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A Saclay, un « navire amiral » de la fermentation pour nourrir la planète demain


AFP le 11/10/2024 à 09:45

Sur le plateau de Saclay en Essonne au sud de Paris, les bioréacteurs tournent déjà à plein régime. Chercheurs et industriels de l'agroalimentaire y ont ouvert "la boîte noire" de la fermentation, procédé millénaire mais largement méconnu, au service de l'alimentation de demain.

Améliorer la texture d’un steak végétal, satisfaire le microbiote intestinal ou fabriquer des vitamines : la fermentation, au cœur du centre d’innovation inauguré jeudi, « est un levier majeur pour accompagner les transitions agroalimentaires, nécessaires (pour nourrir) près de 10 milliards d’humains en 2050 », explique son directeur exécutif, Damien Paineau.

Le centre « Ferments du futur », coordonné par l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) et l’Association nationale des industries alimentaires (Ania), principale organisation du secteur, veut prendre une longueur d’avance dans la course mondiale aux protéines.

Doté d’un budget de 100 millions d’euros sur dix ans, fruit d’un partenariat public-privé, cette plateforme présente la particularité d’explorer tout le spectre de la fermentation, de la première transformation jusqu’au test de faisabilité industrielle d’un produit.

« Unique en Europe »

La fermentation est un procédé ancestral de conservation des aliments,
rendus plus digestes et plus nutritifs. L’homme l’utilise depuis plus de
10 000 ans, l’âge d’une agriculture qui fabriquait déjà de la bière, du fromage et du pain. Ce processus biochimique naturel consiste en la transformation d’un aliment brut par des micro-organismes (levures, champignons ou bactéries) : la levure fait ainsi lever la pâte à pain en transformant le glucose des céréales en gaz carbonique.

Du café au kombucha, « la fermentation a beau être en développement, cela
reste une boîte noire », rappelle Damien Paineau, ouvrant les portes de son
« navire amiral », « un lieu d’innovation unique en Europe », déployé sur 1 500 m2. Première étape, le « criblage ». De gros tubes emplis d’un liquide bleu, jaune, rouge ou vert occupent une paillasse, au côté de petits fermenteurs ou bioréacteurs reliés à des ordinateurs.

Cette plateforme est le domaine du « haut débit » et du « petit volume », explique son responsable Émile Auria. On teste par exemple un ferment qui semble produire des arômes intéressants sur de la farine : sur une centaine de tests en mini-fermenteurs de quelques millilitres, seuls cinq seront intéressants. Ces cinq-là passeront ensuite dans des fermenteurs d’un à deux litres, dans un liquide en mouvement, agité de grosses bulles.

On examine notamment « la capacité de résistance des micro-organismes »,
explique-t-il : certains mourront, cisaillés par le mouvement, d’autres passeront le test, en route pour des expérimentations à plus grande échelle. Il convient ensuite d' »analyser les caractères physicochimiques » des aliments : c’est le royaume de la microbiologiste Fanta Fall. À l’aide de centrifugeuse ou spectromètre de masse, tout est décortiqué: une odeur, une texture, une durée de conservation.

Premiers résultats en 2025

« Lors de la fermentation, certains fûts de chêne vont libérer de la vanilline, ce qui donnera un goût de vanille, ou du lactone, cela aura plus un goût de noix de coco. Déterminer les arômes en analysant les molécules va aider des industriels à choisir un type de chêne selon le profil aromatique du vin recherché », explique-t-elle. En jouant sur les arômes, la fermentation permet de diminuer la quantité de beurre dans une viennoiserie. Son ralentissement peut faire baisser le taux de sucre et donc d’alcool du vin.

En jouant sur les textures, elle rendra plus appétissant un steak de pois chiches ou de sorgho. Sur la troisième plateforme, on passe à « la mise à l’échelle » pour sortir du laboratoire : il s’agit ici de tester la faisabilité d’une fermentation sur des volumes industriels. Les projets d’innovations industrielles, portés par des groupes comme le géant mondial de la levure Lesaffre ou le fromager Bel (Vache qui rit, Babybel) qui cherche à améliorer son offre 100 % végétale, restent secrets.

Côté public, douze projets de recherche sont déjà lancés : l’un vise à améliorer les « propriétés nutritionnelles de légumineuses », un autre cible la
fabrication de pigments « pour remplacer les colorants chimiques » dans
l’alimentation. Les premiers résultats sont attendus en 2025.

À la recherche nutritionnelle, objectif majeur, s’ajoutent celles d’ingrédients à haute valeur ajoutée comme des vitamines, de l’insuline, une nouvelle génération de probiotiques, ou encore de nouveaux produits de protection des plantes visant à remplacer un jour des pesticides de synthèse dans les champs. Pour aller plus loin, il faudra mettre « beaucoup plus » d’argent dans la recherche, prévient Damien Paineau, alors que des États-Unis au Royaume-Uni, « des milliards sont actuellement investis » dans la fermentation.