération des producteurs ? Retrouvez les réponses des éleveurs et des représentants de la FNPL et de l'Apli.
Début novembre, on interrogeait les éleveurs laitiers sur Web-agri : « Quel serait le prix du lait le plus juste selon vous ? » Vous avez été nombreux à répondre (un peu plus de 3 000 à ce jour) et les résultats sont clairs :
– 65 % des répondants se situent entre 500 et 600 €/1000 l
– 20 % se placent au-dessus des 600 €/1000 l
– 12 % ont voté pour 450-500 €/1000 l
Pour la FNPL, « juste rémunération » et « prix conforme »
Interrogé sur cette question, Daniel Perrin, secrétaire général de la FNPL, explique que « ce qui m’intéresse et intéresse les éleveurs, ce n’est pas le juste prix, c’est la juste rémunération. Par exemple, à 420 euros chez Sodiaal il y a deux ans, compte tenu des charges que l’on avait, on aurait dit que c’était exceptionnel, alors qu’aujourd’hui c’est ridicule ».
Le juste prix, pour la FNPL, c’est le prix construit à partir des indicateurs interprofessionels, en tenant compte du mix produits des entreprises. « Par exemple pour Sodiaal actuellement, c’est 490 € les 1 000 litres en 38/32 », ce qui apparaît comme un prix correct aujourd’hui.
« Cet outil du prix conforme donne une idée de ce qui devrait se faire. Après, la loi de base du commerce, c’est d’acheter pas cher pour vendre plus cher, mais nous sommes persuadés que la filière doit savoir partager la richesse. On a appelé depuis quelques mois à réduire l’écart grandissant entre nos voisins et nous, sans pour autant s’aligner. Avec les prix renégociés récemment, on s’en rapproche, mais il faudrait que toutes les entreprises soient en permanence au niveau de prix conforme », ce qui est encore loin d’être le cas, regrette-t-il.
L’écart avec les prix dans les pays voisins est de fait régulièrement pointé du doigt par les éleveurs, à l’instar de « Mor », qui commente sur Web-agri : « On est loin des 500 €/1 000 l quand nos voisins belges et allemands approchent les 600. Même les Polonais et Roumains sont payé plus cher que nous !! C’est ce qui s’appelle « être pris pour des …. » ».
Pour le secrétaire général de la FNPL, s’il faut réduire ces écarts, « aujourd’hui, réclamer le même prix que les Allemands ou les Belges, c’est de la démagogie, parce que le jour où les marchés décrochent, on ne voudra plus être alignés sur le prix des Allemands. Au moment de la Covid, personne n’a jamais réclamé les prix allemands, puisqu’on était à 30-40 euros de plus ! ».
« 550 euros/1 000 l, un minimum ! » selon l’Apli
« Avant de déterminer le prix du lait, il faudrait déterminer le revenu que mérite notre travail, commente Guillaume sous notre sondage. Un chef d’entreprise qui fait 50 à 60 heures par semaine et qui prend une à deux semaines par an ne mérite-t-il pas 3 000 à 4 000 euros par mois ? ».
C’est aussi l’approche de l’Apli : « pour calculer le revenu du producteur, on se base sur l’équivalent de deux Smic horaires et non pas sur deux Smic mensuels, explique son président Adrien Lefèvre. On est plutôt autour de 4 500-5 000 euros : pour des chefs d’entreprises qui gèrent des fermes de 65 vaches en moyenne en France, je pense que ce n’est pas déconnant ! »
Quant au calcul des coûts de production, « les chiffres récemment publiés par le Cniel prennent en compte des facteurs de charges, mais on est loin de prendre en compte l’intégralité, estime-t-il. OK, il y a l’aliment, le gazole, l’engrais, mais pas la hausse du prix de la main-d’œuvre quand il faut réparer un matériel, pas la hausse de 20 % de la ferraille ! »
L’Apli réclamait en février un minimum de 500 €/1 000 l. Avec « les facteurs de risque qui se sont ajoutés en plus de la guerre en Ukraine, plus une marge, en ajoutant une prime de risque climatique et une digne rémunération des éleveurs, on devrait aujourd’hui être entre 550 et 600 €/1 000 l. Je pense qu’il ne faut pas avoir peur de le dire ! ».
