« Les jeunes ne veulent plus être 24 h/24 et 7 j/7 sur l’élevage »
TNC le 24/03/2025 à 04:43
Salarié dans un autre secteur, Charles Fossé ne souhaitait pas perdre en confort de vie en reprenant l’élevage laitier familial en 2016 (Ille-et-Vilaine). Il s’est fixé tout de suite un cadre qu’il a réussi à tenir en s’organisant, en simplifiant le travail et en adaptant les équipements, tout en faisant évoluer certains points pas forcément comme il l’avait prévu au départ. Aujourd’hui, il arrive à dégager du temps libre et à concilier vie pro et perso. Essentiel, selon lui, pour attirer les jeunes vers le métier d’éleveur.
« On avait goûté aux vacances et aux week-ends, avec des revenus suffisamment décents pour ne pas se poser de questions en fin de mois. » Pas question pour Charles Fossé de renoncer à ce confort de vie et financier, en quittant le secteur du service à Rennes pour devenir éleveur laitier.
Objectif de temps libre dès l’installation
Son installation sur l’exploitation familiale de ses parents (qui l’ont reprise à ses grands-parents dans les années 80), le 1er janvier 2016 à Langon dans le sud de l’Ille-et-Vilaine, devait donc répondre à des objectifs de revenu agricole et temps de travail. Il s’explique : « Vivre dignement et avoir du temps libre pour moi, mes proches, mes projets personnels, et notamment mes engagements professionnels ». D’autant que « j’ai un peu imposé ce retour vers l’agriculture à ma femme », reconnaît-il.
Avant de poursuivre : « J’ai la chance que mon associé, mon beau-frère, arrivé en 2014, soit sur la même longueur d’onde, avec des enfants dans les mêmes âges. » Tous deux ont envie de simplifier et d’optimiser le travail au sein de l’élevage, à travers les équipements : stabulation de 120 logettes pour n’avoir qu’un effluent, le lisier, à gérer, salle de traite par l’arrière 2×10 postes avec sorties rapides « pour limiter le nettoyage ».
S’équiper et simplifier le travail
Début 2024, elle a été remplacée par un robot de traite. Les éleveurs, qui ne traient plus, valorisent ce temps dans l’observation du troupeau. Ainsi, les problèmes sont plus vite repérés. « Tous les investissements sont raisonnés pour gagner du temps, sans laisser de côté la productivité. » Le but est aussi d’améliorer les conditions de travail sur la ferme.
Tous les investissements raisonnés pour gagner du temps.
Les exploitants ont également rénové les clôtures, les chemins d’accès au pâturage, le système d’abreuvement, et revu la circulation autour des bâtiments d’élevage. « Tout a été pensé pour que les animaux circulent plus facilement, de même que les machines, soient en meilleure santé et développent peu de boîteries », fait remarquer Philippe Briand, chargé d’étude en production bovine à la chambre d’agriculture de Bretagne.
Bien s’organiser jusqu’au moindre détail
Du plus pour le bien-être animal et celui de l’éleveur. En outre, les vaches sont nourries avec pas mal d’herbe. S’ajoutent d’autres « petites choses qui nous facilitent la vie et nous font gagner quelques secondes précieuses s’ajoutant les unes aux autres quand on fait le bilan à la fin de l’année », complète Charles. Au Gaec des Vallons, cette réflexion pour « concilier vie pro et perso » était déjà présente lorsque le père de Charles était aux manettes.
De petites choses et des secondes en moins, s’ajoutant les unes aux autres.
« Cette volonté de garder du temps pour soi, sans négliger bien évidemment les performances économiques, guide depuis longtemps toutes les décisions prises », et pas seulement concernant le matériel, confirme le conseiller de la chambre d’agriculture. Cela commence, « au quotidien, avec un planning bien défini, carré », poursuit-il. Avant de détailler : « Chaque jour, en alternance, l’un des deux associés arrive plus tôt, vers 6 h, et s’occupe de la surveillance du troupeau. »
Un environnement bien rangé.
Soit : vérifier le moniteur du robot de traite, que toutes les vaches y sont passées, sont en forme, etc. Cette organisation permet notamment d’accompagner les enfants à l’école. Être organisé va ici « jusqu’au moindre détail », met en avant Philippe Briand, avec « un environnement de travail bien rangé, où chaque chose a sa place, même les balais accrochés au mur du bâtiment. « Quand on travaille à plusieurs, ça évite de perdre du temps et de s’énerver à chercher », estiment les éleveurs.