« À ceux qui disent qu’on exagère de demander minimum 550 €/1 000 l, renseignez-vous sur les taux d’intérêt, ils n’arrêtent pas d’augmenter !, appuie « steph72 » sur Web-agri. Bon courage à celui qui veut investir ou renouveler son matériel ».
« Cha » incite de son côté à « ne pas lâcher » et témoigne : « les collectivités ont du mal à se fournir en lait et le prix a explosé (…). Si une partie continue à baisser leur volume nous pourrons arracher des contrats rémunérateurs car les industriels courent la campagne pour avoir des volumes. (…) J’ai demandé 600 euros à mon nouvel industriel et on va partir de chez Sodiaal avec un voisin ».
Autonomie, qualité, d’autres pistes d’amélioration du revenu
D’autres leviers sont-ils mobilisables pour améliorer le revenu des éleveurs ? « Il faut savoir crier mais aussi remettre le système en question », juge Lorenzo sur Web-agri : « Si on veut avoir un revenu digne de ce nom, un ménage s’impose : arrêt des engrais chimiques, réduction des phytos et valorisation des effluents d’élevage ».
Pour Daniel Perrin, on peut toujours faire des impasses, comme mettre moins d’engrais de fond, tirer sur l’alimentation des vaches aussi, « mais si on tire trop, la corde va casser ». Dans le contexte actuel, « il faudra aussi mener des réflexions sur l’autonomie en électricité », avance-t-il, mais « il y aura toujours des dépenses incompressibles ».
Adrien Lefèvre évoque la question de la qualité du lait, « un petit levier mais qu’on devrait travailler » : « on tourne autour de 3 000 euros la tonne de matière grasse, mais elle s’échange aujourd’hui à 9 000 voire 10 000 euros sur les marchés, on le voit avec le prix du beurre. Il faudrait peut-être revoir les grilles régionales Criel là-dessus, il y a peut-être moyen d’avoir une valorisation. Mais il y a un risque : on pourrait perdre du côté de la matière protéique ».
Il évoque des leviers à court terme, mais qui ne résoudront pas la problématique de la rémunération sur la durée : « il y a les démarches agroécologiques, on peut trouver des choses sur l’autonomie des fermes… Mais on y a déjà un peu pensé ! ». La tentation de limiter les investissements est une possibilité, « surtout pour des producteurs qui ont un âge moyen de 55 ans… Mais en dépensant moins, on fera vivre moins de structures autour de nous. Et à long terme, c’est se tirer une balle dans le pied, sachant que la France n’a pas énormément capitalisé ces dix dernières années ».
« Le prix du lait à lui seul ne pourra pas permettre aux éleveurs de vivre, pour « Jlo », qui souligne sur Web-agri que « le travail effectué par un éleveur n’est pas juste de produire du lait : il entretient l’espace, la nature, la biodiversité, il devrait être reconnu et rémunéré pour cela également ».
Penser à l’avenir de la filière
« 25 millions de litres de cessation chez Bel, 18 millions chez Biolait. Dans mon département, un Gaec avec 2 millions de litres qui cesse le lait. Ça arrête de partout », observe « steph72 ». Même constat pour Adrien Lefèvre : « Des jeunes s’installent à côté de chez moi, et le premier truc qu’ils font, c’est arrêter le lait ».
« Les arbitrages se font maintenant, et après il n’y a pas de marche arrière : il y a des éleveurs qui qui arrêtent de faire du lait, pas qui recommencent ! Si on veut installer des jeunes, on a besoin de messages forts et le prix en est un », martèle-t-il.
Pour la FNPL, il faut faire attention à un discours qui, vu de l’extérieur, pourrait décourager les jeunes de s’installer dans la filière laitière. « Aujourd’hui, quand on dépasse les 500 euros, c’est pas l’Himalaya, mais ça commence à donner une rémunération correcte pour les producteurs. Alors, ce n’est peut-être pas assez pour tout le monde, mais à force de dire que tout va toujours mal, on ne va plus vouloir investir dans le renouvellement des générations ! On se doit d’être raisonnable. On a un plan de filière, qui n’est peut-être pas assez ambitieux, mais qui vise 60 % des éleveurs au niveau du revenu médian. Aujourd’hui, on est à 30 %. », explique Daniel Perrin.