Recourir au salariat : pas toujours simple
Les producteurs ont aussi eu recours au salariat agricole, mais embaucher et fidéliser n’est pas chose facile. « Il y a deux ans, nous avons perdu un mi-temps que nous n’avons pas réussi à remplacer. Nous avons rebattu les cartes, nous avons un peu réduit le cheptel et augmenté les cultures de vente. » Depuis quelque temps, ils employaient une personne à tiers temps mais près de la retraite.
Nombre de vaches, surfaces en cultures : nous avons rebattu les cartes.
Fin avril, une jeune salariée est arrivée, ce qui permet d’avoir une organisation du travail encore plus souple. Une embauche favorisée, précisent les producteurs, par le passage en traite robotisée. Ainsi, ils n’ont pas eu à recruter quelqu’un de spécialisé en production laitière. Ayant un attrait et des compétences en machinisme, elle les épaule pleinement sur les chantiers nécessitant la conduite d’engins.
Déléguer les travaux des champs et l’alimentation
En Cuma intégrale, les producteurs délèguent tous les travaux culturaux. L’alimentation du troupeau est également réalisée, en prestation, via l’automotrice de la Cuma. « 1h à 1h30 de gagnée par jour ! C’est significatif ! », indique Charles Fossé. En plus, cela limite les investissements (tracteur, bol mélangeur) et permet de se concentrer sur les animaux. « Au lieu de préparer la ration, on est avec nos bêtes, on peut faire autre chose. »
1h à 1h30 de gagnée par jour !
« L’alimentation des vaches est, en effet, un poste d’astreinte important », souligne Philippe Briand. La distribution du lait aux veaux est, elle, facilitée grâce au taxi-lait. « Cela demande de réfléchir en amont sur les voies de circulation dans et autour des stabulations », prévient le conseiller. Le cas ici comme nous l’avons dit plus haut.
Aujourd’hui, le jeune éleveur de 36 ans tient le cadre qu’il s’est fixé. Résultat : il prend cinq semaines de vacances par an, trois l’été, une l’hiver, le reste réparti dans l’année, travaille un week-end sur quatre et de 7h30 à 18h-18h30 grand max chaque jour. Il ne regrette pas sa reconversion professionnelle en élevage : « Je trouve de plus en plus de sens dans mon métier d’éleveur, hyper vivant et qui me fait évoluer en permanence », met-il en avant.
Le cadre fixé au départ est tenu
Il se considère comme un entrepreneur. « Nous sommes confrontés à l’évolution des marchés, de l’environnement, de la société… Il faut être toujours dans la dynamique de s’adapter. Si l’on considère que c’est aux autres de le faire, on marche à l’envers. » L’agriculteur ne se prédestinait pas du tout à exercer cette profession. Petit, « ça ne m’attirait pas », se souvient-il.
5 semaines de vacances, 3 week-ends libres par mois, et de 7h30 à 18h30 le soir grand max.
Il s’est donc orienté vers un bac scientifique et un BTS en génie civil. Et a poursuivi dans cette filière après ses études. « Au bout de cinq à six ans, je me suis posé la question de changer de voie et de créer ma propre structure, c’est comme ça que je suisrevenu vers l’agriculture. » Pour avoir la capacité agricole et pouvoir s’installer sur une exploitation, il a passé un BPREA en formation adulte.
Pour Charles, l’attractivité du métier d’éleveur est une vraie question face à la problématique du renouvellement des générations en bovin lait. « On a besoin de jeunes qui s’investissent. Notre profession s’adapte aux nouvelles générations. L’éleveur, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 sur sa ferme, ce n’est plus le modèle que nous voulons pour nous, producteurs, et ceux qui nous succéderont. »
Notre métier s’adapte aux attentes des nouvelles générations.
Alors il faut montrer que des solutions existent pour alléger la charge de travail et les contraintes, exhorte-t-il. « Il faut créer des vocations. Notre métier peut satisfaire désormais une multitude de profils. L’équilibre entre le professionnel et le personnel est aujourd’hui plus atteignable, nous parvenons à dégager du temps pour nous. »